Images de page
PDF
ePub

prince Robert; mais dans sa bouillante imprévoyance, et emporté aussi par la soif du pillage, il la poursuivit plus de deux milles, sans s'inquiéter de ce qui se passait derrière lui. Arrêté enfin par le régiment de Hampden, qui arrivait avec l'artillerie, le prince rebroussa chemin vers le champ de bataille; mais à son retour il trouva l'infanterie royale rompue et dispersée, le comte de Lindsey, général en chef, blessé à mort et prisonnier, l'étendard du roi tombé aux mains des parlementaires; le roi lui-même s'était vu un moment presque seul et en danger d'être pris. La réserve d'Essex demeurait seule et en bon ordre sur le terrain. Charles et son neveu essayèrent en vain de déterminer leurs escadrons à une nouvelle charge; ils étaient revenus pêle-mêle; les soldats cherchaient leurs officiers, les officiers leurs soldats; les chevaux tombaient de fatigue; on n'en put rien obtenir. Les deux armées passérent la nuit sur le champ de bataille, l'une et l'autre inquiètes du lendemain, quoique s'attribuant toutes deux la victoire. Le parlement avait perdu plus de soldats, le roi plus d'hommes de marque et d'officiers. Le jour venu, Charles parcourut son camp; un tiers de l'infanterie et beaucoup de cavaliers manquaient; non que tous

eussent péri, mais le froid, le défaut de vivres, l'âpreté de ce premier choc, avaient dégoûté un grand nombre de volontaires; ils s'étaient dispersés (1). Pour continuer librement sa marche sur Londres, le roi eût voulu engager une nouvelle action; mais il vit bientôt qu'il n'y pouvait songer. Dans le camp parlementaire, la même question était agitée; Hampden, Hollis, Stapleton, la plupart des officiers chefs des milices et membres des communes, conjuraient Essex de reprendre sur-le-champ l'attaque : « Le roi, disaient-ils, est » hors d'état de la soutenir; trois régiments frais >> nous sont arrivés; il tombera dans nos mains » ou sera forcé d'accepter nos conditions: la rapide conclusion de la guerre peut seule épargner >> au pays des maux, au parlement des chances >> impossibles à prévoir. » Mais les militaires de profession, les officiers formés sur le continent, le colonel Dalbier et d'autres, repoussèrent ce conseil : selon eux, c'était déjà beaucoup d'avoir livré, avec des recrues, un si glorieux combat; Londres était sauvé; ce succès avait coûté cher; les soldats, encore bien novices, étaient étonnés et tristes; ils ne recommenceraient pas sitôt de

>>

(1) Rushworth, p. 3, t. II, p. 33-38. May, Hist. du Long-Parl., t. II, p. 73-82. Clarendon, Hist. of the rebell., t. V, p. 76-87.

[ocr errors]

bon cœur; le parlement n'avait qu'une armée, il fallait l'accoutumer à la guerre, et ne pas tout risquer en un jour. Ils parlaient avec autorité; Essex adopta leur avis ('), et porta son quartier général à Warwick, en arrière de l'armée royale, mais en mesure de suivre ses mouvements. Quelques jours après, le roi s'avançant vers Londres, quoique sans dessein de pousser sa marche, établit le sien à Oxford, des grandes villes du royaume la plus dévouée à sa cause.

A Londres comme à Oxford, on rendit à Dieu des actions de grâces; car le parlement, se disaient entre eux ses amis, avait obtenu une grande délivrance, bien qu'une petite victoire. Il s'aperçut bientôt que la délivrance même n'était point consommée (2). Plus voisine que celle d'Essex, l'armée du roi se répandait dans le pays; la plupart de ses déserteurs rejoignaient leurs corps, guéris, par l'espoir du butin, de leur premier effroi. Des places qu'on croyait sûres, Banbury, Abingdon, Henley, lui ouvraient leurs portes sans coup férir; la garnison de Reading, cominandée par Henri Martyn, ami de Cromwell et cynique démagogue, s'enfuit honteusement à l'approche de quelques

(1) Whitelocke, p. 61.

(2) Ibid.

escadrons (1). Le roi y porta son quartier général. Le prince Robert poussait jusqu'aux campagnes de Londres ses courses et ses pillages (2). La cité s'alarmait; la chambre haute accueillait des motions pacifiques (3). Essex eut ordre de se rapprocher avec ses troupes, et en attendant on se décida à demander au roi un sauf-conduit pour six députés chargés d'ouvrir quelque négociation. Il refusa d'y comprendre l'un d'eux, sir John Eve lyn, que la veille même (*) il avait proclamé traître (5). La chambre des communes voulut tout rompre; Essex était arrivé (6). Le lord maire convoqua à Guidhall une assemblée générale des citoyens (7). Deux membres du parlement, lord Brook et sir Henri Vane, s'y rendirent pour relever leur courage et les exhorter à sortir des murs, à s'aller ranger sous les drapeaux du général : << Il a remporté, leur dit lord Brook, la plus grande >> victoire qui se soit jamais vue; il leur a tué » deux mille hommes, et nous n'avons pas perdu

(1) Clarendon, Hist. of the rebell., t. V, p. 121.

(2) Whitelocke, p. 61.

(3) Le 29 octobre 1642. Parl. Hist., t. III, col. 1.

(4) Le 2 novembre 1642.

(5) Parl. Hist., t. III, cól. 2-5. Clarendon, Hist. of the rebell, t. V, p. 122.

(6) Le 7 novembre 1642.

(7) Le 8 novembre 1642.

>> cent des nôtres; non, pas cent, à moins que vous >> ne vouliez compter les femmes, les enfants, les >> charretiers et les chiens, car les gens du roi » ont tué les chiens et tout; alors cela ferait deux >> cents. Eh bien, messieurs, le général veut sor

>>

tîr demain, il veut faire plus qu'il n'a encore fait; >> et c'est pour vous qu'il va marcher, car pour >> lui rien ne le gène; il peut être un homme libre, un gentilhomme, un grand seigneur : il peut aller où il lui plaît. C'est pour vous seuls qu'il marchera demain. Quand donc vous en» tendrez battre le tambour, car décidément de» main le tambour battra, ne dites pas, je vous >>> en conjure: -Je ne suis pas de la milice,

[ocr errors]

et

ceci, et cela, et l'autre marchez plutôt et com» battez vaillamment, et ce sera le jour de votre » délivrance (1). » La salle retentit d'acclamations; mais la terreur n'était point dissipée : le roi, que ses partisans informaient de tout, avait pressé sa marche; il était à Colebrooke, à quinze milles de Londres. Le parlement se résigna à faire partir cinq de ses députés, sans insister sur l'admission d'Evelyn, Charles les reçut bien (2), et dit qu'en tout lieu, même aux portes de la ville, il serait

(1) Parl. Hist., t. III, col. 6-9.

(2) Le 11 novembre 1642.

« PrécédentContinuer »