pays. Ce fait, je l'expérimentais encore dans les chambres de sculpture de l'Académie de Naples, et lorsque je revins à Rome, et que je vis les peintures de Raphaël, de Michel-Ange, de Sacchi, de Titien et de Léonard de Vinci. Ce fait, qui me suivait partout, je pouvais lui dire comme Hamlet, à l'ombre de son père : « Quelle vieille taupe! comme tu marches promptement sous la terre. » Il avait voyagé à mes côtés; j'imaginais que je l'avais laissé à Boston, et je le retrouvais au Vatican, à Milan, à Paris, qui rendait tous mes voyages aussi ridicules que le mouvement d'un moulin. C'est pourquoi maintenant je demande aux peintures qu'elles me ramènent à mon pays et qu'elles me replacent dans ma vie domestique 1, et non qu'elles m'éblouissent. Les peintures ne doivent pas être trop pittoresques. Rien n'étonne plus les hommes que le sens commun et les simples actions. Toutes les grandes actions ont été simples, toutes les grandes peintures le sont aussi. La transfiguration de Raphaël est un exemple éminent de ce mérite particulier. Une calme et bienfaisante beauté brille sur toute cette peinture et va directement au cœur; il semble presque qu'elle vous appelle par votre nom. La douce et sublime physionomie de Jésus est au-dessus de toute espèce de louanges, et cependant combien elle désappointe toutes les suppositions fleuries que nous avions formées d'avance. Cette physionomie est si familière, si simple, si domestique, qu'en la voyant il semble que nous rencontrions un ami. La science des amateurs de peinture a son prix; mais ne prêtes pas l'oreille à leurs critiques lorsque ton cœur est ému. Ce tableau n'a pas été peint pour eux, il a été peint pour toi et pour tous ceux qui ont des yeux capables d'être touchés par la simplicité et le cœur capable d'émotions élevées. 1 Domesticate, mot que j'ai déjà signalé dans l'Essai sur la confiance en soi. Cependant, lorsque nous avons dit sur les arts toutes sortes de belles choses, nous devons terminer par une franche confession, et avouer que les arts tels que nous les connaissons ne sont qu'une initiation. Nous devons nos meilleures louanges au but qu'ils ont poursuivi, au résultat qu'ils ont promis, et non pas au résultat actuel qu'ils ont atteint. Celui-là a faiblement compris les ressources de l'homme qui peut penser que le meilleur âge de la production est passé. La valeur réelle de l'Iliade et de la Transfiguration, c'est surtout le signe de la puissance que ces œuvres laissent apercevoir; c'est que ces œuvres sont les vagues et les ondes du grand courant qui mène les arts à leur destination, des marques d'un effort infini pour produire que l'âme trahit même dans son pire état. L'art n'est pas encore arrivé à sa maturité, s'il ne s'est pas mis en rapport avec les puissantes influences du monde, s'il n'est pas pratique et moral, s'il ne s'est pas étroitement uni à la conscience, s'il n'a pas encore fait sentir aux hommes pauvres et sans culture qu'il s'adresse à eux avec une voix pleine d'une gaieté élevée. La tâche de l'art est plus élevée que les arts; ceux-là sont les enfants avortés d'un instinct imparfait ou vicié. L'art est le besoin de créer; mais par la fatalité de son essence immense et universelle, il est impatient de travailler, même avec les mains engourdies ou enchaînées, et de faire des perclus et des monstres, tels que le sont toutes les statues et toutes les peintures. La fin de l'art n'est rien moins que la création de la nature et de l'homme. Un homme peut trouver ainsi en lui une issue pour son énergie entière; tandis qu'il ne peut peindre et sculpter que dans une certaine mesure. Alors l'art se dilatant, renverse les murailles des circonstances du côté des spectateurs comme du côté de l'artiste, réveille dans le contemplateur le même sens de puissance et d'universelle relation que l'œuvre a montré chez l'artiste, et ainsi, par l'effet le plus élevé qu'il puisse produire, forme de nouveaux artistes. Déjà l'histoire est assez vieille pour témoigner de la décrépitude et de la disparition des arts particuliers. L'art de la sculpture a depuis longtemps perdu tout effet réel; ce fut à l'origine un art utile, une manière d'écrire, un registre sauvage de gratitude et de dévotion; puis cette sculpture enfantine fut élevée à sa plus haute splendeur chez un peuple doué d'une merveilleuse perception de la forme. Mais la sculpture est le jeu d'un peuple sensuel et jeune et non pas le travail viril d'une sage et spirituelle nation. Sous un arbre chargé de feuilles et de fruits, sous un ciel plein d'yeux éternels, je me sens au milieu de la vie universelle; mais dans les arts de nos œuvres plastiques, et spécialement de la sculpture, la création est mise au rebut dans un coin. Je ne puis me cacher à moi-même qu'il y a dans la sculpture une certaine apparence de bassesse, qu'elle