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ne prédit pas la magie des sons? Est-ce que les doigts constructeurs de Watt, de Fulton, de Whittemore, d'Arkwright, ne révèlent pas les qualités fusibles, dures ou tempérées des métaux, les propriétés de la pierre, de l'eau et du bois? Est-ce que les charmants attributs de la petite fille ne prédisent pas par avance les raffinements et les décorations de la société civile? Là aussi dans la société nous rencontrons l'action de l'homme sur l'homme. Un homme pourrait méditer pendant des siècles sans acquérir autant de connaissance de lui-même que la passion de l'amour lui en donnera en un seul jour. Sait-il ce qu'il est avant d'avoir frémi d'indignation en face d'un outrage, avant d'avoir écouté une voix éloquente, avant d'avoir partagé la palpitation de milliers de cœurs dans une alarme ou dans un enthousiasme national? Personne ne peut antidater son expérience et chercher quelle faculté ou quel sentiment un nouvel objet ouvrira en lui, pas plus que nous ne pouvons dessiner aujourd'hui les traits de la personne que nous verrons demain pour la première fois.

Je ne dépasserai pas les généralités pour explorer la raison de cette correspondance entre l'homme et la nature. Qu'il suffise de savoir que c'est à la lumière de ces deux faits, à savoir que l'esprit est un, et que la nature est corrélative de l'esprit, que l'histoire doit être lue et écrite.

Ainsi dans tous ses domaines l'âme concentre et reproduit ses trésors pour chaque disciple, pour chaque homme nouvellement né. Lui aussi passera à travers le cycle entier de l'expérience. L'histoire ne sera pas plus longtemps un livre stérile. Elle marchera incarnée dans chaque homme sage et juste. Vous ne viendrez pas me réciter les titres et le catalogue des livres que vous avez lus; vous me ferez sentir quelles périodes vous avez vécues. Un homme sera le temple de là renommée. Il

marchera vêtu comme les poëtes ont décrit cette déesse, d'une robe représentant les événements et les expériences les plus merveilleuses; sa propre forme et ses traits,

grâce à leur intelligence élevée, seront cette robe variée. Je trouverai en lui le monde antérieur, dans son enfance l'âge d'or, puis les pommes de la science, l'expédition des Argonautes, la vocation d'Abraham, la construction du temple, l'avénement du Christ, le moyen àge, la renaissance des lettres, la réformation, la découverte de nouvelles terres, l'éclosion dans l'âme humaine de nouvelles sciences et de nouvelles nations. Il sera le prêtre de Pan, et portera avec lui dans les plus humbles demeures les bénédictions des étoiles du matin et tous les bienfaits de la terre et du ciel.

Y a-t-il quelque chose de trop présomptueux dans cette prétention? Alors je rejetterai tout ce que j'ai écrit; car où est l'utilité de prétendre savoir ce que nous ne savons pas? C'est là le défaut de notre rhétorique, nous ne pouvons affirmer fortement un fait sans paraître à l'instant en nier quelque autre. Je tiens notre science actuelle pour peu de chose. Écoutez les rats dans le mur, voyez le lézard sur la plate-forme, le champignon sous vos pieds, le lierre autour de l'arbre. Qu'est-ce que je connais moralement, sympathiquement de chacun de ces mondes de vie? Aussi vieilles que l'homme, plus vieilles peut-être, ces créatures ont tenu conseil en dehors de lui, et il n'y a pas souvenir d'un mot, d'un signe qui ait passé de la langue de l'un dans celle de l'autre. Et bien plus, qu'est-ce que l'histoire raconte des annales métaphysiques de l'homme? Quelle lumière jette-t-elle sur ces mystères que nous cachons sous les noms de mort et d'immortalité? Et cependant toute histoire devrait être écrite avec une sagesse qui établit l'ordre de nos affinités et regardât les faits comme des symboles. Je suis honteux de voir quel conte de village est ce que

nous appelons notre histoire. Combien de temps encore dirons-nous Rome et Paris, et Constantinople? Qu'est-ce que Rome m'apprend du rat et du lézard? et que sont les consulats et les olympiades pour les systèmes d'existence qui nous entourent? Quelle nourriture, quelle expérience, quel secours peuvent donner toutes ces choses au chasseur esquimau, au sauvage du Canada dans son canot, au pêcheur, à notre portier, à notre porteur d'eau ?

