tout vers la nouvelle lune, ces minif tres de satan rassemblent les peuples fur quelque colline un peu éloignée de la bourgade. Dès le point du jour tout le peuple marche vers cet endroit en filence; mais quand il est arrivé au terme, il rompt tout-à-coup ce filence par des cris affreux. C'est, disent-ils, afin d'attendrir le cœur de leurs Divinités. Toute la journée se passe dans le jeûne, & dans ces cris confus; & ce n'est qu'à l'entrée de la nuit qu'ils les finissent par les cérémonies suivantes. Leurs Prêtres commencent par se couper les cheveux, (ce qui est parmi ces peuples le signe d'une grande allégrefle) & par fe couvrir le corps de différentes plumes jaunes & rouges. Ils font apporter ensuite de grands vases, où l'on verse la liqueur enivrante qui a été préparée pour la folemnité; ils la reçoivent comme des prémices offertes à leurs Dieux, & après en avoir bu sans mefure, ils l'abandonnent à tout le peuple, qui, à leur exemple, en boit aussi avec excès. Toute la nuit est employée à boire & à danser: un d'eux entonne la chanfon, & tous formant un grand cercle, se mettent à traîner les pieds en cadence, & à pancher non-chalam 1 : ment la tête de côté & d'autre avec des mouvemens de corps indécens, car c'est en quoi consiste toute leur danse. On est censé plus dévot & plus religieux à proportion qu'on fait plus de ces folies & de ces extravagances. Enfin ces fortes de réjouissances finissent d'ordinaire, comme je l'ai déjà dit, par des blessures ou par la mort de plusieurs d'entre eux. Ils ont quelque connoissance de l'immortalité de nos ames: mais cette lumiere est fi fort obfcurcie par les épaisses ténebres dans lesquelles ils vivent, qu'ils ne soupçonnent pas même qu'il y ait des châtimens à craindre, ou des récompenses à espérer dans l'autre vie. Aufsi ne se mettent-ils gueres en peine de ce qui doit leur arriver après leur mort. Toutes ces Nations font diftinguées les unes des autres par les diverses langues qu'elles parlent: on en compte jufqu'à trente-neuf différentes, qui n'ont pas le moindre rapport entre elles. Il est à présumer qu'une si grande variété de langage est l'ouvrage du démon, qui a voulu mettre cet obstacle à la promulgation de l'Evangile, & rendre par ce moyen la conversion de ces Peuples plus difficile. C'étoit en vue de les conquerir au Royaume de Jesus-Christ, que les premiers Missionnaires Jésuites établirent une Eglise à Sainte-Croix de la Sierra, afin qu'étant à la porte de ces terres infidèles, ils pussent mettre à profit la premiere occasion qui s'offriroit d'y entrer. Leur attention & leurs efforts furent inutiles pendant près de cent ans : cette gloire étoit réservée au Pere Cyprien Baraze, & voici comment la chose arriva. Le Frere del Castillo qui demeuroit à Sainte-Croix de la Sierra, s'étant joint à quelques Espagnols qui commerçoient avec les Indiens, avança assez avant dans les terres. Sa douceur & fes manieres prévenantes gagnerent les principaux de la Nation, qui lui lui promirent de le recevoir chez eux. Transporté de joie, il partit aussi-tôt pour Lima, afin d'y faire connoître l'espérance qu'il y avoit de gagner ces barbares à Jesus-Christ. Il y avoit longtemps que le Pere Baraze pressoit ses Supérieurs de le destiner aux Missions les plus pénibles. Ses defirs s'enflammerent encore, quand il apprit la mort glorieuse des Peres Nicolas Mafcardi, & Jacques-Louis de Sanvitores, qui, après s'être consumés de travaux, l'un dans le Chili, & l'autre dans les Ifles Marianes, avoient eu tous deux le bonheur de sceller de leur sang les vérités de la foi qu'ils avoient prêchées à un grand nombre d'infideles. Le Pere Baraze renouvella donc ses instances, & la nouvelle Mission des Moxes lui échut en partage. Ce fervent Missionnaire se mit aussitôt en chemin pour Sainte-Croix de la Sierra avec le F. del Castillo: à peine y furent-ils arrivés, qu'ils s'embarquerent sur la riviere de Guapay, dans un petit canot fabriqué par les Gentils du Pays, qui leur servirent de guides. Ce ne fut qu'après douze jours d'une navigation très-rude, & pendant laquelle ils furent plusieurs fois en danger de périr, qu'ils aborderent au Pays des Moxes. La douceur & la modestie de l'homme Apoftolique, & quelques petits présens qu'il fit aux Indiens, d'hameçons, d'aiguilles, de grains de verre, & d'autres choses de cette nature, les accoutumerent peu à peu à sa présence, Pendant les quatre premieres années qu'il demeura au milieu de cette Nation, il eut beaucoup à souffrir, foit de l'intempérie de l'air qu'il respiroit fous un nouveau climat, ou des inondations fréquentes, accompagnées de pluies presque continuelles & de froids piquans; foit de la difficulté qu'il eut à apprendre la langue; car outre qu'il n'avoit ni maître, ni interprête, il avoit affaire à des Peuples si grossiers, qu'ils ne pouvoient même lui nommer ce qu'il s'efforçoit de leur faire entendre par signe; foit enfin de l'éloignement des Peuplades qu'il lui falloit parcourir à pied, tantôt dans des Pays marécageux & inondés, tantôt dans des terres brûlantes; toujours en danger d'être facrifié à la fureur des barbares, qui le recevoient l'arc & les fleches en main, & qui n'étoient retenus que par cet air de douceur qui éclatoit sur son visage; tout cela joint à une fiévre quarte qui Je tourmenta toujours depuis son entrée dans le pays, avoit tellement ruiné ses forces, qu'il n'avoit plus d'espérance de les recouvrer que par le changement d'air. C'est ce qui lui fit prendre la réfolution de retourner à Sainte-Croix de la Sierra, où en effet il ne fut pas longtemps sans rétablir tout-à-fait sa santé. |