de la ville de l'Assomption, fut tout à coup assiégé par la nation la plus guerrière de ces provinces, n'ayant que vingt personnes avec lui, manquant de vivres, et sans la moindre apparence de pouvoir échapper des mains de ces barbares. Un Indien de nos missions avertit de l'extrême danger où étoit le gouverneur, et sur-le-champ on envoya trois cents hommes, qui par une marche forcée, ayant fait en un jour et demi le chemin qui ne se fait jamais qu'en quatre jours, tombèrent rudement sur les ennemis, en tuèrent plusieurs, mirent les autres en fuite, délivrèrent leur gouverneur, et l'escortèrent jusque dans la capitale. Il seroit ennuyeux d'entrer dans un plus grand détail : il suffit de dire que don Sébastien de Léon, gouverneur du Paraguay, a attesté juridiquement que non-seulement les Indiens des missions lui ont sauvé plusieurs fois la vie, mais encore que, dans l'espace de cent ans, il n'y a eu aucune action dans cette province et il ne s'y est remporté aucune victoire à laquelle ils n'aient eu la meilleure part, et où ils n'aient donné des preuves de leur valeur et de leur attachement aux intérêts du roi. A quoi l'on doit Gajouter les témoignages de tout ce qu'il y a eu d'officiers d'épée et de robe, qui attestent, de leur côté, que dans toutes ces actions leur solde montoit à plus de trois cent mille piastres, dont ils n'ont jamais voulu rien percevoir, regardant comme une grande récompense l'honneur qu'ils avoient de servir sa majesté, et de pouvoir lui témoigner en quelque sorte leur gratitude des priviléges dont elle avoit bien voulu récompenser leur zèle et leur fidélité. Ce seroit cependant faire injure à ces braves Indiens, que de ne pas rapporter l'important service qu'ils rendirent au roi, lorsqu'on fit le siége de la place Saint-Gabriel où du Saint-Sacrement. Dans le dessein qu'eut don Joseph Garro, gouverneur de Buenos-Ayres, de recouvrer cette place, qui avoit été enlevée à la couronne d'Espagne, il donna ordre aux corregidors de nos peuplades de mettre sur pied le plus promptement qu'ils pourroient une armée d'Indiens. On a peine à croire avec quelle promptitude cet ordre fut exécuté. On ne mit que onze jours à rassembler trois mille trois cents Indiens bien armés, deux cents fusiliers, quatre mille chevaux, quatre cents mules, et deux cents boeufs pour tirer l'artillerie. Cette armée se mit en marche, et fit les deux cents lieues qu'il y a jusqu'à SaintGabriel dans un si bel ordre, que le général don Antoine de Vera-Muxica, qui commandoit le siége, fut tout étonné, en recevant ces troupes, de les voir si bien disciplinées. Il fut bien plus surpris le jour même de l'action. Il défendit d'abord d'approcher de la place, jusqu'à ce qu'il eût fait donner le signal par un coup de pistolet : il fit ensuite la disposition de toute l'armée pour l'attaque, et, s'étant mis à l'arrière-garde avec les Espagnols, les mulâtres et les nègres, il plaça nos Indiens à l'avant-garde; et vis-à-vis de la place, il fit mettre les quatre mille chevaux à nu, comme pour servir de rempart, et recevoir les premières décharges de l'artillerie. Aussitôt que les Indiens apprirent cette disposition, ils suspendirent leur marche, et, députant vers le général un de leurs officiers avec le missionnaire qui les accompagnoit pour les confesser, ils lui représentèrent qu'une pareille disposition étoit propre à les faire tous périr; qu'au feu et au premier bruit de l'artillerie, les chevaux épouvantés ou blessés retomberoient sur eux, en tueroient plusieurs, mettroient la confusion et le désordre dans leurs escadrons, et faciliteroient la victoire aux ennemis. Le général goûta fort cet avis, et s'y conforma en changeant sa première disposition. Les Indiens s'approchèrent des murs de la place dans un si grand silence et avec tant d'ordre, que l'un d'eux escalada un boulevard, et coupa la tête à la sentinelle qu'il trouva endormie. Il se préparoit à tuer une autre sentinelle, lors qu'il reçut un coup de fusil. A ce bruit, qui fut pris par les Indiens pour le signal dont on étoit convenu, ils grimpèrent avec un courage étonnant sur le même boulevard, ayant à leur tête leur cacique don Ignace Landau; et, après un combat très-sanglant de trois heures, où les ennemis se défendirent en désespérés, les Indiens commencèrent tant soit peu à s'affoiblir et à plier. Alors le cacique levant le sabre, et animant les siens de la voix et par son exemple, ils rentrèrent dans le combat avec tant de fermeté et de valeur, que les assiégés, voyant leur place toute couverte de morts et de mourans, demandèrent quartier. Les Indiens, qui n'entendoient point leur langue, ne mirent fin au carnage que quand ils en reçurent l'ordre des chefs espagnols. Cette action, qui a mérité aux Indiens les éloges de notre grand monarque, a donné lieu à une des plus atroces calomnies de l'anonyme. Il ne faut que