DES LETTRES ÉDIFIANTES ÉCRITES DES MISSIONS ÉTRANGÈRES, PRÉCÉDÉ DE TABLEAUX DES PAYS DE MISSION. MISSIONS DE L'AMÉRIQUE. MISSIONS DE LA GUIANE (SUITE). LETTRE DU PÈRE FAUQUE, A Ouyapoc, le 20 septembre 1736. MON RÉVÉREND PÈRE, je vous ai annoncé dans plusieurs de mes lettres le voyage que je projetois de faire chez les Palikours; mais des embarras imprévus, et de fréquens accès d'une fièvre bizarre et opiniâtre, me l'ont fait différer jusqu'au mois de septembre de l'année 1735. Ce fut donc le 5 de ce mois que je m'embarquai dans un petit couillara; c'est un tronc d'arbre creusé dont une extrémité se termine en pointe. Je descendis la rivière d'Ouyapoc dans cette espèce de canot, qui ne peut porter que cinq à six personnes; et je profitai ensuite de la marée pour entrer dans la rivière de Couripi, què nous remontâmes jusqu'à ce que la mer fût à flot. Nous mouillâmes alors, et comme les bords de cette rivière sont impraticables vers son embouchure, il me fallut prendre le repos de la nuit dans mon canot. Aussitôt que la mer commença à monter, nous nous mîmes en route, et vers les sept heures du matin, nous laissâmes à notre droite la rivière de Couripi, pour entrer dans celle d'Ouassa. Vers le midi, je trouvai l'embouchure du Roucaoua, que nous laissâmes aussi à la droite, me réservant d'y entrer à mon retour; et comme la marée ne se faisoit presque plus sentir, nous ne fûmes plus obligés de mouiller; mais la nuit nous ayant surpris avant que nous pussions gagner aucune habitation, il fallut la passer encore dans notre petit canot, avec des incommodités que vous pouvez assez imaginer. Entre trois et quatre heures du matin, nous aperçûmes du feu sur l'un des bords de la rivière. C'étoient quelques Indiens qui campoient là, et qui revenoient de chez leurs parens, établis près d'une grande crique (petite rivière) qu'on nomme Tapamourou, dont je parlerai plus bas. Après un court entretien que j'eus avec eux, je continuai ma route, et je fus fort surpris de ne point trouver ce jour-là d'habitations de sauvages. Je savois néanmoins qu'il y en avoit plusieurs répandues de côté et d'autre; mais, outre que ceux qui m'accompagnoient ignoroient le chemin qui'y conduit, il m'auroit été impossible d'y pénétrer, parce que les marais qu'il faut traverser étoient presqu'à sec. Comme la nuit approchoit, je craignois fort d'être encore obligé de la passer dans mon canot; mais heureusement nous aperçûmes deux Indiens qui étoient à la pêche. Nous courûmes sur eux à force de rames; et eux, qui nous prenoient pour des coureurs de bois, fuyoient devant nous de toutes leurs forces, et nous eûmes bien de la peine à les atteindre. Nous les joignîmes enfin, et ils furent agréablement surpris de trouver dans moi toute la tendresse d'un père. Leur rencontre ne me fit pas moins de plaisir, surtout lorsqu'ils me dirent que leur demeure n'étoit pas fort éloignée. Ils m'y conduisirent, et le lendemain, fête de l'Immaculée-Conception de la trèssainte Vierge, j'eus le bonheur d'y offrir le saint sacrifice de la messe. Dès que l'aube du jour commença à paroître, je dressai mon autel, et je le plaçai hors de la case, afin que de tous les côtés on pût aisément me voir célébrer les saints mystères. C'étoit une nouveauté pour ces peuples, surtout pour les femmes et les enfans, qui n'étoient jamais sortis de leur pays. Aussi se placèrent-ils de telle sorte qu'il ne leur échappa pas la moindre cérémonie, et ils assistèrent à cette sainte action avec une modestie et une attention qui me charmèrent. Je me rendis de là chez mon banaré. C'est le nom qui se donne, parmi les Indiens, à ceux avec lesquels on contracte des liaisons d'amitié, qui s'entretiennent par de petits présens qu'on se fait mutuellement. Il n'omit rien pour me retenir le reste du jour; mais je ne pus lui donner cette satisfaction, parce que j'avois dessein de me rendre chez le capitaine de toute la nation, auquel M. des Roses, chevalier de Saint-Louis, et commandant pour le roi dans ce poste, a donné, depuis environ deux ans, un brevet avec la canne de commandement. Cette canne est un jonc orné d'une pomme d'argent, aux armes de France, qui se donne, de la part du roi, aux capitaines des sauvages. Youcara (c'est le nom de ce capitaine ) est, je crois, le plus âgé de tous les Palikours. Comme je l'avois vu plusieurs fois à Ouyapoc, et que je lui avois souvent promis de l'aller voir chez lui, il me parut charmé que je lui eusse tenu enfin parole, et il n'oublia rien pour me dédommager de toutes les fatigues que j'avois eues à essuyer les jours précédens. Il me parut fort empressé à donner sur cela ses ordres à ses poitos, c'està-dire, à ceux de sa dépendance, et surtout aux femmes, auxquelles appartient le soin du ménage. Après les premiers complimens de part et d'autre, j'entrai d'abord en matière sérieuse, et je lui dis que nous songions efficacement à nous établir parmi eux, pour leur procurer le bonheur d'être chrétiens. Je lui exposai succinctement les motifs, soit surnaturels, soit humains, qui me parurent les plus propres à faire impression sur son esprit. Je n'oubliai pas la protection qu'ils auroient contre les vexations de ceux qui vont en traite; car je savois les sujets de mécontentement qu'il avoit sur cet article, et qui lui tenoient à cœur. Comme il n'entend pas trop bien la langue galibi, dans laquelle je lui parlois, il me répondit qu'il feroit venir un interprète pour m'expliquer ses véritables sentimens. L'interprète arriva le lendemain matin, et, après une courte répétition que je fis de ce que je lui avois dit la veille, il me répondit que sa nation seroit charmée d'avoir des missionnaires, et qu'ils ne viendroient jamais aussitôt qu'elle le souhaitoit. Nous délibérâmes alors sur l'endroit que nous choisirions pour y fixer la mission; mais comme je n'avois pas encore parcouru les rivières de Roucaoua et de Tapamourou, je ne pouvois guère juger quel terrain méritoit la préférence. Maintenant que je les ai parcourues, je crois qu'on ne peut mieux faire que de s'établir chez Youcara, jusqu'à ce qu'on trouve un endroit plus convenable. Sa demeure est presque tout-à-fait à la source de l'Ouassa, d'où l'on peut en un jour entrer dans le Cachipour, par la communication d'une petite crique. Je crois même qu'il y aura là beaucoup moins de maques; c'est un insecte assez sem |