& filafseuses & qu'ils sçavent très-bien manier, s'emploient à faire une espece de vaisselle & de batterie de cuisine affez nouvelle & de toute forte de grandeurs. Les pieces les plus petites servent de tasses, les médiocres d'affiettes, de plats, & quelquefois de parafols dont les femmes se couvrent la tête, & les plus grandes de corbeilles à ramasser les fruits, & quelquefois de poëles & de bassins à les faire cuire; mais il faut avoir la précaution de remuer fans ceffe ces vaisseaux pendant qu'ils font sur le feu, de peur que la flamme ne s'y attache, ce qui les brûleroit en très-peu de temps. Les Californiens ont beaucoup de vivacité, & font naturellement railleurs; ce que nous éprouvâmes en commençant à les instruire : car sitôt que nous faisions quelque faute dans leur langue, c'étoit à plaisanter & à se mocquer de nous. Depuis qu'ils ont eu plus de communication avec nous, ils se contentent de nous avertir honnêtement des fautes qui nous échappent; &, quant au fond de la doctrine, lorsqu'il arrive que nous leur expliquons quelque Mystere ou quelques points de morale, peu conformes à leurs préjugés ou à leurs an ciennes erreurs, ils attendent le Prédicateur après le Sermon & disputent contre lui avec force & avec esprit. Si on leur apporte de bonnes raisons, ils écoutent avec docilité, & fi on les peut convaincre, ils se rendent & font ce qu'on leur prescrit. Nous n'ayons trouvé parmi eux aucune forme de gouvernement ni presque de Religion & de culte réglé. Ils adorent la lune, ils se coupent les cheveux, je ne sçai si c'est dans le décours, à l'honneur de leur divinité; ils les donnent à leurs Prêtres qui s'en fervent à diverses fortes de superstitions. Chaque famille se fait des loix à fon. gré, & c'est apparemment ce qui les portent si souvent à en venir aux mains les uns contre les autres, Enfin pour satisfaire à la derniere question que vous m'avez encore fait l'honneur de me propofer, & qui me semble la plus importante de toutes, touchant la maniere d'étendre & d'affermir de plus en plus dans la Californie la véritable Religion, & d'entretenir avec ces peuples un commerce durable & utile à la gloire & à l'avantage de la Nation, je prendrai la liberté de vous dire les choses comme je les pense, & comme la connoissance que j'ai pu avoir du pays & du génie des peuples me les fait penser. Premierement, il paroît absolument nécessaire de faire deux embarquemens chaque année. Le plus considérable pour la Nouvelle Espagne, avec qui on peut faire un commerce très-utile aux deux Nations; l'autre pour les provinces de Cinaloa & de Sonora, d'où l'on peut amener de nouveaux Miffionnaires, & apporter ce qui est nécessaire chaque année à l'entretien de ceux qui font déja ici. Les vaisseaux qui auroient servi aux embarquemens, pourroient aisément d'un voyage à l'autre, être envoyés à de nouvelles découvertes du côté du nord; & la dépense n'iroit pas loin si l'on vouloit employer les mêmes Officiers & les mêmes matelots dont on s'est servi jusqu'ici, parce que vivant à la maniere de ce pays, ils auroient des provisions presque pour rien, & connoissant les mers & les côtes de la Californie, ils navigeroient avec plus de vîtesse & plus de fûreté. Un autre point essentiel, c'est de pourvoir à la subsistance & à la fûreté.. tant des Espagnols naturels qui y font déja, que des Missionnaires qui y viendront avec nous & après nous. Pour les Missionnaires Missionnaires, depuis mon arrivée, j'ai appris, avec beaucoup de reconnoissance & de confolation, que notre Roi Philippe V, que Dieu veuille conserver bien des années, y a déja pourvu de sa libéralité vraiment pieuse & royale, assignant par année à cette Mission une penfion de six mille écus, fur ce qu'il avoit appris des progrès de la Religion dans cette nouvelle Colonie. C'est de quoi entretenir un grand nombre d'ouvriers qui. ne manqueront pas de venir à notre se cours. Pour la fûreté des Espagnols qui font ici, le fort que nous avons déja bâti pourra servir en cas de besoin; il est placé au quartier de Saint-Denis, dans le lieu appellé Concho par les Indiens; nous lui avons donné le nom de NotreDame de Lorette, & nous y avons établi notre premiere Mission. Il a quatre petits bastions, & est environné d'un bon fossé; on y a fait une place d'armes, & on y a bâti des casernes pour le logement des soldats. La chapelle de la fainte Vierge & la maison des Miffionnaires est près du fort. Les murailles de ces bâtimens sont de briques, & les couvertures de bois. J'ai laissé dans le fort dix-huit foldats avec leurs Officiers, Tome VIII. D dont il y en a deux qui font mariés & qui ont famille, ce qui les arrêtera plus aifément dans le pays. Il y a avec cela huit Chinos & Negres pour le service, & douze matelots sur les deux petits bâtimens appellés le Saint-Xavier & le Rosaire, fans compter douze autres ma telots que j'ai pris avec moi sur le SaintJofeph. On a été obligé de renvoyer quelques foldats, parce qu'on n'avoit pas au commencement de quoi les nour rir & les entretenir; cependant vous voyez bien que cette garnison n'est pas affez forte pour défendre long-temps la Nation, fi les Barbares s'avisoient de remuer. Il faut donc y en établir une femblable à celle de la Nouvelle Bifcaye, & la plaçer dans un lieu d'où elle puisse agir par-tout où il seroit nécessaire. Cela seul, fans violence, pourroit tenir le pays tranquille, comme il l'a été jusqu'ici, graces à Dieu, quelques foibles que nous fuffions, D'autres choses paroîtroient moins importantes; mais elles ne le font pas, quand on voit les choses de plus près. Premiérement, il est à propos de donner quelque récompense aux soldats qui font venus ici les premiers. On est redevable en partie à leur courage, des bons suc |