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Maragnon jusque vers son embouchure. On fut quelques années sans recevoir de ses nouvelles, ce qui fit croire à sa mort; mais il reparut, et on apprit de lui que le gouverneur d'une place portugaise l'avoit retenu en prison pendant deux ans comme espion. Ce père a établi sa mission sur cette grande rivière. Il a soin de trente nations indiennes qui habitent autant d'îles, et de celles dont le Maragnon est couvert, depuis l'endroit où sont les Pelados jusqu'à son embouchure.

DISSERTATION

SUR LA RIVIÈRE DES AMAZONES, ET SUR L'OPINION QUI PLACE DANS CETTE contrée une RÉPUBLIQUE DE FEMMES GUERRIÈRES.

Le plus grand fleuve du monde, l'Amazone, a été nommé successivement, et même indifféremment, Maragnon, Apurimac, rivière d'Orellana, Rio de Salimoes, rivière des Amazones, ou simplement l'Amazone; mais ces deux dernières dénominations et celle de Maragnon ont insensiblement prévalu. M. de La Condamine, qui a fait au Pérou, en 1736, avec d'autres académiciens françois, des observations astronomiques et géographiques pour déterminer la figure de la terre, parcourut cette rivière dans tout son cours. Son voyage est rarement en contradiction avec la carte dressée par le père Fritz, missionnaire, qui avoit aussi parcouru l'Amazone dans toute sa longueur; mais il entre dans des détails particuliers qu'il est important de connoître. Écoutons M. de La Condamine:

<< La rencontre qu'Orellana dit avoir faite de quelques femmes armées, en descendant la rivière de Maragnon,

dont un cacique indien lui avoit dit de se défier, la fit nommer la rivière des Amazones. Quelques-uns lui ont donné le nom d'Orellana; mais, avant Orellana, elle s'appeloit déjà Maragnon, du nom d'un autre capitaine espagnol. Les géographes qui ont fait de l'Amazone et du Maragnon deux rivières différentes, trompés, comme Laet, par l'autorité de Garcilaso et d'Herrera, ignoroient sans doute que non-seulement les plus anciens auteurs espagnols originaux appellent celle dont nous parlons Maragnon, dès l'an 1513, mais qu'Orellana lui-même dit dans sa relation qu'il rencontra les Amazones en descendant le Maragnon, ce qui est sans réplique; et, en effet, ce nom lui a toujours été conservé sans interruption jusqu'aujourd'hui depuis plus de deux siècles chez les Espagnols, dans tout son cours, et dès sa source dans le HautPérou. Cependant les Portugais, établis depuis 1516 au Para, ville épiscopale située vers l'embouchure la plus orientale de ce fleuve, ne le connoissoient là que sous le nom de rivière des Amazones, et plus haut sous celui de Salimoes; et ils ont transféré le nom de Maragnon ou de Maranhaon, dans leur idiome, à une ville et à une province entière, ou capitainerie voisine de celle de Para. J'userai indifféremment du nom de Maragnon ou de rivière des Amazones. >>

Selon la carte du père Fritz, ce fleuve prend sa source dans un lac formé par les Cordillères, à trente lieues de Lima, vers le onzième degré de latitude australe. De là il roule ses eaux dans l'étendue de 6 degrés au nord jusqu'à Jaen, dans l'audience de Quito, où il commence à être navigable; mais son cours est embarrassé de rochers qui en rendent la navigation difficile et dangereuse. Il passe vers l'est, presque parallèlement à la ligne équinoxiale, jusqu'au cap de Nord, où il entre dans l'Océan sous l'équateur même, après avoir parcouru depuis Jaen 30 de

grés en longitude, ou sept cent cinquante lieues communes, évaluées les détours à mille ou onze cents par lieues. Il reçoit, du côté du nord et du côté du sud, un nombre prodigieux de rivières, dont plusieurs ont cinq ou six cents lieues de cours, et dont quelques-unes ne sont pas inférieures au Danube et au Nil. Les principales sont, en descendant de sa source à son embouchure, du côté de sa rive droite et au midi, Rio-Neay ale, Rio-Puruz, Rio de Madeira, Rio-Xingu; du côté de la rive gauche et au nord, Rio-Napo, Rio - Ica, Rio-Yupura, Rio-Negro, sur lesquelles M. de La Condamine nous fournit encore les détails suivans:

« L'Ucayal est une des plus grandes rivières qui grossissent le Maragnon. A leur rencontre mutuelle, l'Ucayal est plus large que le fleuve où il perd son nom. Les sources de l'Ucayal sont aussi les plus éloignées et les plus abondantes; il rassemble les eaux de plusieurs provinces du Haut-Pérou, et il a déjà reçu l'Apu rimac, qui le rend une rivière considérable, par la même latitude où le Maragnon n'est encore qu'un torrent; enfin, l'Ucayal, en rencontrant le Maragnon, le repousse, et le fait changer de direction. D'un autre côté, le Maragnon a fait un long circuit, et est déjà grossi des rivières de Santiago, de Pastaca, de Guallagua, etc., lorsqu'il se joint à l'Ucayal. De plus, il est constant que le Maragnon est partout d'une profondeur extraordinaire. Il est vrai que l'Ucayal n'est pas encore bien connu, et qu'on ignore le nombre et la grandeur des rivières qu'il reçoit.

