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hommes de Rome et de la Grèce n'ont pu (tant pour eux l'histoire était courte) se douter qu'il en dût jamais être ainsi; mais nous, dont désormais le regard plonge dans un passé plus profond, nous apercevons l'arbre tout entier chargé, comme celui de Virgile, d'un feuillage nouveau et de fruits qui ne sont pas les siens: Novas frondes et non sua poma.

Comme la légende de la guerre de Troie est à l'origine de toute la poésie antique, même de la poésie latine, de même ici la légende du grand empereur de l'Occident inspire tous les récits. Le souvenir s'en était surtout fixé alors que, parvenu au plus haut point de sa puissance et couronné à Rome, il approchait du terme de sa vie. Aussi est-il représenté d'ordinaire, même au plus fort de ses expéditions, comme un vieillard à la barbe blanche; mais c'est le vieux guerrier de Byron, aux membres de fer, avec qui peu de jeunes gens pourraient lutter :

Though aged, he was so iron of limb

Few of our youth could cope with him.

Par une conséquence toute naturelle, la troupe d'élite qui l'accompagnait était composée de barons à la tête blanche et à la barbe fleurie, comme disent les chansons de geste. Au milieu des Normands, des Bretons, des Flamands, des Lorrains, des Allemands, qui composaient l'armée de Charlemagne, ceux-là étaient particulièrement les guerriers de France:

La dime eschelle (le dixième escadron) est des barons de France; Dix mille sont à une connoissance ( un même blason),

Corps ont bien faits et fiere contenance,

Les chefs fleuris, mainte barbe i ont blance (blanche).

Chose singulière ! l'histoire réelle a offert une fois ce que la légende a rêvé, le spectacle d'une armée de vieillards. La phalange macédonienne, qui avait fait les guerres de Philippe et d'Alexandre, figura encore dans les luttes qui suivirent. Parmi ces vétérans qui n'avaient jamais été vaincus, la plupart avaient soixantedix ans, aucun n'en avait moins de soixante. A une dernière bataille, ces barons à la barbe fleurie, comme ceux de Charlemagne, se rangèrent au poste le plus dangereux, et, dans une charge décisive, dispersèrent tout ce qui leur était opposé.

9. Conclusion. De l'archaïsme.

L'érudition, en exhumant des choses oubliées, a soulevé ici, comme en beaucoup d'autre cas, une question et renouvelé un procès qui semblait vidé. L'arrêt de Boileau était adopté et faisait loi universellement. Aujourd'hui il n'en est plus ainsi, et l'on se demande si notre antiquité doit dater de Villon et du seizième siècle ou s'il faut la reporter à l'origine de notre langue et de notre littérature. Les textes abondent : chansons de geste, poésies légères, fabliaux, histoires originales, romans, chroniques, tout se trouve avant l'époque fixée par Boileau. D'autre part, la langue antique n'est nullement le patois grossier et informe que l'on prétendait. Ni l'une ni l'autre ne font honte à l'orgueilleuse descendante qui les dédaigne, et, si leur vêture (qu'on me permette ce vieux mot) est simple, même parfois enfantine, ce n'est pas de haillons qu'elles sont couvertes.

Ce cas n est pas le seul où l'érudition bien conduite ait obtenu d'importants résultats. Il lui est arrivé plus d'une fois de dissiper des préjugés, d'exhumer des vérités oubliées et de trouver des démonstrations auxquelles on ne serait arrivé par aucune autre voie. Grâce à elle, il commence à s'établir que nous avons aussi un passé littéraire et que l'arrêt porté au dixseptième siècle est à reviser. C'est certainement un notable triomphe que d'avoir ainsi ébranlé des opinions qui paraissaient fixées irrévocablement. On aurait tort de penser que cette étude des débris de l'antiquité, des vieux textes et des vieux monuments, soit stérile et sans portée; elle a une action sur les intelligences, elle les modifie, et coopère aussi pour sa part aux mutations successives qni affectent les sociétés. Voir le passé sous un plus véritable jour importe grandement à l'intelligence que l'on a du présent et à l'usage qu'on en fait.

Un penchant naturel conduit l'homme à la contemplation du passé. Les vieux monuments, les vieux livres, les vieux souvenirs, éveillent chez lui un intérêt profond. Les récits traditionnels de la famille et de la tribu enchantèrent les populations primitives, et l'effet des histoires positives n'est pas moindre sur les populations civilisées. La rupture avec les âges antérieurs, qui serait un méfait contre la science, serait aussi un méfait contre le sentiment moral; et, si l'esprit humain s'est complu aux traditions alors même que ces traditions étaient bien courtes, il se sent de plus en plus captivé à mesure que s'agrandit l'espace qu'il aperçoit derrière lui. Le temps est une étendue qui ne s'ouvre à

nous que dans une seule direction, et encore à la condition que nous la parsèmerons de jalons et que nous emploierons notre industrie à y entretenir quelque phare qui nous éclaire. Tout ce qui fait un peu reculer ces ténebres est bien venu de l'esprit humain. Lorsque Cuvier composa son Anatomie comparée, ce livre ne fut que pour les savants; mais, quand il exhuma des entrailles de la terre une histoire plus ancienne que l'histoire de l'homme, toutes les imaginations l'accompagnèrent dans ses recherches et jouirent avec lui des merveilleux résultats de cette nouvelle archéologie.

De tout ce qui reste des siècles écoulés, les monuments des arts et en particulier ceux de la littérature nous mettent le plus directement en rapport avec les . hommes qui ont vécu jadis. Quelle histoire pourrait aussi bien que les poëmes d'Homère nous faire pénétrer au sein de l'âge héroïque ? Quand dans une de ses pages éclate une pensée sublime ou une harmonie, et que le charme nous pénètre, alors nous nous sentons transportés au milieu d'un temps qui n'est pas le nôtre, et c'est le suprême effort de cette poésie antique. Homère, en une de ses plus belles comparaisons qui lui est suggérée par les feux de l'armée troyenne allumés dans la plaine, se représente les astres splendides qui brillent au ciel autour de la lune radieuse. La nuit est paisible; les sommets aigus, les pentes escarpées, les forêts, les vallons apparaissent sous cette lumière nocturne; les profondeurs du ciel elles-mêmes s'entr'ouvrent devant le regard, et le berger qui contemple ce grand spectacle sent son cœur ému d'une joie secrète. De même pour le lecteur, quand rayonnent les

flammes de la poésie, les profondeurs du temps s'entr'ouvrent, les choses du passé s'éclairent; un moment on croit assister à la scène qu'on a devant soi, et, comme le berger du poëte, on est touché d'une émotion inconnue.

DEUXIÈME PARTIE

Après le conseil, l'exemple ; après la théorie, la pratique ; mais le vieux poëte grec est bien difficile à reproduire et le vieux français est un instrument bien peu familier à nos oreilles. Je conviens de tout cela, et je comprends le risque que court la pratique ; cependant je ne m'en tiens que plus fermement à la théorie, et même, en finissant, je prétends que le vieux français n'est point, à vrai dire, une langue absolument morte, qu'il faut peu d'efforts pour en raviver certaines parties, et que l'étude en est salutaire, instructive, attrayante.

ILIADE

CHANT PREMIER

I

Chante l'ire, ô deesse, d'Achile 2 fil Pelée,
Greveuse et qui douloir fit Grece la louée
Et choir ens en enfer mainte âme 5 desevrée,
Baillant le cors as chiens et oiseaus en curée.
Ainsi de Jupiter 6 s'acomplit la pensée,

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