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s'estimer d'après la splendeur de sa table ou de ses draperies; elle donne ce qu'elle a et tout ce qu'elle a; mais sa propre majesté peut prêter à de simples gâteaux d'avoine et à une eau limpide plus de grâce que n'en ont les somptueux festins des cités.

La tempérance du héros découle de ce même désir de ne pas déshonorer sa dignité. Mais il aime la tempérance pour son élégance et non pour son austérité; il ne lui semble pas digne d'employer son temps à prendre des airs solennels pour dénoncer avec amertume l'habitude de manger de la chair et de boire du vin, l'usage du tabac, de l'opium, du thé, de la soie et de l'or. Un grand homme sait à peine comment il dîne, comment il s'habille; mais sans être méthodique et précise sa vie est naturelle et poétique. John Éliot, l'apôtre indien, buvait de l'eau, et disait du vin : « C'est une noble et généreuse liqueur, et nous devons être humblement reconnaissants envers Dieu pour nous l'avoir donnée; mais, s'il m'en souvient, l'eau fut créée avant lui. » Plus belle encore est la tempérance du roi David, qui renversa à terre, pour en faire un sacrifice au Seigneur, l'eau que trois de ses guerriers lui avaient apportée au péril de leur vie pour le désaltérer.

On raconte de Brutus, que lorsqu'il se perça de son épée, après la bataille de Philippes, il cita une ligne d'Euripide: «< O vertu! je t'ai suivie toute ma vie, et à la fin j'ai vu que tu n'étais qu'une ombre! » Le héros, je n'en doute pas, est calomnié par ce récit; une âme héroïque ne vend pas sa justice et sa noblesse; elle ne demande pas à dîner agréablement et à dormir chaudement. L'essence de la grandeur consiste dans la connaissance que la vertu se suffit à elle-même; la pauvreté est son ornement; elle n'a pas besoin de l'opulence, et lorsqu'après l'avoir possédée elle l'a perdue, elle sait s'en passer.

Mais ce qui saisit le plus vivement mon imagination parmi toutes les qualités des hommes héroïques, c'est la bonne humeur et l'hilarité qu'ils manifestent. Souffrir avec solennité, entreprendre et oser avec solennité, c'est une hauteur à laquelle peut parfaitement atteindre le devoir ordinaire. Mais les grandes âmes font si bon marché du succès, de l'opinion et de la vie, qu'elles n'essayent pas d'attendrir leurs ennemis par des pétitions, et en exposant leurs chagrins en spectacle ; elles gardent leur habituelle grandeur. Scipion, accusé de concussion, refuse de se faire à lui-même le déshonneur de se justifier, et il met en pièces devant la tribune le relevé de ses comptes, qu'il tenait entre les mains. Socrate se condamnant lui-même pour avoir été honoré dans le Prytanée pendant toute sa vie, et Thomas Morus, plaisantant sur l'échafaud, sont de la même race de héros. Dans le Voyage sur mer de Beaumont et Fletcher, Juletta parle ainsi au brave capitaine et à son équipage : « JULETTA. Eh quoi! esclaves, ne savez-vous pas qu'il est en notre pouvoir de vous faire pendre?

LE MAITRE. Oui! mais aussi en revanche il est en notre pouvoir d'être pendus et de vous mépriser. >>

Ces réponses sont pleines et retentissantes. La gaieté et la plaisanterie sont la fleur et la lumière d'une santé parfaite. Les grandes âmes ne demanderont jamais à prendre au sérieux aucune chose; toutes les choses sont pour elles aussi gaies que le chant d'un oiseau, fût-ce la construction de nouvelles cités ou l'extirpation de vieilles nations et de vieilles églises qui auraient encombré la terre pendant des milliers d'années. Les simples cœurs jettent par derrière eux toute l'histoire et toutes les coutumes de la terre, et jouent leur jeu avec une innocente défiance des lois du monde. Si nous pouvions voir comme dans une vision le genre humain rassemblé, ces hommes héroïques nous apparaîtraient comme de petits enfants

folâtrant ensemble, bien qu'aux yeux du genre humain ils traînent après eux une belle et solennelle cargaison d'œuvres et d'influences.