« Le cours du Rio-Puruz, qui est assez considérable, et a son embouchure dans le Maragnon, est encore beaucoup moins connu; aussi ne remonte-t-il, dans la carte. de M. d'Anville, que soixante à quatre-vingts lieues vers le sud. »

« Rio de Madeira, ou rivière du Bois, est la troisième

rivière considérable qui se jette dans le Maragnon, et prend sa source au Pérou, dans la province de los Charcas. Elle est pleine de sauts ou courans rapides, qui en rendent la navigation fort difficile; car on compte jusqu'à vingt-un de ces sauts considérables, sans les moindres, en la remontant depuis son embouchure jusqu'à près de trois cents milles au sud.

« M. d'Anville est encore obligé d'abandonner le cours de Rio-Xingu, au-delà de deux cent cinquante milles françois, en remontant de son embouchure au sud, faute de connoissances ultérieures que les voyageurs ne nous ont pas encore fournies. >>

Les rivières qui se jettent dans le Maragnon, du côté du nord, sont d'abord Rio-Napo, sur laquelle M. de La Condamine nous fournit peu de détails; elle descend des ́environs de Pasto au nord de Quito.

La deuxième est celle d'Yca, qui descend, comme le Napo, des environs de Pasto dans les missions franciscaines de Sucumbios, où elle se nomme Putumayo.

« La troisième est, dit M. de La Condamine, l'Yupura, qui a ses sources un peu plus vers le nord que le Putumayo, et qui, dans sa partie supérieure, se nomme Caopecta, nom totalement inconnu à ses embouchures dans l'Amazone. Je dis ses embouchures; car il y en a effectivement sept ou huit, formées par autant de bras qui se détachent successivement du canal principal, et si loin les uns des autres, qu'il y a plus de cent lieues de distance de la première bouche à la dernière. Les Indiens leur donnent divers noms, ce qui les fait prendre pour différentes rivières. Ils appellent Yupura un des plus considérables de ces bras; et, en me conformant à l'usage des Portugais, qui ont étendu ce nom en remontant, j'appelle Yupura, non-seulement le bras ainsi nommé anciennement par les Indiens, mais aussi le tronc d'où se détachent ces bras et

les suivans. Tout le pays qu'ils arrosent est si bas que, dans le temps des crues de l'Amazone, il est totalement inondé, et qu'on passe en canot d'un bras à l'autre, et à des lacs dans l'intérieur des terres. Les bords de l'Yupura sont habités, dans quelques endroits, par des nations féroces qui se détruisent mutuellement, et dont plusieurs mangent encore leurs prisonniers. Cette rivière, non plus que les différens bras qui entrent plus bas dans l'Amazone, ne sont guère fréquentés d'autres Européens que de quelques Portugais du Para, qui y vont en fraude acheter des esclaves. »

On trouve enfin Rio- Negro ou Rivière-Noire, sur laquelle M. de La Condamine nous fournit le détail suivant: « La carte du père Fritz, dit-il, et la dernière carte d'Amérique de Delisle, d'après celle du pêre Fritz, font courir cette rivière du nord au sud, tandis qu'il est certain, par le rapport de tous ceux qui l'ont remontée, qu'elle vient de l'ouest et qu'elle court à l'est, en inclinant un peu vers le sud. Je suis témoin, par mes yeux, que telle est sa direction plusieurs lieues au-dessus de son embouchure dans l'Amazone, où Rio-Negro entre si parallèlement, que, sans la transparence de ses eaux, qui l'ont fait nommer Rivière-Noire, on la prendroit pour un bras de l'Amazone, séparé par une île. En remontant des quinze jours, des trois semaines et plus dans la Rivière-Noire, on la trouve encore plus large qu'à son embouchure, à cause du grand nombre d'îles et de lacs qu'elle forme. Dans tout cet intervalle, le terrain sur ses bords est élevé, et n'est jamais inondé; le bois y est moins fourré, et c'est un pays tout différent des bords de l'Amazone. >>

Vincent Pinzon, un des compagnons de Christophe Colomb, découvrit l'embouchure de ce fleuve en 1500, et sa source fut découverte par Gonzale Pizarre en 1538. Orellana, son lieutenant, en parcourut toute l'étendue.

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