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les fêtes de la forme. Mais le véritable art n'est jamais fixé, il est toujours flottant. La plus douce musique n'est pas dans l'oratorio, elle est dans la voix humaine, lorsque celle-ci exprime la vie du moment en des tons de tendresse, de vérité ou de courage. L'oratorio a déjà perdu ses rapports avec le matin, le soleil et la terre ; mais cette voix persuasive de l'homme est en accord avec toutes ces choses. Toutes les œuvres de l'art devraient être des exécutions instantanées et non pas détachées. Par chacune de ses attitudes et de ses actions un grand homme est une statue toujours nouvelle. Une belle femme est une peinture qui rend noblement fous ceux qui la contemplent. La vie peut être épique ou lyrique aussi bien qu'un poëme ou un roman.

Une véritable révélation de la loi de création, s'il se trouvait un homme digne de la dénoncer, ce serait de transporter l'art dans le royaume de la nature, et de détruire les oppositions et les séparations qui ont été établies dans son existence. Les fontaines de l'invention et de la beauté dans la société moderne sont toutes desséchées'. Une nouvelle populaire, un théâtre, une salle de bal nous font sentir que nous sommes comme des indigents dans les hôpitaux de ce monde, sans dignité, sans habileté, sans industrie. L'art est pauvre et vil. La vieille Nécessité tragique, qui s'abaisse même sur les sourcils des Vénus et des Cupidons de l'art antique, et qui nous donne la seule explication apologétique possible pour l'introduction de telles figures anormales dans la nature, en nous faisant sentir qu'elles étaient inévitables, que l'artiste était ivre d'une passion pour la forme à laquelle il ne pouvait résister, et qui se faisait jour d'elle-même dans ces belles extravagances, a cessé d'ennoblir le ci

1 Cela est très vrai; l'art ne crée plus qu'en vertu d'une formule d'école et n'est plus l'image de la vie.

seau ou le pinceau. L'artiste, le connaisseur, cherchent maintenant dans l'art une exhibition de leur talent ou un asile contre les maux de la vie. Les hommes ne sont plus contents des figures que se forme leur imagination, alors ils ont recours à l'art et placent le meilleur de leurs sentiments dans un oratorio, dans une statue, dans une peinture. L'art fait le même effort que la prospérité sensuelle, c'est-à-dire qu'il sépare le beau de l'utile, qu'il se dépêche d'accomplir son œuvre, comme si elle était inévitable, et la haïssant se tourne du côté de la jouissance. Mais ces consolations et ces compensations, cette division de la beauté et de l'utilité, les lois de la nature ne les permettent pas. Aussitôt que la beauté n'est plus poursuivie par religion et par amour, mais en vue du plaisir, elle dégrade l'homme qui la poursuit ; il ne peut pas plus longtemps atteindre la haute beauté sur la toile, ou dans la pierre, ou dans le son, ou dans la construction lyrique ; une beauté efféminée, prudente, maladive, qui n'est pas la beauté, est tout ce qu'il peut former, car la main ne peut exécuter une chose plus haute que celle que le caractère peut inspirer.

L'art qui sépare et rejette est lui-même d'abord rejeté. L'art ne doit pas être un talent superficiel, mais doit avoir ses origines plus avant dans l'homme. Aujourd'hui les hommes ne trouvent plus la nature belle, et ils vont à leur atelier pour exécuter une statue qui le sera. Ils abhorrent les hommes, les déclarant sans goût, stupides, entêtés, et ils se consolent au moyen de sacs à couleurs et de blocs de marbre; ils rejettent la vie comme prosaïque, et ils créent une mort qu'ils appellent poétique; ils se hâtent d'accomplir les travaux de la journée pour fuir vers des rêveries voluptueuses. Ils mangent et boivent afin d'exécuter ensuite l'idéal. Ainsi l'art est avili; ce mot ne rappelle à l'esprit que son secondaire et mauvais sens; il est regardé par notre imagination comme