L'intérêt qu'excitent en nous les belles histoires, le pouvoir qu'un roman exerce sur l'imagination de l'enfant, qui retire de dessous le banc de son école le livre défendu, notre amour du héros; c'est là pour nous le fait important. Toutes ces grandes et transcendantes propriétés sont nôtres. Si notre poitrine se dilate lorsque nous admirons l'énergie grecque, l'orgueil romain, c'est que déjà ces sentiments commencent à nous devenir familiers. Efforçons-nous de trouver une assez grande salle dans nos petites demeures pour recevoir cet illustre convive. Les premiers pas que nous ferons, les premiers degrés de dignité que nous monterons nous désabuseront de nos associations superstitieuses avec le temps et le lieu, avec le nombre et l'étendue. Pourquoi donc ces mots Athénien, Romain, Asie, Angleterre, résonnent-ils si fortement à nos oreilles? Sentons et comprenons enfin que c'est là où est le cœur vivant que séjournent les Muses et les dieux, et non dans quelques lieux d'une grande renommée géographique. Nous pensons que le Massachusets, la rivière du Connecticut, la baie de Boston, sont des places chétives, et notre oreille aime les noms d'une topographie étrangère et classique. Mais c'est dans ces lieux, chétifs à notre avis, que nous habitons. Voilà le fait important, et si nous attendons un peu, nous ne tarderons pas à voir que là aussi tout est au mieux. Sachez seulement cela, que vous habitez ici, à cette place, et non à une autre; et l'art et la nature, l'espérance et la crainte, les amis, les anges, l'Être suprême, ne seront pas longtemps absents de la chambre où vous êtes assis. Le brave et affectueux Épaminondas nous paraît-il avoir besoin du mont Olympe pour rendre le dernier soupir, et du soleil de la Syrie? il est bien

couché là où il est. Le Jersey' était pour Washington une terre assez belle, les rues de Londres un sol suffisant pour soutenir les pieds de Milton. Un grand homme illustre le lieu où il habite, rend son pays une terre connue à l'imagination des hommes, et l'air qu'il respire devient l'élément préféré de tous les esprits délicats. La contrée qui est habitée par les plus nobles esprits est aussi la plus belle. Les peintures qui remplissent l'imagination à la lecture des actions de Périclès, de Xénophon, de Colomb, de Bayard, de Sidney, d'Hampden, nous enseignent combien nous rendons notre vie misérable sans nécessité, et comment, par la profondeur de notre vie, nous pourrions orner notre existence de splendeurs plus que royales ou plus que patriotiques, et agir d'après des principes qui toucheraient l'homme et la nature, pendant toute la durée de nos jours.

Nous avons vu ou nous avons entendu parler de jeunes hommes extraordinaires qui n'ont jamais mûri, pour ainsi dire, et dont le rôle dans la vie actuelle n'a pas été extraordinaire. Lorsque nous voyons leur air et leur maintien, lorsque nous les écoutons parler de la religion, de la société, des livres, nous admirons leur supériorité; ils semblent jeter le mépris sur l'état actuel du monde entier; leur ton est celui d'un jeune géant qui est envoyé pour accomplir des révolutions. Mais ils entrent dans une profession et commencent une carrière active, et le géant s'abaisse jusqu'à la stature ordinaire d'un homme. La magie dont ils se servaient, c'étaient les tendances idéales qui font toujours paraître l'actuel ridicule; mais le monde brutal prend sa revanche aussitôt qu'ils descendent de leurs coursiers de feu, pour tracer leur sillon sur son sein. Ils n'ont pas trouvé d'exemples, pas de compagnons, et le cœur leur a manqué. Qu'im

1 État de l'Union américaine.

porte? la leçon qu'ils nous ont donnée dans leurs premières aspirations est encore vraie, et un plus grand courage, un plus pur et plus véridique esprit exécutera nn jour leurs volontés restées sans action, et fera honte au monde. Et pourquoi une femme s'enchaînerait-elle elle aussi à quelque autre femme renommée dans l'histoire? pourquoi penserait-elle que, puisque Sapho, madame de Sévigné, madame de Staël et toutes les âmes des cloîtres qui ont eu génie et culture ne satisfont pas l'imagination, pas même la sereine Thémis, pourquoi penseraitelle qu'elle ne le peut pas? Elle a à résoudre un problème nouveau et qui n'a pas été tenté, le problème le plus charmant peut-être qui se soit jamais présenté. Que la jeune fille, avec une âme élevée, marche sereinement dans sa voie ; qu'elle accepte l'épreuve de chaque nouvelle expérience, que tour à tour elle fasse l'essai de tous les dons que Dieu lui offre, afin qu'elle puisse acquérir le pouvoir et le charme; que son être, toujours récréé par elle-même, soit comme une nouvelle aurore rayonnant hors de l'espace. La jeune fille qui rebute l'intrigue par le choix précis et hautain de certaines influences, qui sans souci de plaire reste volontaire et élevée, souffle quelque chose de sa noblesse à chacun de ses admirateurs. Le cœur silencieux l'encourage. O amie! ne vous embarquez jamais avec crainte; allez au port grandement, ou voyagez avec Dieu sur les mers. Ce n'est pas en vain que vous vivez, car chaque œil qui passe est réjoui et purifié par votre vue.

Le caractère d'un héroïsme naïf c'est sa persistance. Tous les hommes ont des élans errants, des accès et des tressaillements de générosité. Mais si vous avez pris la résolution d'être grand, habitez avec vous-même, et n'allez pas lâchement essayer de vous réconcilier avec le monde. L'héroïque ne peut être le commun, ni le commun l'héroïque. Cependant nous avons la faiblesse de

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