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quel eft l'homme affez philofophe pour braver, même en faifant bien, les fiflets de la multitude? c'eft le dernier effort de la fageffe, parce que l'amourpropre eft la plus forte & la dernière 'des paffions.

M. de Rulhières par fon caractère & fon mérite perfonnel, étoit plus capable qu'aucun autre de réformer un pareil abus. Jefpérois beaucoup de lui, & mes efpérances n'ont point été tout-à-fait trompées. Bien loin que les réfléxions précédentes puiffent s'appliquer au nouvel Académicien & à fon Difcours, il eft au contraire un de ceux qui ont mis dans leur remer ciment, le plus de nobleffe & de dignité. Le morceau que je vais citer en eft la preuve on y trouve le ton tout-à la fois ferme & modefte d'un homme qui fçait s'apprécier.

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« Cette gloire qui fut toujours » attachée au nom même de l'Aca» démie fembloit défendre à un » homme de lettres fans renommée » d'ofer afpirer jufqu'à vous. Dévoué depuis vingt ans à des travaux, non » pas mystérieux & cachés, mais qui

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"ne pourront être publiquement ju»gés que quand je ne ferai plus; renonçant à toute ambition d'une » célébrité préfente, je m'efforçois » d'éteindre dans mon cœur tout espoir de ces récompenfes écla»tantes, qui ne s'obtiennent que » par la publicité des talens. Je con» templois ces fameux modèles, qui, » au temps même de la plus heureufe » liberté, n'ont écrit l'Hiftoire que » dans le filence, dans la retraite, » dans l'exil: non que j'ofaffe me » comparer à de tels hommes ; mais »le fpectacle des grands facrifices » n'élève pas moins les ames, que la » vue des grands fuccès. Vivre loin » de vous, Meffieurs, eft, pour un

homme de lettres, un véritable ≫ exil; & la feule confolation qui puiffe lui refter, c'eft cette foible » & douteufe efpèrancé de quelque nom dans l'avenir.

« C'est par là, il eft vrai, que, toujours indépendant & libre dans »mes opinions, j'ai pu jouir tout » ensemble, & du bonheur que donne

un travail affidu, & de ce calme, devenu fi rare dans les travaux littéraires, C'eft par là que dans mes » écrits, & la louange & le blâme se font toujours affranchis de tous les intérêts que le temps fait évanouir; & fi j'ai dû fuir la publicité, les ténèbres n'ont pas été mon afyle: d'illuftres fuffrages (& fans doute, >> Meffieurs, vous y avez eu égard dans votre choix) ont été le prix de mes veilles; vous n'avez pas dédaigné d'en être confidens. Peut→ être avez-vous reconnu, dans cette longue réserve, un mérite parti>>culier à ce genre de littérature que j'ai embraffé. Lié dès mon enfance >> avec l'un de vous, Meffieurs, qui joint les plus férieufes études de l'érudition aux talens de prefque tous les arts agréables, & dont la conftante amitié juftifieroit, s'il en étoit befoin, toute la durée de ma vie, il m'a laiffé entrevoir que vos fuffrages, incertains encore, pou voient fe raffembler fur moi. Le premier rayon d'efpérance a ranimé des vœux mal éteints; & vous

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avez accordé le plus noble des encouragemens à celui qui long» temps s'étoit fenti capable du plus » pénible des facrifices ».

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Il eft fouvent injufte d'exiger d'un homme de lettres qu'il ait fait beaucoup de livres pour être admis dans l'Académie. Dans notre fiècle fur-tout. celui qui a le plus de goût & de génie doit être le moins empreffé d'écrire. Cette foule d'ouvrages médiocres que produifent certains littérateurs, avec une incurable facilité, prouve qu'ils n'ont aucune idée de la perfection, aucune fenfibilité pour le vrai beau des titres de cette espèce feroient à mes yeux des titres exclufifs; & le feul petit Poëme des Difputes, prefqu'auffi connu que les Satyres de Boileau, renferme plus de véritable talent que les Œuvres volumineufes de plufieurs Académiciens, tous fiers d'être imprimés & reliés en veau.

J'avoue que je n'aime pas à voir M. de Rulhières fe promener l'encensoir à la main, autour du Bureau Académique: peut-être eût-il mieux valu fe borner aux éloges d'étiquette: quoique pere

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fonne n'affaifonne la louange avec plus de grace & de fineffe, il n'étoit pas poffible qu'il ne lui échappât des exagérations que le public du Louvre n'a peut-être pas remarquées, mais pour lefquelles le public de la Capitale & des Provinces n'aura pas la même indulgence on doutera même fr l'Orateur a voulu faire une épigramme ou un compliment, lorfqu'il a dit férieufement que M. M. avoit fou tenu la gloire de deux Théâtres ly riques : j'ignore fi les Opera tragi ques ou comiques de M. M. ont foutenu la gloire de l'Opéra & de la Comédie Italienne; ce qu'il y a de bien certain c'eft que de pareils ouvrages ont beaucoup nui à la gloire

de leur Auteur.

Peut-être n'étoit-il pas néceffaire pour juger l'Abbé de Boifmont, d'entrer dans une frlongue difcuffion fur la révolution générale qui s'eft opérée dans les lettres & dans les mœurs ; mais cette difcuffion eft fi intéressante par elle-même, elle tient à tant d'objets importans qu'elle ne peut être que très-bien placée dans u

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