publiques; & nous y avons une maison comme les autres, avec une chapelle assez grande. Nous avons été les Architectes de tous ces bâtimens, qui font aussi grossiers que vous pouvez vous l'imaginer. Il faut avouer que les chaleurs font ici très-grandes, par la nature du cli mat. C'est un été violent qui dure toute l'année, fans nulle variété sensible des saisons; & fi ce n'étoient les vents qui soufflent par intervalles, & qui rafraîchiffent un peu l'air, le lieu feroit absolument inhabitable. Peut-être auffi qu'étant élevés dans les pays septentrionnaux, nous sommes un peu plus sensibles à la chaleur que les autres. L'air enflammé forme des orages & des tonnerres aussi affreux qu'ils font fréquens, Des nuages épais de moucherons venimeux nous tourmentent jour & nuit par leurs morsures. On ne voit de pain & de vin que ce qu'il en faut pour dire la Messe. C'est de la riviere & de la forêt qu'on tire tout ce qui sert à la nourriture, & on ne connoît d'autre assaisonnement à ces mets différens, qu'un peu de sel, quand on en a; car souvent même on en manque. On boit ou de l'eau, ou des breuvages dont nous avons parlé. Mais Dieu, par ses confolations pleines de douceur, fupplée à tout ce qu'on pourroit défirer d'ailleurs pour la commodité ou pour la délicatesse; & dans une fi grande disette de toutes chofes, on ne laisse pas de vivre très-content. En mon particu'ier, mon Révérend Pere, j'ose vous assurer que, depuis que je suis dans cette pénible Mission, je n'ai pas eu un mauvais jour; & certainement ce que je m'en figurois, lorsque je demandois à y venir, me donnoit bien plus d'inquiétude & de dégoût, que ne m'a caufé de peine l'expérience de ce que j'ai trouvé à souffrir. Je repose plus doucement à l'air sur la terre dure, que je ne fis jamais étant encore au fiecle dans les meilleurs lits: tant il est vrai que l'imagination des maux tourmente souvent beaucoup plus, que les maux même ne sçauroient faire. La vue seule de ce grand nombre de Catéchumenes, qui se préparent avec une ferveur inexplicable à embrasser la foi, & qui se rendent dignes du baptême par un changement total de mœurs & de conduite, feroit oublier d'autres maux bien plus sensibles. C'est un charme de voir venir ce peuple en foule, & d'un air content, le matin, à l'explication du catéchifme, & le foir aux prieres que nous faisons faire en commun; de voir les enfans disputer entr'eux à qui aura plutôt appris par cœur ce qu'on leur enseigne de nos mysteres; nous reprendre nous-mêmes quand il nous échappe quelque mauvais mot dans leur langue, & nous fuggérer tout bas comment il auroit fallu dire; les adultes plus avancés demander avec empressement le premier Sacrement de notre Religion, venir nous avertir à toutes les heures du jour & de la nuit, & quand quelqu'un d'eux est extraordinairement malade, pour aller promptement le baptifer; nous presser de trouver bon qu'ils bâtiffent au grand Maître une grande maison, c'est ainsi qu'ils nomment Dieu & l'Eglife, pendant que plusieurs d'entr'eux n'ont pas encore où se retirer ni où se loger. On sçait quel obstacle c'est à la conversion des barbares que la pluralité des femmes, & la peine qu'on a d'ordinaire à leur perfuader ce que le Chriftianisme commande à cet égard. Dès les premiers discours que nous fîmes à ceux-ci, avec toute la sageffe & toute la réserve que demandoit un point fi délicat, ils comprirent très-bien ce que nous voulions dire, & nous fûmes obéis par-tout, hormis en trois familles, fur lesquelles nous n'avons pu encore rien gagner. Il n'en a pas plus couté pour les guérir de l'yvrognerie; ce qui doit paroître admirable & fait voir la grande miféricorde de Dieu sur ces peuples, qui paroissoient jusqu'ici abandonnés. Quelques femmes ont déjà appris à filer & à faire de la toile pour se couvrir. Il y en a bien une vingtaine qui ne paroissent plus qu'habillées de leur ouvrage, & nous avons semé une assez grande quantité de coton pour avoir dans quelques années de quoi vêtir tout le monde. Cependant on se sert comme on peut de feuilles d'arbres pour se couvrir, en attendant quelque chose de mieux. En un mot, les hommes & les femmes indifféremment nous écoutent, & fe foumettent à nos conseils avec tant de docilité, qu'il paroît bien que c'est la grace & la raison qui les gouvernent. Il ne faut qu'un signe de notre volonté pour porter ces chers fideles à faire tout le bien que nous leur infpirons. Voilà, mon Révérend Pere, ceux à qui a passé le Royaume de Dieu, que fa fa justice, par un jugement redoutable, a ôté à ces grandes Provinces de l'Europe, qui se font livrées à l'esprit de fchifme & d'héresie. Oh! si sa miféricorde vouloit faire ici une partie des merveilles auxquelles les aveugles volontaires de notre Allemagne s'obstinent à fermer les yeux, qu'apparemment il y auroit bientôt ici des Saints! C'est une chose qui paroît incroyable, qu'en un an de temps des hommes tout fauvages & qui n'avoient presque rien de l'homme que le nom & la figure, aient pu prendre si promptement des sentimens d'humanité & de piété. On voit déja parmi eux des commencemens de civilité & de politesse. Ils s'entre-saluent quand ils se rencontrent, & nous font à nous autres, qu'ils regardent comme leurs maîtres, des inclinations profondes, frappant la terre du genou & baifant la main avant que de nous aborder. Ils invitent les Indiens des autres pays, qui passent par leurs terres, à prendre logis chez eux; &, dans leur pauvreté, ils exercent une espece d'hospitalité libérale, les conjurant de les aimer comme leurs freres & de leur en vouloir donner des marques dans l'occasion. De forte qu'il y a lieu d'espérer qu'avec la Tome VIII. C |