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grace de Dieu, qui nous a tant aidé jusqu'ici, nous ferons de ces Nations non-feulement une Eglise de vrais fideles, mais encore avec un peu de temps une Ville, peut-être un peuple d'hommes qui vivront ensemble selon toutes les loix de la parfaite société.

Pour ce qui regarde les autres Mifsions fondées en ce pays-ci depuis dix ans, je dirai à votre paternité ce que j'ai appris, que le Christianisme y fait de très-grands progrès, plus de quarante mille Barbares ayant déja reçu le baptê me. C'est un concours & une modestie rare dans les Eglifes, un respect profond à l'approche des Sacremens; les maisons des particuliers retentissent souvent des louanges de Dieu qu'on y chante, & des instructions que les plus fervens font aux autres. M'étant trouvé dans une de ces Missions pendant la semaine fainte, j'eus la confolation de voir dans l'Eglise plus de cinq cens Indiens qui châticient rigoureusement leur corps le jour du Vendredi-saint, à l'honneur de Jesus-Christ flagellé. Mais ce qui me tira des larmes de tendresse & de dévotion, ce fut une troupe de petits Indiens & de petites Indiennes, qui, les yeux humblement baissés, la tête cou

onnée d'épines, & les bras appliqués a des poteaux en forme de croix, imiterent plus d'une heure entiere en cette posture l'état pénible du Sauveur crucifié qu'ils avoient là devant les yeux. Mais afin que nos espérances ne nous trompent point, & que le nombre de nos nouveaux fideles s'augmente chaque jour avec leur ferveur, du fond de ces grands déserts où nous sommes à l'autre extrémité du monde, je conjure votre Paternité de se souvenir de nous dans ses saints facrifices, & de nous procurer le même secours auprès de nos Peres & Freres répandus par toute la terre, avec qui nous confervons une étroite union en Jesus-Christ, & dans les prieres desquels nous avons une parfaite confiance. Je fuis, &c.

Au Perou, de la Mission que les Espagnols appellent Moxos, & que les naturels du pays nomment Canifie, le 1 Septembre 1698.

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MÉMOIRE

Touchant l'état des Missions nouvellement établies dans la Californie, par les Peres de la Compagnie de Jesus, présenté au Confeil Royal de Guadalaxara au Mexique, le 10 de Février de l'année 1702, par le Pere François-Marie Picolo, de la même Compagnie, & un des premiers Fondateurs de cette Mission. Traduit de l'Espagnol,

MESSEIGNEURS,

C'est pour obéir aux ordres que vous m'avez fait l'honneur de me donner, depuis quelques jours, que je vais vous rendre un compte exact & fidele des découvertes & des établissemens que nous avons faits, le Pere Jean-Marie de Salvatierra & moi, dans la Califor nie, depuis environ cinq ans que nous sommes entrés dans ce vaste pays.

Nous nous embarquâmes au mois d'Octobre de l'année 1697, & nous passâmes la mer, qui sépare la Californie du nouveau Mexique, sous les aufpices & fous la protection de NotreDame de Lorette, dont nous portions avec nous l'image. Cette étoile de la mer nous conduisit heureusement au port avec tous les gens qui nous accom pagnoient. Aufsi-tôt que nous eûmes mis pied à terre, nous plaçâmes l'image de la sainte Vierge au lieu le plus décent que nous trouvâmes; &, après l'avoir ornée autant que notre pauvreté nous le put permettre, nous priâmes cette puissante avocate de nous être aussi favorable fur terre qu'elle nous l'avoit été sur mer.

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Le Démon que nous allions inquié ter dans la paisible possession où il étoit depuis tant de fiécles, fit tous fes efforts pour traverser notre entreprise, & pour nous empêcher de réuffir. Les peuples chez qui nous abordâmes, ne pouvant être informés du dessein que nous avions de les retirer des profondes ténebres de l'idolâtrie où ils font ensevelis, & de travailler à leur falut éternel, parce qu'ils ne sçavoient pas notre langue, & qu'il n'y avoit, parmi nous, personne qui eût aucune connoissance de la leur, s'imaginerent que nous ne venions dans leur pays, que pour leur enlever la pêche des perles, comme d'autres avoient paru vouloir le faire plus d'une fois au temps paffé. Dans cette pensée, ils prirent les armes, & vinrent par troupes à notre habitation, où il n'y avoit alors qu'un très-petit nombre d'Espagnols. La violence avec laquelle ils nous attaquerent, & la multitude de fleches & de pierres qu'ils nous jetterent fut fi grande, que c'étoit fait de nous infailliblement, si la fainte Vierge, qui nous tenoit lieu d'une armée rangée en bataille, ne nous eût protégés. Les gens qui se trouverent avec nous, aidés du secours d'enhaut, soutinrent vigoureusement l'attaque, & repousserent les ennemis avec tant de succès, qu'on les vit bientôt prendre la fuite.

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Les Barbares, devenus plus traitables par leur défaite, & voyant d'ailleurs qu'ils ne gagneroient rien fur nous par la force, nous députerent quelques-uns d'entr'eux; nous les reçûmes avec amitié; nous apprîmes bientôt afsez de leur langue, pour leur faire concevoir ce qui nous avoit portés à venir en leur pays. Ces députés détromperent leurs compatriotes de l'erreur où ils étoient; de forte que, perfuadés de nos bonnes intentions, ils revinrent nous trouver en plus grand nombre, & nous

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