participe de la puérilité des joujoux d'enfants, et qu'elle a je ne sais quoi des trompe-l'œil de théâtre. La nature dépasse et domine tous nos modes de penser, et nous ne lui avons pas encore arraché son secret. Mais la galerie est à la disposition de nos modes de penser, et il y a pourtant un moment où tout cela semble frivole. Je ne m'étonne pas si Newton, dont l'attention était ordinairement attachée à observer la marche des planètes et des soleils, se demandait ce que le comte de Pembroke trouvait à admirer dans ces poupées de pierre. La sculpture peut servir à enseigner à l'élève combien est profond le secret de la forme, et combien purement l'esprit peut traduire sa pensée dans ce dialecte éloquent. Mais la statue semblera froide et fausse en face de cette activité instantanée, impétueuse à se précipiter à travers toutes choses, et impatiente devant les contrefaçons et les choses sans vie. La peinture et la sculpture sont les célébrations et les fêtes de la forme. Mais le véritable art n'est jamais fixé, il est toujours flottant. La plus douce musique n'est pas dans l'oratorio, elle est dans la voix humaine, lorsque celle-ci exprime la vie du moment en des tons de tendresse, de vérité ou de courage. L'oratorio a déjà perdu ses rapports avec le matin, le soleil et la terre; mais cette voix persuasive de l'homme est en accord avec toutes ces choses. Toutes les œuvres de l'art devraient être des exécutions instantanées et non pas détachées. Par chacune de ses attitudes et de ses actions un grand homme est une statue toujours nouvelle. Une belle femme est une peinture qui rend noblement fous ceux qui la contemplent. La vie peut être épique ou lyrique aussi bien qu'un poëme ou un roman. Une véritable révélation de la loi de création, s'il se trouvait un homme digne de la dénoncer, ce serait de transporter l'art dans le royaume de la nature, et de détruire les oppositions et les séparations qui ont été établies dans son existence. Les fontaines de l'invention et de la beauté dans la société moderne sont toutes desséchées'. Une nouvelle populaire, un théâtre, une salle de bal nous font sentir que nous sommes comme des indigents dans les hôpitaux de ce monde, sans dignité, sans habileté, sans industrie. L'art est pauvre et vil. La vieille Nécessité tragique, qui s'abaisse même sur les sourcils des Vénus et des Cupidons de l'art antique, et qui nous donne la seule explication apologétique possible pour l'introduction de telles figures anormales dans la nature, en nous faisant sentir qu'elles étaient inévitables, que l'artiste était ivre d'une passion pour la forme à laquelle il ne pouvait résister, et qui se faisait jour d'elle-même dans ces belles extravagances, a cessé d'ennoblir le ci ''Cela est très vrai; l'art ne crée plus qu'en vertu d'une formule d'école et n'est plus l'image de la vie. seau ou le pinceau. L'artiste, le connaisseur, cherchent maintenant dans l'art une exhibition de leur talent ou un asile contre les maux de la vie. Les hommes ne sont plus contents des figures que se forme leur imagination, alors ils ont recours à l'art et placent le meilleur de leurs sentiments dans un oratorio, dans une statue, dans une peinture. L'art fait le même effort que la prospérité sensuelle, c'est-à-dire qu'il sépare le beau de l'utile, qu'il se dépêche d'accomplir son œuvre, comme si elle était inévitable, et la haïssant se tourne du côté de la jouissance. Mais ces consolations et ces compensations, cette division de la beauté et de l'utilité, les lois de la nature ne les permettent pas. Aussitôt que la beauté n'est plus poursuivie par religion et par amour, mais en vue du plaisir, elle dégrade l'homme qui la poursuit ; il ne peut pas plus longtemps atteindre la haute beauté sur la toile, ou dans la pierre, ou dans le son, ou dans la construction lyrique; une beauté efféminée, prudente, maladive, qui n'est pas la beauté, est tout ce qu'il peut former, car la main ne peut exécuter une chose plus haute que celle que le caractère peut inspirer. L'art qui sépare et rejette est lui-même d'abord rejeté. L'art ne doit pas être un talent superficiel, mais doit avoir ses origines plus avant dans l'homme. Aujourd'hui les hommes ne trouvent plus la nature belle, et ils vont à leur atelier pour exécuter une statue qui le sera. Ils abhorrent les hommes, les déclarant sans goût, stupides, entêtés, et ils se consolent au moyen de sacs à couleurs et de blocs de marbre; ils rejettent la vie comme prosaïque, et ils créent une mort qu'ils appellent poétique; ils se hâtent d'accomplir les travaux de la journée pour fuir vers des rêveries voluptueuses. Ils mangent et boivent afin d'exécuter ensuite l'idéal. Ainsi l'art est avili; ce mot ne rappelle à l'esprit que son secondaire et mauvais sens; il est regardé par notre imagination comme |