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des autres, les païens; ou bien la légende, ne distinguant pas Charlemagne de ses faibles successeurs, éleva, sur le pavois de la renommée populaire, les grands barons féodaux, qui bravèrent la royauté et poursuivirent, contre elle ou malgré elle, leurs passions, leurs intérêts, leurs guerres privées. Cette poésie fut à son plein dans le douzième siècle, mais elle avait commencé auparavant; et ce qu'il faut remarquer tout particulièrement est ceci : le reste de l'Occident latin fut devancé ; il y eut une antériorité de culture et de production, qui fut le privilége de la Gaule devenue terre romane.

A cette antériorité se rattache un autre fait, considérable aussi; je veux dire la faveur que le cycle épique ou légendaire, ainsi écrit, trouva au delà des limites du pays natal. Ce fut un succès prodigieux; l'Italie et l'Espagne, l'Angleterre et l'Allemagne traduisirent ou imitèrent ces poëmes, dont les héros devinrent populaires par toute l'Europe catholique et féodale. Une grande influence littéraire fut ainsi acquise à la France. Les esprits les plus divers et les plus lointains se laissèrent semblablement captiver; et, comme dans un brillant et solennel banquet, la coupe de poésie fit le tour des peuples, unis par tant de liens. Mais la décadence qui, le treizième siècle une fois écoulé, atteignit la langue, atteignit aussi les lettres et leur force productive. Dans le quatorzième siècle et le quinzième, les nations n'eurent plus rien à traduire ou à imiter; l'éclat de l'art et la suprématie visitaient alors d'autres lieux; la France vécut de sa vieille renommée, et ce ne fut qu'aux seizième et

dix-septième siècles que, redevenant ce qu'elle avait été jadis dans la haute période du moyen âge, elle reprit un attrait universel pour l'Europe. Les poëmes qui lui valurent cet antique renom, étant tombés dans l'oubli, y demeurèrent de longs siècles; pourtant les types qu'ils avaient créés pour satisfaire au plaisir et à l'idéal de la société d'alors n'avaient pas été renfermés sous le commun linceul Roland, Renaud, les douze Pairs, Roncevaux, continuaient à vivre dans la renommée des choses, fama rerum, cette suprême récompense des grands hommes et des grandes œuvres.

C'est que, de fait, encore que dans cette vaste création il ne se soit rien produit de comparable à un Homère et à un Dante, pourtant une originalité puissante y domine, et elle en fit la fortune. Cette fortune mérite l'attention, et, maintenant que la poudre des bibliothèques et des manuscrits est secouée, on reconnaît sans peine qu'elle ne fut pas usurpée. Notre âge, si curieux de l'histoire, a donc raison de remettre en lumière et en honneur nos vieux monuments de langue et de littérature. Ni la langue n'est digne de mépris, ni la littérature n'a été sans efficacité et sans gloire. Toutes deux se tiennent étroitement, et seule une véritable connaissance de la première permet de donner à la seconde la vie et la couleur. A cette étude, toutes les règles de la critique sont applicables et doivent être appliquées.

L'érudition, dont le danger est de se fourvoyer en de stériles recherches, ne s'est pas trompée ici, et elle a bien mérité de l'histoire. Elle a dissipé toutes sortes d'erreurs et de préjugés qui obscurcissaient les ori

gines de notre littérature; elle a montré, dans le vieux français, une langue qui est, par sa structure, un.intermédiaire entre le latin et l'idiome moderne; elle a rendu à notre pays la présidence littéraire qui lui appartint dans le haut moyen âge; elle a effacé cette anomalie qui, pendant que la France avait le premier rôle dans la première affaire du temps, les croisades, la présentait comme barbare de langue et de lettres; et ainsi elle a aidé à remplir des lacunes, à rectifier de fausses notions, en un mot, à mieux faire saisir, dans un intervalle déterminé, l'enchaînement et la filiation des choses.

Remarque additionnelle. Cette remarque est causée par une rencontre fortuite que je viens de faire depuis que la quatorzième feuille est tirée; elle n'est pas sans enseignement pour ceux qui, comme moi, s'exercent à corriger les textes. Si le lecteur se reporte à la page 223, il y verra ce vers-ci

A follarge ne porroit fin souner.

Fin souner ne signifiant rien, M. Mätzner a proposé de lire faim souler; à quoi j'ai objecté que le verbe était saouler, non souler, et j'ai dit qu'on pourrait lire :

A fol large ne puet faim saouler.

Eh bien! toutes ces conjectures sont reduites à néant par la bonne leçon que je viens de trouver dans le Glossaire de Sainte-Palaye, au mot foisonner. Il cite ainsi nos vers⚫

A fol large ne porroit fuisonner

Quanque fors quist ne quanque molins meut.

