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mode. M. de Beaumarchais a jugé propos de les rétablir; rajeûnir un ancien ufage, cela vaut pour l'effet une nouveauté: mais cette nouveauté n'eft pas très-piquante; de la métaphyfique bien obfcure, bien guindée, mile en mufique & chantée fur le Théâtre de l'Opéra, n'eft pas un régal bien agréable mais ce qu'il y a de neuf & de très-plaifant, c'eft le miracle de la création expofé fur la fcène : c'eft affûrément la plus étonnante de toutes les merveilles qui ayentjamais paru à l'Opéra: la plupart des Auteurs tirent les Héros de la Fable, de l'Hiftoire ou de leur imagination M. de Beaumarchais a voulu créer les fiens dans toute l'exactitude du terme, & les tire des efpaces imaginaires: tous les Acteurs de fon Opéra font des êtres fraîchement éclos; le public les voit dans le prologue, fortir du néant, où ils doivent bientôt rentrer pour toujours, après avoir brillé quelque temps fur le Théâtre de l'Académie Royale de Mufique.

Il faut que M. de Beaumarchais

ཝཱ

prenne un intérêt tout particulier aux femmes qu'on enlève à leurs maris : dans Figaro, on voit un grand Seigneur qui veut féduire la prétendue de fon Valet-de-chambre : ici, c'est un Sultan qui fait enlever la femme du Général de fes Armées. Voilà ce qui s'appelle avoir du zèle pour les bonnes mœurs. Ce Sultan, qu'on appelle Atar, eft bien le plus odieux & le plus dégoûtant perfonnage qu'on ait jamais produit fur la fcène : c'est un monftre de ftupidité & de barbarie; fa paffion eft de faire du mal. Son extravagante cruauté a excité quelques murmures; & je fuis étonné que M. de Beaumarchais ait rifqué un tyran auffi atroce, dans un temps où l'on ne vent au Théâtre que des modèles de vertus. Tarare eft celui qui réunit tout l'intérêt. Il ne fait cependant rien dans le cours de la pièce, qui foit fort héroïque, & qui annonce une véritable grandeur. Ses grands exploits font de tuer en duel le raviffeur de fa femme, quoique les duels n'aient jamais été à la mode à Ormas; de monter avec une échelle de corde, fur les

murs du Serrail, &c, & tout cela n'aboutit qu'à le faire condamner à être brûlé vif avec sa femme ; ce n'eft donc point le merveilleux Tarare, c'eft un vil eunuque, c'eft l'efclave Calpigi, fur qui roulent tous les grands évènemens; c'eft lui qui Conduit toute l'intrigue, qui foulève l'armée, qui détrône le Sultan, & qui fait la fortune de Tarare. Il faut avouer que M. de Beaumarchais n'eft pas heureux dans la manière dont il fait agir fes perfonnages les plus impor tans. C'eft ainfi que fon Figaro, par exemple, maître fourbe en paroles, n'eft dans l'action, qu'un fot & un imbécille, miftifié par les femmes. toujours dupe de tous les incidens; & qui bien loin de conduire la véritable intrigue de la pièce, n'en a pas même connoiffance, & eft bien plus trompé que trompeur.

On a remarqué dans cet Opéra quelques innovations théâtrales qui décèlent un talent fait pour reculer les bornes de l'art on avoit admiré autrefois comme le

Bare & fublime effort d'une imaginative

Qui ne cède en vigueur à personne qui vive.

l'idée qu'avoit M. de Beaumarchais de faire paroître fur la fcène dans les entr'actes des drames, un laquais en papillottes, fifflant ou balayant un appartement. Mais un Héros d'Opéra qui, forcé de fe jetter à l'eau en chemin, arrive fur la fcène en redingotte de taffetas ciré, me paroît une invention au-deffus même des papil lottes & du balai; & je trouve que le public n'a point rendu affez de juftice à ce trait de génie.

Mais que dirons-nous d'un coup de théâtre, ou plutôt d'une attitude auffi neuve qu'intéreffante, dont M. de Beaumarchais vient d'embellir fon Opéra, & très-digne affûrément d'exercer le pinceau & le burin de nos plus fameux Artiftes: Tarare introduit dans le Terrail, & déguisé fous l'habit d'un esclave muet, fe jette la face contre terre au moment que l'Empereur arrive, & refte couché fur le ventre. L'Empeur à qui il prend alors fantaisie de faire chauffer fes bro

dequins, trouve que le dos du brave Tarare eft un marchepied fort com mode, & il s'en fert pour se faire chauffer.

On a remarqué plufieurs fautes contre les mœurs & le costume du peuple chez qui la scène se paffe. Il y en a une qui eft très-excufable, ou plutôt qui étoit indifpenfable pour l'Auteur. Quand les foldats revoltés en faveur de Tarare, veulent l'élever fur le Trône : ce Héros, qu'on alloit brûler vif, eft affez généreux pour leur prêcher la foumillion & l'obéiffance à leur Roi. L'Auteur lui prête les fentimens d'un françois ; il ne pouvoit pas faire autrement: mais quelle étrange bifarrerie de réunir des chofes auffi incompatibles que le defpotifme féroce avec les idées de devoir & de fidélité? Quelle loi peut lier les fujets au defpote, quand le defpote ne connoît d'autre foi que fes paffions & fon caprice, ne règne que par la force, & ne commande que pour opprimer: la Religion Chrétienne eft la feule qui ait appris aux peuples à révérer le tyran même qui les accable.

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