blable au cousin, mais beaucoup plus gros, et dont l'extrémité des pieds est blanche. Cela seul mérite, je vous assure, quelque attention; car vous ne sauriez vous imaginer combien cette espèce d'insecte est incommode en certaines saisons de l'année. Il y en a quelquefois une si grande quantité, que pour prendre son repas il faut se retirer dans quelque coin, un peu à l'écart; souvent même on est obligé de manger en se promenant : c'est ce qui rend ce pays impraticable aux Européens. Quelques Indiens, pour se garantir de ces importuns insectes, se font des cases au milieu de l'eau dans des marais fort éloignés de la terre, où ces petits animaux, ne trouvant ni arbres ni herbes aux environs pour se reposer, ne pénètrent guère, du moins en si grand nombre. La plupart dorment dans ce qu'ils appellent la tocaye; c'est une case écartée dans les bois, qui ressemble à une glacière; ils ne s'y rendent que vers les huit heures du soir, et sans bruit, de crainte que ces insectes ne les suivent; car leur instinct les porte à aller où il y a du feu, et où ils entendent du bruit. Je n'ai jamais osé y coucher, de peur d'y être étouffé vous jugez aisément quelle doit être la chaleur d'une chambre fermée hermétiquement, où respirent, pendant toute une nuit, trente ou quarante Indiens. Je passai le jeudi et le vendredi chez Youcara. C'est une curiosité naturelle à nos Indiens de visiter les hardes des étrangers, sans cependant jamais y rien prendre. Notre capitaine, ayant visité le panier où je portois mon petit meuble, me demanda ce que contenoit une fiole qui étoit remplie d'eau bénite : je lui répondis que c'étoit une eau dont les chrétiens se servoient pour chasser le démon, pour guérir les malades, etc. Il me pria d'en mettre sur quelques enfans qui languissoient depuis long-temps dans son carbet; je les fis approcher, et je leur fis le signe de la croix sur le front avec cette eau. Dieu en fut glorifié; car j'appris, peu de jours après, qu'ils jouissoient d'une santé parfaite. Je trouvai dans ce capitaine des dispositions très-favorables au christianisme, que je le pressois d'embrasser en nous quittant, nous convînmes que, dans trois jours, il viendroit me joindre à l'embouchure du Tapamourou, où j'allois, et me confier deux jeunes Indiens que j'avois choisis chez lui pour les conduire à Kourou, et les mettre en apprentissage de chirurgie. Il ne manqua pas au rendez-vous; mais, comme je ne pus pas m'y rendre aussi exactement que lui, il planta une croix sur l'un des bords de la crique, pour me donner une preuve de son arrivée; après quoi il revira de bord. Heureusement les Indiens de ma suite ayant sonné du cor, il jugea que je n'étois pas loin, et il s'arrêta pour m'attendre. Je vous avoue, mon révérend père, que je fus extrêmement surpris lorsque je vis le signe de notre rédemption arboré sur les bords de cette petite rivière, où je n'avois rien aperçu trois jours auparavant, et j'avois peine à me persuader que ce fût là l'ouvrage d'un sauvage. Il me dit qu'il l'avoit vu pratiquer ainsi autrefois à quelques François, dans les voyages qu'il avoit faits avec eux. Je le louai fort d'avoir retenu et imité ce trait de leur piété. Pour revenir au Tapamourou, je ne pus gagner les cases des Indiens que bien avant dans la nuit du samedi au dimanche, bien qu'on m'eût fait espérer que j'y arriverois en plein jour. La principale cause de ce retardement fut que nous trouvâmes le lit de cette petite rivière tout couvert d'herbes, et d'une espèce de roseaux sur lesquels il fallut se pousser à force de tacaré: c'est une perche fourchue, dont on se sert en guise de harpon. Cette manière de naviguer est très-fatigante, et demande beaucoup de temps. On est sujet à cet inconvénient dans les rivières peu fréquentées, parce que les halliers des deux bords, venant à se joindre, font une espèce de barrière qui ar rête tout ce que l'eau entraîne. Cela est quelquefois si considérable, qu'on fait des lieues entières où il semble qu'on soit sur une prairie flottante, tandis qu'on a au-dessous de soi trois ou quatre brasses d'eau. Mon inquiétude étoit de nous voir obligés de passer encore la nuit dans notre canot, où nous n'aurions pas été fort en sûreté contre les crocodiles dont nous étions environnés. Toutes ces rivières en foisonnent, et c'est ce qui contribue principalement à former l'embarras dont je viens de parler; car ces animaux, extrêmement voraces, en poursuivant les petits poissons dont ils se nourrissent, arrachent beaucoup de jones qui suivent ensuite le courant, et qui, venant à s'accrocher les uns les autres, couvrent toute la surface de l'eau. Dans l'embarras où je me trouvai, je fis sonner de temps en temps du cor, afin d'avertir les sauvages de venir au devant de nous; mais ils ne portent pas jusquelà leur