feptentrionaux, qui, pendant longue durée, laiffe voir tout enfemble, & les feux du couchant confervant long-temps encore leur » éclatante lumière, & les rayons naiffans du jour éclairant déjà tout l'efpace du monde ». Cette diftinction que l'Orateur paroît établir entre les Lettres & la Philofophie, eft chimérique & fauffe; car la Philofophie eft effentiellement la bafe des Belles Lettres. Les BellesLettres ne font autre chofe que la Poëfie, l'Eloquence, appliquées à la Philofophie il n'y a certainement pas un ouvrage compofé depuis le fiécle de Louis XIV, par un Philofophe de profeffion, qui renferme autant de fens &: de vraie Philofophie, que les Fables de La Fontaine, & les Comédies de Moliere. Horace, excellent juge, homme de génie & grand Philofophe lui-même, trouvoit plus de Philofophie dans l'Iliade & l'Ody ffée d'Homere que dans tous les écrits des chefs du Lycée & du Portique :, Qui quid fit pulchrum, quid turpe, quid utile, quid non Fortiùs ac meliùs Chryfippo & Crantors dicit. L'expérience même que M. de Ruihière appelle à l'appui de for affertion, ne fert qu'à la renverfer; car' fi les Ariftotes ont fuccédé aux Euripides; les Socrates, les Platons qui valoient bien les Ariflotes & plufieurs autres Philofophes, ont été contem→ porains des Sophocles & des Euripides ? & fi Ariftote a fuccédé à Euripide, lui-même a été contemporain de Demofthene, le plus parfait Orateur qui jamais ait exifté; & le fiècle d'Alexandre, dans lequel Ariftote a vécu, eft précisément le beau fiécle du goût & du génie chez les Grecs. Le temps qui précède le déclin des Lettres eft un des plus beaux âges d'une nation, non pas parce qu'elle eft alors éclairée par l'aurore des fciences, mais parce que c'eft le moment où l'on peut jouir de la réunion d'un plus grand nombre de chef d'oeuvres littéraires. Je ne conçois pas l'entêtement & l'opiniâtreté de la plupart de nos Écrivains modernes qui ne veu lent point abfolument reconnoître de philofophie dans le fiècle de Louis XIV, & affûrément ils ne font pas trop d'honneur à la philofophie, s'ils la regardent comme incompatible avec le génie & le goût. On ne me perfuadera jamais que les Bourdaloue, les. Boffuet, les Fléchier, les Fénélon, les Pafial, les Nicole, les Mallebranche, les la Bruyere, les Maffillon, &c. &c.; ces hommes dont la logique eft fi faine & fi vigoureufe, les idées fi folides, fi profondes, fi lumineufes fi bien liées, ces hommes qui penfent & qui railonnent fibien, n'étoient point Phi lofophes je demande toujours en quoi confifte cette nouvelle Philofophie qui eftnée, il y a environ quarante ans; quel eft ce mouvement géneral qui s'eft fait alors dans l'efprit humain? Quelles font ces nouvelles idées, ces nouvelles lumieres, ces nouvelles efpérances, qui fe font répandues dans la nation; quelles grandes découvertes nous avons faites depuis cette époque en métaphyfique, en morale & en politique je cherche à reconnoître dans nos mœurs, dans notre con duite, dans l'efprit général de la fociété, dans tout ce qui fe paffe autour de nous, quelques traces, quel, ques effets de ces nouvelles lumières, & je ne vois qu'un luxe effrené, une cupidité infatiable, des mœurs cor. rompues, des caractères abâtardis une égoïsme destructeur, une conduite extravagante, & je me demande fi ce font là les fruits naturels du prétendu efprit philofophique qui gou verne la Nation. Si, comme les modernes Philofophes en conviennent, le goût & le talent declinent à mesure que la philofophie s'étabiit, quelle eft donc cette philofophie qui s'allie fi bien avec de faux jugemens. Le goût ne fe corrompt que lorfque les efprits n'ont plus de jufteffe, lorfque les ames ont perdu tout fentiment de la nature & du beau. N'eft-ce pas une chofe plaifante, que les efprits d'une Nation deviennent philofophiques, quand ils commencent à devenir faux & à s'éloigner de la nature & de la vérité ! Après avoir peint la profpérité de la Nation, & l'état florillant de la littérature en France, à l'époque de 1749, l'Orateur attribue aux malheurs de l'Etat, le changement qui furvint tout-à-coup dans le ton des gens de lettres, & dans la manière dont on en ufa à leur égard « on craignit, ditil, leurs opinions, on craignit leur » fociété; on calomnia les lettres auprès du Gouvernement, on cher>> cha à les rendre odieufes & fufpec tes». Il me femble que M, de Rulhière aveuglé par fon amour pour les lettres, a trop de peine à reconnoître les torts de ceux qui les ont cultivées avec fuccès. Il devient ici injufte, partial, & peu exact: ce n'eft point aux malheurs de l'Etat, aux fautes de l'Adminiftration qu'il faut attribuer le difcrédit où les gens de lettres tombèrent à la Cour ; c'est à leur audace effrénée, à leur morgue, à leur fanatifme encouragé par l'indulgence d'un Gouvernement qui n'avoit point été affez inquiet, affez foupçonneux, affez craintif fur les opinions que des hommes téméraires pouvoient inculquer à une Nation frivole & incapable de réflexions |