est accompli, la connaissance instantanée du bienfait d'une part, de la dette de l'autre, c'est-à-dire de la supériorité et de l'infériorité, se fait sentir. La transaction reste dans son souvenir et dans celui de son voisin, et chaque nouvelle transaction altère selon sa nature leurs relations mutuelles; il s'aperçoit bientôt qu'il aurait mieux valu qu'il se cassât les os que de monter dans la voiture de son voisin, et que le plus haut prix dont il puisse payer une chose, c'est de demander à l'emprunter. Un homme sage étend toujours les leçons de l'expérience à toutes les occasions de la vie, et sait que c'est le fait de la prudence de regarder en face chaque créancier, et de payer toute juste demande avec notre temps, nos talents ou notre cœur. Payez toujours, car tôt ou tard vous payerez la dette entière. Les personnes et les événements peuvent, pendant un temps, se tenir entre vous et la justice, mais ce n'est que pour un temps; vous devez à la fin payer votre dette. Si vous êtes sages vous craindrez une prospérité qui ne sert qu'à vous enfoncer davantage. Le bienfait est la fin de la nature. Mais un impôt est levé sur chaque bienfait que vous recevez. Celui-là est grand qui rend le plus de bienfaits; mais il est vil — et c'est même la seule chose vile qu'il y ait dans l'univers - de recevoir des faveurs et de n'en rendre aucune. Dans l'ordre de la nature, nous ne pouvons que rarement rendre les bienfaits à ceux de qui nous les recevons. Mais le bienfait doit être rendu à quelqu'un, ligne pour ligne, acte pour acte, centime pour centime. Craignez de garder trop de biens entre vos mains; ils se corrompront promptement et engendreront la corruption. Payez vite, d'une manière ou d'une autre. Le travail est protégé par les mêmes lois sans pitié. Le travail le meilleur marché est le plus cher, disent les prudents. Ce que nous achetons dans un balai, une natte, un wagon, un couteau, c'est une certaine application du bon sens à un besoin commun. Vous payez pour cultiver votre jardin un habile jardinier, ce que vous payez c'est le bon sens appliqué à l'horticulture; dans le marin c'est le bon sens appliqué à la navigation; dans les domestiques, c'est le bon sens appliqué à la cuisine, aux travaux d'aiguille, au service de la maison; dans votre homme d'affaires, c'est le bon sens appliqué à vos affaires et à vos comptes. C'est par tous ces agents que vous multipliez votre présence, et que vous vous répandez vous→. même dans toute votre position sociale. Mais à cause de la double constitution de toutes choses, il n'y a nulle part d'escroquerie. Le voleur se vole lui-même, le filou s'escroque lui-même; car le prix réel du travail, c'est la science et la vertu, dont la richesse et le crédit sont les signes. Ces signes, comme le papier-monnaie, peuvent être contrefaits et dérobés; mais ce qu'ils représentent, c'est-à-dire la science et la vertu, ne peut être volé. Ces fins du travail ne peuvent être accomplies que par les exercices réels de l'esprit et par l'obéissance à des motifs purs. L'escroc, l'homme négligent, le joueur, ne peuvent extorquer ni les bienfaits, ni cette science de la. nature matérielle et morale que ses honnêtes soucis et ses peines apprennent au travailleur. La loi de la nature est celle-ci Accomplis cette action, et tu acquerras le. pouvoir qui est en elle; mais ceux qui n'accomplissent pas l'action ne conquièrent pas le pouvoir. Le travail humain dans toutes ses formes, depuis l'action qui consiste à ficher un pieu en terre jusqu'à la construction d'une cité, jusqu'à la création d'un poëme épique, est une immense explication de la parfaite com-. pensation de l'univers. Partout et toujours cette loi est sublime. L'absolue balance du prenez et du donnez, la doctrine que chaque chose a son prix, et que si le prix n'est pas payé, quelque autre chose, sinon celle-là, sera prise en payement; qu'il est impossible d'acquérir aucune chose sans la payer; cette doctrine, dis-je, ne se montre pas moins sublime dans les colonnes d'un teneur de livres que dans les budgets des États, que dans les lois de la lumière et des ténèbres, que dans toutes les actions et réactions de la nature. Je ne puis douter que les hautes lois que tout homme voit impliquées dans les affaires qui lui sont familières, que ces lois sévères de la morale qui se reflètent sur l'acier de son ciseau, qui sont mesurées par son fil à plomb et son mètre, que les comptes d'une boutique manifestent aussi bien que l'histoire de tout un État, ne lui rendent son étal recommandable et n'élèvent ses affaires à la hauteur de son imagination. Cette ligue entre la vertu et la nature oblige toutes les choses à montrer au vice un front hostile. Les belles lois et toutes