tains temps où le froid est si âpre, qu'il fait mourir une partie du poisson dans les rivieres: les bords en font quelquefois tout infectés. C'est alors que les Indiens courent avec précipitation sur le rivage pour en faire leur provifion; & quelque chose qu'on leur dise pour les détourner de manger ces poissons à demi pourris, ils répondent froidement que le feu raccommodera tout.. Ils font pourtant obligés de se retirer fur les montagnes une bonne partie de l'année, & d'y vivre de la chaffe. On trouve fur ces montagnes une infinité d'ours, de léopards, de tigres, de chevres, de porcs fauvages, & quantité d'autres animaux tout à fait inconnus en Europe. On y voit auffi différentes efpeces de finges. La chair de cet animal, quand elle est boucannée, est pour les Indiens un mets délicieux. Ce qu'ils racontent d'un animal, appellé Ocorome, est assez fingulier. Il est de la grandeur d'un gros chien; fon poil est roux, fon museau pointu, ses dents fort affilées. S'il trouve un Indien défarmé, il l'attaque & le jette par terre, fans pourtant lui faire de mal, pourvu que l'Indien ait la précaution de contrefaire le mort. Alors l'ocorome remue l'Indien, tâte avec soin toutes les parties de fon corps, & se perfuadant qu'il eft mort effectivement, comme il le paroît, il le couvre de paille & de feuillages, & s'enfonce dans le bois le plus épais de la montagne. L'Indien échapé de ce danger, se releve auffi-tôt, & grimpe sur quelque arbre, d'où il voit revenir peu après l'ocorome accompagné d'un tigre qu'il semble avoir invité au partage de fa proie; mais ne la trouvant plus, il pouffe d'affreux hurlemens en regardant fon camarade, comme s'il vouloit lui témoigner la douleur qu'il a de l'avoir trompé. 1 Il n'y a parmi les Moxes ni loix, ni gouvernement, ni police; on n'y voit personne qui commande ni qui obéisse; s'il survient quelque différend parmi eux, chaque particulier se fait justice par ses mains. Comme la stérilité du pays les oblige à se disperser dans diverses contrées, afin d'y trouver de quoi subsister, leur converfion devient par-là très-difficile, & c'est un des plus grands obstacles que les Miffionnaires aient à furmonter. Ils bâtissent des cabanes fort basses dans les lieux qu'ils ont choifis pour leur retraite, & chaque cabane eft habitée par ceux de la même famille. Ils < : Σ se couchent à terre fur des nattes, ou bien fur un hamac qu'ils attachent à des pieux, ou qu'ils suspendent entre deux arbres, & là ils dorment exposés aux injures de l'air, aux insultes des bêtes, & aux morsures des mosquites. Néanmoins ils ont coutume de parer à ces inconvéniens en allumant du feu autour de leur hamac; la flamme les échauffe, la fumée éloigne les mosquites, & la lumiere écarte au loin les bêtes féroces; mais leur fommeil est bien troublé par le foin qu'ils doivent avoir de rallumer le feu quand il vient à s'éteindre. Ils n'ont point de temps réglé pour leurs repas: toute heure leur est bonne dès qu'ils trouvent de quoi manger.. Comme leurs alimens font groffiers & infipides, il est rare qu'ils y excedent, mais ils sçavent bien se dédommager dans leur boisson. Ils ont trouvé le secret de faire une liqueur très-forte avec quelques racines pourries qu'ils font infufer dans de l'eau. Cette liqueur les enyvre en peu de temps, & les porte aux derniers excès de fureur. Ils en ufent principalement dans les fêtes qu'ils célebrent en l'honneur de leurs Dieux. Au bruit de certains instrumens dont le fon est fort défagréable, ils se rassemblent fous des especes de berceaux qu'ils forment de branches d'arbre entrelacées les unes dans les autres; & là ils dansent tout le jour en défordre, & boivent à longs traits la liqueur enyvrante dont je viens de parler. La fin de ces fortes de fêtes est presque toujours tragique : elles ne se terminent gueres que par la mort de plusieurs de ces insenses, & par d'autres actions indignes de l'homme raisonnable. Quoiqu'ils foient sujets à des infirmités presque continuelles, ils n'y apportent toutefois aucun remede. Ils ignorent même la vertu de certaines herbes médicinales, que le seul instinct apprend aux bêtes pour la conservation de leur espece. Ce qu'il y a de plus déplorable, c'est qu'ils font fort habiles dans la connoissance des herbes venimeuses, dont ils fe fervent à toute occasion pour tirer vengeance de leurs ennemis. Ils font dans l'usage d'empoisonner leurs fleches lorsqu'ils se font la guerre, & ce poifon est si présent, que les moindres blessures deviennent mortelles. L'unique foulagement qu'ils se procurent dans leurs maladies, consiste à appeller certains enchanteurs, qu'ils s'imaginent avoir reçu un pouvoir particulier de les guérir; ces charlatans vont trouver les malades, recitent fur eux quelque priere superstitieuse, leur promettent de jeûner pour leur guérifon, & de prendre un certain nombre de fois par jour du tabac en fumée; ou bien, ce qui est une infigne faveur, ils fuccent la partie mal affectée, après quoi ils se retirent, à condition toutefois qu'on leur payera libéralement ces fortes de fervices. Ce n'est pas que le pays manque de remedes propres à guérir tous leurs maux; il y en a abondamment & de très-efficaces. Les Missionnaires qui se font appliqués à connoître les simples qui y croiffent, ont composé, de l'écorce de certains arbres & de quelques autres herbes, un antidote admirable contre la morsure des ferpens. On trouve presque à chaque pas fur les montagnes de l'ébene & du gayac; on y trouve aussi la canelle fauvage, & une autre écorce d'un nom inconnu, qui eft trèsfalutaire à l'eftomac, & qui appaise sur le champ toutes fortes de douleurs. Il y croît encore plusieurs autres arbres, qui distillent des gommes & des aromates propres à réfoudre les humeurs, à échauffer, & à ramollir; fans parler |