politesse : tout ce qu'ils firent fut de nous apporter du feu à la descente de notre canot. Je bénis Dieu de bon cœur de me voir enfin à terre; je n'étois pas pourtant au bout de mes peines. Après avoir marché environ cent pas, nous trouvâmes un grand marais, qu'il fallut traverser pour se rendre au carbet. Les Indiens mettent d'ordinaire sur ces espèces d'étangs des troncs d'arbres qui se joignent bout à bout, et qui forment une espèce de pont, sur lequel ils courent comme des singes. Je voulus les imiter, à la faveur d'un tison de feu qu'on faisoit flamber devant moi pour m'éclairer; mais, soit que ma chaussure fût moins flexible que les pieds de mon guide, soit que je n'eusse pas autant de dextérité que lui, je tombai au second pas que je fis, et j'ai peine à comprendre comment je ne me brisai pas les côtes; le coup que je me donnai sur le côté gauche fut si violent, que j'en ressentis une vive douleur pendant plusieurs mois. Je pris alors le parti de marcher dans le marais même, au risque d'être morda des serpens, et j'arrivai enfin au gîte, sans autre accident celui d'être bien mouillé. que Je trouvai là une grande et vaste case; comme elle étoit environnée de marais et de terres noyées, et que le temps des maques n'étoit pas encore passé, tous les habitans du lieu, et ceux même de ma suite, m'abandonnèrent pour aller coucher dans la tocaye. Je vous avoue, mon révérend père, que, pendant cette nuit où je me voyois tout seul, j'eus bien des pensées effrayantes, malgré tous les motifs de confiance en Dieu que je ne cessois de me rappeler à l'esprit. Si quelque sauvage, me disois-je, pour enlever le peu que tu as, venoit maintenant t'égorger! si quelque tigre ou quelque crocodile se jetoit sur toi pour te dévorer! Car, quelles horreurs n'inspirent pas les ténèbres d'une nuit obscure, surtout dans un pays barbare? Le lever de l'aurore vint enfin calmer mes inquiétudes, et, après avoir célébré le saint sacrifice de la messe, j'allai visiter quelques habitations du voisinage. J'entrai dans une vase haute, que nous appelons soura en langage galibi; m'entretenant avec ceux qui l'habitoient, je fus tout à coup saisi d'une odeur cadavéreuse; et comme j'en témoignai ma surprise, on me dit qu'on venoit de déterrer les ossemens d'un mort, qu'on devoit transporter dans une autre contrée, et l'on me montra en même temps une espèce d'urne qui renfermoit ce dépôt. Je me ressouvins alors que j'avois vu ici, il y a trois ou quatre ans, deux Palikours, lesquels étoient venus chercher les os d'un de leurs parens qui y étoit mort. Comme je ne pensois pas alors à les questionner sur cette pratique, je le fis en cette occasion, et ces sauvages me répondirent que l'usage de leur nation étoit de transporter les ossemens des morts dans le lieu de leur naissance, qu'ils regardent comme leur unique et véritable patrie. Cet usage est parfaitement conforme à la conduite que tint Joseph à l'égard de son 1 père Jacob; et je dois vous dire, en passant, que nous remarquons parmi ces peuples tant de coutumes du peuple juif, qu'on ne peut s'empêcher de croire qu'ils en des cendent. En continuant mes excursions dans mon canot, je trouvai deux cases de Caranarious. Ce sont des Indiens qui poussent encore plus loin que les autres sauvages le dénuement de toutes choses. Ils n'ont pas même de plantage; les graines des plantes et des arbres, où le poisson, font leur nourriture ordinaire. La cassave, qui est un gâteau fait de la racine de manioc, et la boisson ordinaire des sauvages, qui se fait de la même racine, sont pour eux le plus grand régal. Quand ils veulent se le procurer, ils font une pêche abondante, et ils portent leurs poissons chez les Palikours, qui leur donnent du manioc en échange. Les Palikours ont pris sur eux un tel ascendant, qu'ils en font en quelque sorte leurs esclaves, c'està-dire qu'ils s'en servent pour faire leurs abatis, leurs canots, leurs pêches, etc.; souvent même ils leur enlèvent de force le peu de traite qu'ils font chez les François, lorsqu'ils travaillent pour eux. Ce que cette nation a de singulier, c'est que presque tous ceux qui la composent, hommes et femmes, sont couverts d'une espèce de lèpre, c'est-à-dire que leur épiderme n'est qu'une dartre farineuse, qui se lève comme par écailles. Je vous avoue qu'on ne peut guère rien voir de plus affreux ni de plus dégoûtant. On trouve parmi les Palikours une autre nation de cette espèce, qu'on nomme Mayets; nous serons probablement obligés de bâtir pour eux une église particulière, parce que leur lèpre, qui flue de temps en temps, répand une odeur si désagréable, que les autres Indiens ne pourroient pas s'y accoutumer. Ce sont pourtant des âmes rachetées par le précieux sang de Jésus-Christ, qui animent des corps si hideux, et qui par là méritent |