nouveau. Nous lui avons donné le nont du Prince des Apôtres, sous les aufpices de qui la Mission a été entreprise & commencée, & on l'appelle la résidence de faint Pierre. Les barbares que la Providence m'a chargé de cultiver se nomme Canifiens, Ce font des hommes Sauvages & peu différens des bêtes pour la maniere de vivre & de se conduire. Ils vont tous nuds, hommes & femmes. Ilsn'ont point de demeure fixe, point de loix, nulle forme de gouvernement. Egalement éloignés de la Religion & de la fuperftition, ils ne rendent aucun honneur ni à Dieu, ni aux Démons, quoiqu'ils aient des idées affez formées du souverain Etre. Ils ont la couleur d'un brun foncé, le regard farouche & menaçant, je ne sçai quoi de féroce dans toute la figure. On ne sçauroit bien dire le nombre des hommes qui peuvent être en ces vaf tes pays, parce que l'on ne les voit jamais afsemblés, & qu'on n'a pas encore eu le temps d'en rien deviner par conje&ure. Ils font continuellement en guerre avec leurs voisins; & quand ils peuvent prendre des prisonniers dans les combats, ou ils les font esclaves pour toujours, ou, après les avoir rôtis fur les charbons, ils les mangent dans leurs feftins, & fe fervent, au lieu de tasses, des crânes de ceux qu'ils ont ainsi dévorés. Ils font fort adonnés à l'yvrognerie, & quand le feu leur monte à la tête après s'être querellés & dit bien des injures, souvent ils se jettent les uns fur les autres, fe déchirent & se tuent. La pudeur m'êmpêche d'écrire d'autres défordres bien plus honteux, auxquels ils s'abandonnent brutalement, lorsqu'ils ont trop bu. Ils ont pour armes l'arc & les fleches & une espece de long javelot fait de roseaux longs & pointus, qu'ils lancent de loin contre l'ennemi avec tant d'adresse & de force, que de plus decent pas ils renversent leur homme comme à coup für. Le nombre des femmes n'est point limité parmi eux, les uns en ont plus, les autres moins, chacun comme il l'entend. L'occupation des femmes, les journées entieres, est de préparer à leurs maris des breuvages composés de diverses sortes de fruits. Nous entrâmes dans le pays de ces pauvres barbares, fans armes & fans foldats, accompagnés seulement de quel ques Chrétiens Indiens, qui nous fervoient de guides & d'interpretes. Dieu voulut que notre expédition fût plus heureuse qu'on n'eut ofé l'espérer, car plus de douze cens hommes sortirent bientôt des forêts pour venir avec nous jetter les fondemens de notre nouvelle peuplade. Comme j'amais ils n'avoient vu ni chevaux, ni hommes, qui nous ressemblassent pour la couleur & pour l'habillement, l'étonnement qu'ils firent paroître à notre premiere rencontre, fut pour nous un spectacle bien divertiffant. Nous voyions l'arc & les fleches leur tomber des mains de la crainte qui les saisissoit; ils étoient hors d'euxmêmes ne sçachant que dire, & ne pouvant deviner d'où de tels monstres avoient pu venir dans leurs forêts. Car ils penfoient, comme ils nous l'ont avoué depuis, que l'homme, son chapeau, fes habits & le cheval sur lequel il étoit monté, n'étoient qu'un animal composé de tout cela, par un prodige extraordinaire; & la vue d'une nature fi monstrueuse les tenoit dans une espece de saisissement, qui les rendoient comme immobiles. Un de nos Interpretes les raffura, leur expliquant qui nous étions, & les raisons de notre voyage, que nous ve nions de l'autre extrémité du monde feulement pour leur apprendre à connoître & à servir le vrai Dieu. Il leur fit ensuite quelques instructions particulieres, dont nous étions convenus, & qui étoient à leur portée, sur l'immortalité des ames, fur la durée de l'autre vie, sur les récompenses que Dieu leur promettoit après leur mort, s'ils gardoient ses Commandemens, sur les châtimens redoutables dont il les menaçoit avec raison, s'ils se rendoient rebelles à la lumiere qui les venoit éclairer de fi loin. Il n'en fallut pas davantage. Depuis ce premier jour un grand nombre de ces pauvres gens nous fuivent comme un troupeau fait le Pasteur, & nous promettent d'attirer après eux plusieurs milliers de leurs compagnons. Nous n'avons pas sujet de craindre qu'ils nous trompent. Déja six Nations fort peuplées, ou plutôt un peuple de fix grandes forêts ont envoyé des Députés nous offrir leur amitié, nous demander la nôtre, & nous promettre de se faire avec nous des demeures stables où nous jugerons à propos. Nous avons reçu ces Députés avec toutes les démonftrations de l'amitié la plus tendre, & nous les avons renvoyés chez eux chargés de préfens. Ces préfens ne font que quelques petits grains de verre dont ils font apparemment des bracelets & des colliers. L'or & l'argent ne font point ici à beaucoup près si estimés, & fi j'avois pour quarante ou cinquante écus seulement de ces grains de verre de toutes les groffeurs & de toutes les couleurs, hormis le noir dont il ne faut pas, ce feroit de quoi nous amener une grande multitude de ces bonnes gens, que nous retiendrions ensuite par quelque chose de meilleur & de plus folide. Nous avons choifi, pour faire notre nouvelle habitation, un canton bien fitué & fort agréable, vers la hauteur d'environ quatorze degrés de latitude australe. Elle a au midi & à l'orient une plaine de plusieurs lieues d'étendue, plantée par intervalles de beaux palmiers: au septentrion un fleuve grand & poiffonneux, nommé Cucurulu en langue Canifienne: à l'occident ce sont de vastes forêts d'arbres odoriférans, & très-propres à bâtir, dans lesquelles on trouve des cerfs, des dains, des sangliers des finges, & toutes fortes de bêtes fauves & d'oiseaux. La nouvelle bourgarde est partagée en rues & en places |