Nous devons écrire nos annales plus largement et plus profondément, d'après une réformation morale, d'après l'inspiration d'une conscience toujours nouvelle et toujours saine, si nous voulons exprimer avec vérité notre nature centrale et ses relations multiples au lieu de cette vieille chronologie de l'égoïsme et de l'orgueil à laquelle nous avons trop longtemps prêté nos yeux. Déjà ce jour existe pour nous; déjà cette lumière brille sur nous à l'improviste; mais sachons bien que la route des sciences et des lettres n'est pas la route qui conduit vers la nature, mais qui au contraire part de la nature et en sort. L'idiot, l'Indien, l'enfant et le garçon illettré de la ferme sont plus près de la nature et comprennent mieux ses symboles que les disséqueurs d'antiquités.

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Chaque âme est une céleste Vénus pour une autre âme. Le cœur a ses sabbats et ses jubilés pendant lesquels le monde apparaît comme une fête d'hyménée dont les odes érotiques et les danses sont tous les bruits naturels et le cercle des saisons. L'amour est partout présent dans la nature comme motif et récompense. L'amour est notre mot le plus élevé, c'est le synonyme de Dieu. Chaque promesse de l'âme a d'innombrables accomplissements; chacune de ses joies se cueille sur un besoin nouveau. La nature infinie, flottante, prophétique, dès le premier mouvement de tendresse, atteint à une bienveillance universelle qui noie tous les motifs particuliers dans une lueur générale. L'introduction à cette félicité se rencontre dans les tendres et individuelles relations des créatures entre elles, relations qui sont l'enchantement de la vie humaine, qui, à certaines périodes, saisissent l'homme comme une rage et un enthousiasme divins, accomplissent une révolution dans son esprit et dans son corps, l'unissent à sa race, le plient aux relations domestiques et civiles, le remplissent d'une nouvelle sympathie pour la nature, doublent le pouvoir de ses sens, ouvrent son imagination, ajoutent à son caractère des attributs héroïques et sacrés, établissent le mariage, et donnent la permanence à la société humaine,

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L'association naturelle de ce sentiment de l'amour avec la chaleur du sang semble requérir de celui qui veut peindre cette passion avec de vives couleurs une qualité que ne désavouera pas la palpitante expérience de tout jeune homme et de toute jeune fille; c'est que le peintre ne soit pas trop vieux. Les délicieuses imaginations de la jeunesse rejettent la mesquine saveur d'une mûre philosophie, et l'accusent de refroidir par l'âge et le pédantisme le sang pourpré des jeunes cœurs. Aussi je sais bien que j'encours, de la part des personnes qui composent la cour et le parlement de l'amour, une accusation de stoïcisme et d'inutile dureté. Mais j'en appelle de ces formidables censeurs à mes aînés. Car il est à considérer que cette passion, bien qu'elle commence avec la jeunesse, n'oublie cependant pas la vieillesse, ou plutôt qu'elle ne souffre pas que ses véritables serviteurs vieillissent, mais fait participer à ses feux les personnes âgées, non moins que les tendres jeunes filles, quoique d'une manière différente et plus noble. Car l'amour est un feu qui, allumé par une étincelle errante, sorti d'un cœur individuel, brûle d'abord ses premières cendres dans le coin étroit d'un autre cœur, puis brille et s'élargit jusqu'à ce qu'il rayonne sur les multitudes des hommes et des femmes, échauffe leur cœur et illumine ainsi le monde entier et la nature par ses flammes généreuses. C'est pourquoi il importe peu que nous essayions de décrire cette passion à vingt, à trente ou à quatre-vingts ans. Celui qui la peint dans sa première ou dans sa dernière période perdra quelques-uns de ses premiers ou de ses derniers traits. Seulement nous devons espérer qu'avec de la patience et l'aide de la muse nous pénètrerons dans le sanctuaire même de sa loi qui nous montrera une vérité toujours jeune, toujours belle, et qui est tellement le centre du monde, qu'elle frappe l'œil à quelque angle qu'on soit placé,

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