rapporter ses paroles pour découvrir toute sa mauvaise foi. Après avoir dit que trois cent mille familles ne travaillent que pour les jésuites, ne reconnoissent qu'eux et n'obéissent qu'à eux: «Une circonstance, dit-il, qui le fait connoître, c'est que lorsque le gouverneur de Buenos-Ayres reçut l'ordre de faire le siége de Saint-Gabriel, où il y avoit un détachement de cavalerie de quatre mille Indiens, un jésuite à leur tête, le gouverneur commanda au sergent-major de faire une attaque à quatre heures du matin ; les Indiens refusèrent d'obéir, parce qu'ils n'avoient point d'ordre du jésuite, et ils étoient au point de se révolter, lorsque le jésuite, qu'on avoit envoyé chercher, arriva, auprès duquel ils se rangèrent, et n'exécutèrent les ordres du commandant que par la bouche du père. » D'où il conclut par cette réflexion : « L'on doit juger de là, combien ces pères sont jaloux de leur autorité à l'égard des Indiens, jusqu'à leur défendre d'obéir aux officiers du roi, lorsqu'il par s'agit du service. » Que l'anonyme accorde s'il peut la malignité de ses inventions, avec les témoignages authentiques de tant de personnes illustres, qui n'avancent rien dont ils n'aient été eux-mêmes les témoins; ils assurent au roi et à son conseil qu'il n'y a point de forteresse, de places ni de fortifications, soit à Buenos-Ayres, soit dans le Paraguay, ou à Monte-Video, qui n'aient été construites les Indiens; qu'au premier ordre du gouverneur, ils accourent au nombre de trois ou quatre cents, le plus souvent sans recevoir aucun salaire, ni pour leurs travaux, ni pour les frais d'un voyage de deux cents lieues ; que c'est à la valeur de ces fidèles sujets qu'ils sont redevables de la conservation de leurs biens, de leurs familles et de leurs villes. Qu'un soldat romain eût sauvé la vie à un citoyen dans une bataille ou dans un assaut, ou bien qu'il eût monté le premier sur la muraille d'une ville assiégée, la loi ordonnoit de l'anoblir, de l'exempter de tout tribut et de le récompenser d'une couronne civique ou murale. Et notre anonyme trouvera mauvais que nos rois accordent des grâces à nos Indiens, qui ont tant de fois sauvé la vie, les biens et les villes des Espagnols! Il fera un crime aux jésuites de faire valoir les continuels services de ce grand peuple, qui, depuis sa conversion à la foi, n'a jamais eu d'autre objet que le service de Dieu, le service du roi et le bien de l'état! Il a imaginé des richesses immenses dans ces peuplades, et il voudroit le persuader à ceux qui ne sont point au fait de ces pays éloignés. On l'a déjà convaincu de calomnie; mais qu'il dise ce que les jésuites font de ces richesses. Les voit-on sortir des bornes de la modestie de leur état ? Leur vêtement et leur nourriture ne sont-ils pas les mêmes, et quelquefois pires que ceux des Indiens? Le peu de colléges qu'ils ont dans cette province en sont-ils plus riches, et en ont-ils augmenté le nombre? Ils sont tous Eu ropéens : peut-on en citer un seul qui ait enrichi sa famille ? Mais pourquoi ne pas permettre aux étrangers, et même aux Espagnols, de traiter avec les Indiens ? Pour quoi avoir fait une loi qui leur défend de demeurer plus de trois jours à leur passage dans chaque peuplade, où, à la vérité, on fournit à tous leurs besoins, mais sans qu'ils puissent parler à aucun Indien ? A quoi bon tant de précautions? Ces précautions, qui déplaisent tant à l'ano=nyme, ont été jugées de tout temps nécessaires pour la conservation des peuplades. Elles seroient bientôt ruinées, si l'on ouvroit la porte aux mauvais exemples et aux scanEdales que les étrangers ne donnent que trop communément. L'ivrognerie est le vice le plus commun parmi les Indiens; on sait que la chica dans le Pérou, le pulque et le tepache dans la Nouvelle-Espagne, de même que l'eaude-vie dans les deux royaumes, y causent les plus grands ravages, et sont la source d'une infinité de crimes, de ¿haines, de vengeances, et d'autres fautes monstrueuses auxquelles ces peuples s'abandonnent avec d'autant plus de brutalité, qu'ils trouvent moins de résistance. C'est une loi établie parmi les Indiens de nos peuplades, de ne boire aucune liqueur qui soit capable de troubler la raison; et c'est ce qu'avant leur conversion on ne croyoit pas qu'on pût gagner sur eux. Tout esprit d'intérêt en est banni; les jeux mêmes qui leur sont permis sont exempts de toute passion, parce qu'ils ne les prennent que comme un délassement où ils n'ont ni à perdre ni à gagner. L'avarice, la fraude, le larcin, la médisance, les juremens, n'y sont pas même connus. Pour complaire à l'anonyme, blâmera-t-on les jésuites de maintenir ces néophytes dans l'innocence de leurs mœurs, et de fermer l'entrée de leurs peuplades à tous les vices que je viens de nommer, et à beaucoup d'autres, en la fermant aux étrangers? On a une triste expérience de ce qui se passe dans |