les substances de ce monde persécutent et fouettent le traître. Le traitre trouve que toutes les choses sont arrangées pour la vérité et le bienfait, et qu'il n'y a pas sur toute la terre un repaire pour cacher un coquin. Le secret n'existe pas; commettez un crime et la terre devient de verre ; commettez un crime, et il semble qu'un manteau de neige ait été étendu sur la terre, pareil à ceux que nous montrent les traces de chaque perdrix, de chaque renard, de chaque écureuil et de chaque taupe. Vous ne pouvez retirer le mot prononcé, vous ne pouvez essuyer la trace du pied, vous ne pouvez retirer l'échelle afin de fermer toute issue et de protéger votre retraite; toujours il transpire quelque circonstance qui vous condamne; les lois et les substances de la nature, l'eau, la neige, le vent, la gravitation, deviennent des pénalités pour le voleur. D'nn autre côté, la loi de compensation appuie avec une égale sûreté toute droite action. Aimez et vous serez aimé. Tout amour est mathématiquement juste, aussi juste que les deux termes d'une équation algébrique. L'homme bon possède le bien absolu, qui, comme le feu, fait revenir toute chose à sa véritable nature; de sorte que vous ne pouvez lui faire aucun tort, et que, semblables aux royales armées envoyées contre Napoléon, qui, à son approche, mettaient bas les drapeaux et d'ennemies devenaient amies, les désastres de tout genre, la maladie, les offenses, la pauvreté, deviennent pour lui des bienfaiteurs. « Les eaux et les vents roulent et soufflent au brave la force, la puissance, la divinité, et cependant en eux-mêmes les eaux et les vents ne sont rien. » Les bons sont favorisés même par leur faiblesse et leurs défauts. De même qu'un homme n'eut jamais une pointe d'orgueil qui ne fût injurieuse pour lui-même, ainsi aucun homme non plus n'a jamais eu un défaut qui ne lui ait été parfois utile. Le cerf de la fable admirait ses cornes et critiquait ses pieds; mais lorsque vint le chasseur ses pieds le sauvèrent, et plus tard ses cornes, s'étant embarrassées dans un buisson, le perdirent. Tout homme trouve, dans le cours de sa vie, l'occasion de rendre grâce à ses défauts. Aucun homme ne comprend pleinement une vérité qu'après l'avoir combattue, et n'a une complète connaissance des obstacles que les autres hommes peuvent lui opposer et de leurs talents, que lorsqu'il a souffert de ces obstacles, vu le triomphe de ces talents, et senti en lui-même leur absence. A-t-il un défaut de caractère qui l'empêche de vivre en société, il est alors forcé de s'entretenir avec lui-même; dans cette solitude, il acquiert l'habitude de se suffire à lui-même, et ainsi, comme l'huître blessée, il raccommode sa coquille avec des perles. Notre force naît de notre faiblesse. Jusqu'à ce que nous soyons égratignés et piqués, jusqu'à ce que les puissances ennemies aient fait feu sur nous, l'indignation qui s'arme de forces secrètes ne s'éveille pas. Un grand homme veut toujours être petit. Tant qu'il reste couché sur les coussins d'une avantageuse commodité, il s'assoupit et se laisse entraîner vers le sommeil. Mais lorsqu'il a été harcelé, tourmenté, battu, ses misères l'ont instruit ; il a été replacé par elles dans son assiette, dans sa virilité; il a acquis la connaissance des faits et la connaissance de sa propre ignorance; il est guéri des folies de l'illusion; il a acquis la modération et une réelle habileté. L'homme sage s'élance toujours sur ses assaillants. Trouver son point faible est encore plus son intérêt que celui de ses ennemis. Ses blessures se cicatrisent et tombent, pour ainsi dire, comme une peau desséchée; et lorsque ses ennemis s'apprêtent à triompher, ils s'aperçoivent qu'il est devenu invulnérable. Le blâme est plus sain que la louange. Je ne puis souffrir d'être défendu par un journal. Tant que tout ce qui se dit sur moi m'est hostile, j'ai le sentiment d'un certain succès; mais aussitôt que les mots emmiellés de la louange me sont adressés, je me sens comme sans protection en face de mes ennemis. En général, tout mal auquel nous ne succombons pas est pour nous un bienfaiteur. Nous gagnons la force de la tentation à laquelle nous résistons, comme l'habitant des îles Sandwich croit que la force et le courage de l'ennemi qu'il tue passent en lui. Les mêmes gardes qui nous défendent contre le désastre, les inimitiés et nos propres imperfections, nous protégent aussi contre l'égoïsme et la fraude. Les prisons et les tribunaux ne sont pas les meilleures de nos institutions, et la subtilité dans les affaires n'est pas une marque de sagesse. Tout le long de leur vie les hommes souffrent, en proie à cette folle superstition qu'ils peuvent être trompés. Mais il est aussi impossible à un |