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d'être dit, montrant que la langue se conforme à l'influence des époques sociales, montre aussi qu'il n'y a rien de fortuit et d'accidentel dans ses modifications. Là est la cause et la règle du changement: il faut à la fois que la langue s'accommode aux extensions de la pensée commune et qu'elle satisfasse au besoin de grammaire et de syntaxe qu'une société éclairée ne laisse pas s'annuler. Faire le tableau et la théorie des mutations des langues humaines en général est sans doute aujourd'hui une tâche impossible, même aux plus érudits, vu qu'on n'en possède suffisamment ni l'ensemble ni l'histoire; mais, si l'on se borne à considérer le rameau aryen, on peut du moins signaler un fait digne d'être noté. On nomme langues aryennes des langues dont la fraternité se reconnaît à la communauté d'une multitude de radicaux et à l'identité de la grammaire, et qui comprennent, en allant de l'orient à l'occident, le sanscrit, le persan, le slave, le grec, l'allemand, le latin et le celtique. L'étendue des pays occupés par ce rameau est grande; plus grande encore l'influence des peuples qui y résident, puisque depuis longtemps ils tiennent la tête de la civilisation. La langue française est une langue aryenne, en sa qualité de fille du latin. Les langues aryennes primi. tives ont entre autres caractères celui d'exprimer les rapports des noms par des cas, c'est-à-dire qu'elles in

corporent la signification de ce rapport dans le mot à l'aide d'une finale ou suffixe déterminé. Les langues aryennes secondaires ont porté une grave atteinte à ce caractère, presque toutes même l'ont effacé; et le rapport, d'implicite qu'il était, est devenu explicite, se notant par quelque petit mot ou combinaison de mots dont telle est la fonction. C'est une des faces de ce qu'on nomme le caractère analytique des langues modernes.

Du temps de J. du Bellay, au seizième siècle, certains prétendaient que « la philosophie est un faix << d'autres espaules que de celles de nostre langue. » (Illustrations de la langue française, ch. x.) Alors on estimait que la latine ou la grecque étaient seules assez mûres et fortes pour traiter les hautes questions, et qu'à la nôtre n'était dévolu que le champ du gai savoir et de la poésie. Ce dirc, que du Bellay repousse et qui, pour les hautes questions, n'était plus vrai dès le seizième siècle, cesse tout à fait de l'être au siècle suivant, où, à côté d'une belle efflorescence de poésie, la langue se rendit capable de traiter les sujets les plus abstraits et de faire plein honneur à la pensée successivement agrandie.

L'histoire d'une langue est intimement liée à l'histoire littéraire du peuple qui la parle, et, de la sorte, à son histoire sociale. Là est le principe de ses chan

gements. Une langue pourrait être supposée immobile au milieu d'une société qui ne changerait pas, mais, au milieu d'une société qui change, elle ne peut être que mobile. Cette mobilité est limitée d'un côté par le fond primordial qui vient des aïeux et de la tradition et dont l'origine, se perdant dans la nuit des temps, se perd aussi dans l'obscurité de toutes les origines, et d'un autre côté par le sens de grammaire, de régularité et de goût qui, connexe du développement général de la société, est soutenu par les bons. livres et les grands écrivains.

Ayant fait la part de l'influence sociale sur la langue, il faut faire la part de la tradition. C'est en effet du conflit de ces deux forces qu'à chaque moment considéré résulte l'état réel. Le fond primordial et traditionnel est l'œuvre des anciennes et fondamentales aptitudes de l'humanité, et c'est un des legs les plus précieux que nous tenions de nos aïeux. Cet héritage, pauvre d'abord, ou, si l'on veut, conforme aux àges primitifs, doit successivement être mis en rapport avec les idées changeantes et croissantes, sans toutefois perdre l'analogie intime qui en fait la nature propre. Moins cette analogie recevra de blessures, plus le développement sera régulier et plus l'esprit qui use insciemment de la langue aura aisance et satisfaction. Mais, sans vouloir généraliser ces remarques et en se

renfermant dans le domaine latin et roman, une grande rupture se fait voir, c'est la chute des cas désormais remplacés par des prépositions. Il faudra donc que les langues romanes, et en particulier le français, qui sont originairement des langues exprimant les rapports des mots par des flexions ou désinences, s'arrangent au moins mal qu'il sera possible entre une syntaxe qui veut des flexions et une syntaxe qui n'en veut pas.

La déclinaison française (car on ne peut pas ne pas nommer ainsi ce faible débris) n'a plus de marque que dans la distinction du singulier et du pluriel, dans cette s qui n'a rien d'arbitraire en soi et qui découle des anciens procédés de flexion usités dans la langue d'oil, qui eux-mêmes remontent au loin. Il suffit de se représenter ce qui se passa lors de la destruction des cas pour concevoir qu'elle aurait pu sans peine aller jusqu'à effacer la distinction entre le singulier et le pluriel, laquelle n'aurait plus été indiquée que par un petit mot chargé de cette fonction, l'article par exemple. La même observation s'applique à ces pluriels en aux (le cheval, les chevaux), flexion qui n'a d'explication que dans les faits antécédents de la langue, et que l'analogie de la langue moderne tend toujours à effacer dans la bouche des enfants (le cheval, les chevals). Mais tandis que, dans les noms, les flexions significatives se perdaient pour faire place aux mots qui notent

les rapports, il n'en était pas de même des verbes et de leur conjugaison. Là le système des flexions conservait tout son empire, non-seulement pour exprimer les personnes, mais aussi pour caractériser les modes et les temps. Sur ce dernier point, la conjugaison latine a été entamée à peine dans le plus-que parfait et le futur passé de l'indicatif, dans le parfait et le plus-queparfait de subjonctif, dans le participe futur de l'actif et du passif, tous remplacés par des temps composés (amaveram, j'avais aimé; amavero, j'aurai aimé; amaverim, que j'aie aimé; amavissem, que j'eusse aimé ; amaturus, devant aimer; amandus, devant être aimé). Mais la puissance de la grammaire à flexions était si forte au moment où les langues romanes se formèrent, que, sur le type désinentiel, elles créèrent un mode qui manquait à la conjugaison latine, je veux dire le conditionnel : j'aimerais.

En résumé, toute langue étant constituée par ur. fond traditionnel qui est d'origine et que chaque nation peut modifier, non changer, l'histoire de cette langue étudie comment ce fond traditionnel se comporte à l'égard du développement social qui est la cause essentielle des modifications et à l'égard des événements politiques qui en sont la cause accidentelle (par exemple l'immixtion des Germains dans les populations romanes). L'idéal d'une telle histoire, d'un tel

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