C'est-à-dire A prodigue ne pourroit foisonner, faire foison, suffire, tout ce que cuit un four ou moud un moulin. Et de fait, en examinant de près la leçon du manuscrit, on voit qu'il n'y a pas de faute; seulement elle a été mal lue par celui qui l'a transcrite: fin souner, au lieu de fuisonner; ce sont les mêmes linéaments de lettres.

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Cet article a

SOMMAIRE. (Revue des Deux-Mondes, 1er juillet 1854). été composé à propos de la publication du vingt-deuxième volume de l'Histoire littéraire de la France, œuvre qui, commencée par les bénédictins dans le dernier siècle, et poursuivie par l'Académie des inscriptions et belles-lettres dans le nôtre, a, grâce à une érudition sûre et méthodique, préparé d'excellents matériaux aux historiens des événements politiques comme des événements littéraires. Ce tome XXII est particulièrement consacré aux chansons de geste, qui sont la poésie épique de l'époque féodale. Naissance d'une langue nouvelle et d'une poésie nouvelle dans cette époque. Intérêt qu'il y a à étudier ces formations de langues et de poésies à une période pleinement historique. Différence entre les langues anciennes et les langues modernes quant à la couleur, c'est-à-dire quant à la relation entre les idées intellectuelles, morales, philosophiques et les idées matérielles. Création du vers moderne, fondé sur l'accent, tandis que le vers ancien était fondé sur la quantité. Rapport entre l'état social au commencement de la période catholico-féodale et la poésie dont le flot s'épanche alors sur l'Occident. Analogie de cette poésie héroïque du moyen âge avec la poésie de l'âge héroïque des Grecs. Travail de la légende, qui, dans l'une et l'autre période, coopère à la création du cycle poétique. Influence sociale de la poésie chevaleresque; produite primitivement en France, elle est accueillie avec une trèsgrande faveur par les nations étrangères, qui l'imitent et la traduisent. Utilité de comparer des périodes historiques, analogues l'une à l'autre et éloignées l'une de l'autre. C'est au quatorzième siècle et au quinzième que toute cette vicille littérature commença à tomber dans l'oubli et que la langue d'oïl subit de graves altérations; coup d'œil sur ces altérations; conditions sociales qui déterminent et l'oubli de la vieille poésie et le changement de la vieille langue. Singulière ignorance du dix

DE LA POÉSIE ÉPIQUE DANS LA SOCIÉTÉ FÉODALE.

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septième siècle au sujet de ces choses; réfutation des vers de Boileau sur Villon. Accueil fait par l'Italie aux récits légendaires créés par la poésie en langue d'oïl et en langue d'oc; résurrection des types chevaleresques dans le poëme héroï-comique de l'Arioste. Existence de poëmes héroï-comiques en langue d'oil dans les douzième et treizième siècles le Renart, le Moniage Guillaume, le Voyage de Charlemagne à Jérusalem. Cycle poétique de la Table ronde. Chansons d'aventures ou romans en vers. Lumière que la poésie épique du moyen âge jette sur l'épopée en général. Homère; Virgile; Dante; Milton; Byron. Les grands poëmes épiques contiennent un sommaire idéal de l'histoire de l'humanité; caractère des pseudo-épopées. Pour connaître pleinement les peuples, il faut savoir non-seulement ce qu'ils ont fait, mais aussi ce qu'ils ont écrit.

Chez nous, beaucoup savent le latin, quelques-uns le grec, très-peu le vieux français. Dans la lecture ascendante vers les origines de notre langue et de notre littérature, on s'arrête généralement au seizième siècle; Montaigne, Amyot, Rabelais, Marot, sont la limite qu'on ne franchit guère. Ce n'est qu'un petit nombre qui arrivent jusqu'à Froissard, les délices de Walter Scott, et le cercle se rétrécit encore quand il s'agit des histoires de Joinville et de Villehardouin, des poésies du roi de Navarre et du châtelain de Coucy, de l'œuvre remarquable où est raconté le martyre de saint Thomas de Cantorbéry, des poëmes héroïques de Raoul de Cambrai et de Roncevaux, quand il s'agit enfin des innombrables productions rimées qui signalent l'époque climatérique du moyen âge, celle où le système féodal, pleinement établi, obéit à tous ses besoins, à tous ses intérêts. Et de fait, avant ces derniers temps, où l'imprimerie a commencé de les rendre à la lumière, ces productions étaient interdites au public qui lit: il n'y a que les érudits qui aillent secòuer la poudre des manuscrits, et l'érudition ne s'était pas en

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