quelque chose de contraire à la nature, et il est ainsi frappé de mort dès l'origine. Est-ce qu'il ne serait pas meilleur de partir de plus haut, de servir l'idéal en mangeant et en buvant, en respirant et dans toutes les fonctions de la vie. La beauté doit rayonner sur les arts utiles, et la distinction établie entre les arts utiles et les beaux-arts doit être oubliée. Si l'histoire était racontée véridiquement, si la vie était noblement dépensée, la distinction entre les arts utiles et les beaux-arts ne serait pas plus longtemps aisée et possible'. Dans la nature tout est utile, tout est beau tout est beau, parce que tout est vivant, plein de mouvement, capable de se reproduire; tout est utile, parce que tout est symétrique et beau. La beauté, ne le croyez pas, ne viendra pas et n'obéira pas à la sommation d'une législature; elle ne répètera pas en Angleterre ou en Amérique son histoire de la Grèce; elle viendra, comme toujours, sans s'annoncer, et jaillira entre les pieds des hommes braves et ardents. C'est en vain que nous demandons au génie de répéter les miracles qu'il a accomplis dans les vieux arts; c'est son instinct, au contraire, de trouver la beauté dans les faits nouveaux et nécessaires, dans le champ et sur le bord de la route, dans la boutique et le moulin. Le génie sortant d'un cœur religieux élèvera à une utilité divine le chemin de fer, l'office des assurances, les compagnies de la Bourse, nos lois, nos assemblées primaires, notre commerce, les batteries galvaniques, la bouteille électrique, le prisme, tous les instruments du chimiste et toutes les choses dans lesquelles nous cherchons simplement aujourd'hui un usage économique. Est-ce que l'aspect égoïste et même cruel qui appartient

1 Ceci est fort juste. Je remarque, en effet, que chez le peuple où la beauté s'est le plus alliée à l'utile, où la grandeur et la noblesse ont existé le plus naturellement, chez les Grecs, cette distinction n'a jamais existé.

à nos grands ouvrages mécaniques, aux moulins, aux railways, à toutes nos machines, n'est pas l'effet des impulsions mercenaires auxquelles tous ces ouvrages obéissent? Lorsque son message à un but noble, le bateau à vapeur qui franchit l'Atlantique et établit comme un pont entre la vieille et la nouvelle Angleterre, qui arrive au port avec la ponctualité d'une planète, est un pas fait par l'homme dans la voie de l'harmonie avec la nature; le bateau qui, à Saint-Pétersbourg, marche sur la Newa par l'attraction du magnétisme, a besoin de peu de chose pour devenir sublime. Lorsque la science sera enseignée par l'amour, lorsque ses pouvoirs seront réglés et dirigés par l'amour, alors toutes nos œuvres, aujourd'hui si pauvres, apparaitront comme les suppléments et les continuations de la création matérielle.

III

HISTOIRE.

Je suis le propriétaire de la pléiade et de l'année solaire, de la main de César, du cerveau de Platon, du cœur de Jésus et de l'inspiration de Shakspeare.

Il y a un esprit commun à tous les individus. Chaque homme est pour ainsi dire un terrain neutre commun à tous les autres hommes. Celui qui a été une fois admis aux droits de la raison est un homme libre, dégagé de toute sujétion envers les autres hommes. Ce que Platon a pensé, il peut le penser; ce qu'un saint a senti, il peut le sentir; ce qui, à une époque quelconque, est arrivé à un homme, il peut le comprendre. Celui qui a accès auprès de cet esprit universel fait partie intégrante de tout ce qui est ou de tout ce qui peut être accompli, car cet esprit seul est l'agent souverain.

L'histoire est le mémorial des œuvres de cet agent universel. Son génie est expliqué par la complète série des temps. L'homme n'est explicable par rien moins que par toute son histoire. Sans hâte et sans repos, l'esprit humain depuis le commencement des âges travaille à réaliser chaque faculté, chaque pensée, chaque émotion dans des événements adéquats; mais toujours la pensée devance le fait, et tous les faits de l'histoire préexistent comme lois dans l'esprit. Les circonstances donnent à chacune de ces lois la prédominance à son tour, et les

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