: : & dont l'idée & l'intention femblent effectivement avoir été prifes dans l'Amour ufé, quoique les détails en foient fort différens. L'affemblée étoit fi mal difpofée ce jour là, qu'on a hué même les premiers mots de la pièce que dit la Soubrette à fa Maîtreffe vous voilà bien rêveufe, Mademoifelle on a trouvé mauvais & même fort ridicule qu'on donnât le nom de Mademoiselle, à une Actrice qui effectivement eft d'un âge mûr & dont l'emploi eft de jouer les Mèresles Veuves, & les vieilles ridicules: mais depuis quand efl-il défendu aux vieilles filles de jouer un rôle dans Jes Comédies; & ne font - elles pas affez ridicules & affez comiques, quand elles font amoureufes d'un jeune homme. De retour chez moi, après le fpectacle, j'ai été tenté de lire la Comédie de Deftouches en cinq Actes, & j'ai été fort furpris de voir qu'elle foutenoit fort bien la lecture, & qu'on pouvoit aller jufqu'au bout fans ennui. Avantage que n'ont pas un grand nombre de pièces fort applaudies au Théâtre. L'Amour ufé n'eft pas un bon Ouvrage ; cependant le Dialogue en eft ailé, naturel, & vrai : il y a de temps en temps des fcènes fort plaifantes, & l'intrigue eft parfaitement conduite; mais cette intrigue eft trop foible, trop mince, & n'at tache point affez les fpectateurs; le comique en eft vieux & quelquefois un peu lourd & trivial. Lifidor & Ifabelle ont vieilli fans que l'état de leurs affaires leur ait permis de s'unir; ils ne s'aiment plus au moment où toutes les circonftances femblent les inviter à couronner par le mariage leurs longues amours. La honte de s'avouer réciproquement leur changement, & de manquer à toutes leurs promeffes, la crainte du ridicule, rend leur fituation affez comique; d'ailleurs, ils ne fe bornent pas à être inconftans, ils font encore infidèles. Lifidor eft amoureux d'une jeune fille, & Ifabelle d'un jeune homme: chacun veut époufer l'objet de fanouvelle inclination, & qui pis eft, dérober à l'autre la connoiffance de cette démarche, quoique tous les deux habitent fous le même toit : leur embaras mutuel eft affez plaifant le vieillard préfente fa maîtreffe cornme fa nièce; la vieille, fon jeune amant comme fon neveu; mais un certain Damon, ancien amant de la vieille, & qu'elle avoit toujours rebuté; inftruit de leurs projets, les déconcerte pour le vanger. Il marie enfemble à fes frais, le prétendu neveu & la prétendue nièces par là, le vieillard & fa vieille maîtreffe, honteux de voir leurs manœuvres découvertes, fe trouvent réduits à s'époufer par bienféance. Ce perfonnage de Damon ne me paroît pas dans la nature; il ne doit pas lui refter beaucoup d'amour pour une vieille fille telle qu'jabelle; & par conféquent il ne doit plus avoir ni reffentiment, ni efprit de vengeance;. eft il naturel qu'il facrifie une grande partie de fa fortune pour empêcher Lifidor & Ifabelle de faire un mariage ridicule ce vindicatif généreux (c'eft un des titres qu'avoit la pièce dans Ja nouveauté) n'eft qu'un être de raifon cependant c'eft à caufe de cela précisément, que ce rôle a paru plus fupportable que les autres; car aujourd'hui ce qui eft hors de la nature a toujours pour la multitude, un certain mérite. On a trouvé le Valet & la Soubrette, d'une charge trop grof. fière , parce qu'ils font fort intéreffés & très-attentifs à fe faire payer leurs fervices: cela eft dans vérité, mais le jeu de Théâtre eft trop fouvent répété. Le dénouement eft très-gai & très-comique, mais l'impatience du public ne lui a pas permis de l'attendre. Quatre Notaires avertis fecrettement par Damon, arrivent fucceffivement fur la fcène, au grand étonnement de Lifidor & d'Jabelle; le premier apporte le contrat de mariage de Lifidor & d'Isabelle; le fecond, celui de Lifidor avec la prétendue nièce; le troifième, celui d'Isabelle avec fon prétendu neveu; le quatrième, celui du Valet & de la Soubrette; & quand on demande à chacun de ces Notaires, qui les a fait venir; ils repondent toujours, en fe tournant vers Damon', c'est Monfieur. Un des plus grands défauts de cette pièce aux yeux du parterre actuel, eft peut être d'être trop fimple, trop naturelle, de n'offrir dans le Dialogue, ni efprit hors de propos, ni maximes, ni tirades, ni fentimens outrés & romanefques : à mesure que l'ignorance gagne, & que les efprits baiffent, les Auditeurs comme les Lecteurs s'accoutument à n'admirer que ce qui leur paroît au-deffus de leur portée. Tout ce qu'ils entendent facilement, tout ce qui eft naturel & vrai, eft pour eux commun & trivial; fi cette difpofition continue & s'augmente, le temps n'eft pas éloigné où il faudra que les Auteurs, pour être applaudis, ne foient entendus ni dự public, ni d'eux-mêmes. NY |