mèrent dans leurs maisons, les indépendants reprirent partout possession du pouvoir, les lâches s'empressèrent avec confiancé autour des vainqueurs. Le conseil commun pria Fairfax et ses officiers d'accepter un dîner public; Fairfax refusa; on n'en fit que plus promptement ciseler, pour la lui offrir, une aiguière d'or ('). Il se trouva même un certain nombre d'apprentis qui vinrent lui présenter leurs félicitations, et il les reçut en audience solennelle, charmé de donner à croire que, dans cette jeunesse redoutée, l'armée aussi avait un parti (2). Les chambres, de leur côté, les lords surtout, étalaient leur servile reconnaissance; ils votèrent que tout ce qui s'était fait en l'absence des membres réfugiés à l'armée était nul de plein. droit, sans qu'il fût besoin de le révoquer (3): ce vote inquiéta les communes; elles consentaient à tout rapporter, à poursuivre partout les auteurs de l'émeute qui avait amené la scission; mais la plupart des membres, restés à Westminster, avaient concouru à ces actes dont on leur demandait de déclarer la nullité absolue; trois fois ils refusèrent (4) Rushworth, part. 4, t. II, p. 761-764. p. 220. (2) Rushworth, part. 4, t. II, p. 778. (3) Le 6 août. Parl. Hist., t. III, col. 743. Mémoires de Hollis, de se livrer à ce point ('). Dès le lendemain (2); un parti de cavalerie vint camper dans Hyde-Park; des postes furent placés autour de la chambre des communes, à toutes les avenues; au dedans Cromwell et Ireton soutinrent avec menaces la résolution des lords (3); on l'adopta enfin, et rien ne manqua plus au triomphe de l'armée, car ceux-là mêmes qui l'avaient subi en proclamaient la légitimité, A ce grand et facile succès, le mouvement révolutionnaire jusque-là contenu ou réglé, même parmi les indépendants, par les besoins de la lutte, prit en liberté son essor; toutes les passions, toutes les espérances, tous les rêves s'enhardirent et se déployèrent. Dans les rangs élevés du parti, au sein des communes, dans le conseil général des officiers, les projets républicains devinrent clairs et positifs depuis longtemps déjà Vane, Ludlow, Haslerig, Martyn, Scott, Hutchinson, répondaient à peine quand on les accusait d'en vouloir à la monarchie; ils n'en parlèrent plus qu'avec mépris; (1) Les 10 et 19 août, la proposition fut écartée par quatre-vingtseize voix contre quatre-vingt-treize, quatre-vingt-cinq contre quatrevingt-trois, et quatre-vingt-sept contre quatre-vingt-quatre. (Parl. Hist., t. III, col. 756, 773.) (2) Le 20 août. (3) Mémoires de Hollis, p. 215-219. Parl. Ilist., t. III, col. 758773.Whitelocke, p. 268. le principe de la souveraineté du peuple, et, en son nom, d'une assemblée unique, par lui déléguée, présida seul à leurs actions, à leurs discours; et dans leurs entretiens, toute idée d'accommodement avec le roi, n'importe à quels termes, fut traitée de trahison. Au-dessous d'eux, dans le peuple comme dans l'armée, éclatait en tous sens le bouillonnement des esprits; sur toutes choses, des réformes jusque-là inouïes étaient invoquées; de toutes parts s'élevaient des réformateurs; à leurs fougueux désirs aucune loi n'imposait de respect, aucun fait ne semblait un obstacle; d'autant plus confiants et impérieux que leur ignorance et leur obscurité étaient plus profondes, leurs pétitions, leurs pamphlets chaque jour renaissants portaient partout la menace. Cités devant les juges, ils mettaient en question les juges euxmêmes, et les sommaient de quitter un siége usurpé; attaqués dans les églises par les ministres presbytériens, ils s'élançaient tout à coup vers la chaire, en arrachaient le prédicateur et prêchaient à leur tour, sincères dans leurs extases, quoique habiles à les employer au profit de leurs passions. Aucune doctrine forte et complète, aucune intention précise et générale ne présidait à ce mouvement tous républicains, ces champions popu laires poussaient bien au delà d'une révolution dans le gouvernement leurs pensées et leurs vœux ; ils aspiraient à changer la société même, les relations, les mœurs, les sentiments mutuels des citoyens. Mais en ceci leurs vues étaient courtes et confuses ; les uns épuisaient leur audace à poursuivre bruyamment quelque innovation importante mais partielle, comme la destruction des priviléges des lords ou des jurisconsultes; aux autres il suffisait de quelque pieuse rêverie, comme l'attente du règne prochain du Seigneur : quelques uns, sous le nom de rationalistes, réclamaient, pour la raison de chaque individu, une souverainté absolue ('); quelques autres parlaient d'introduire entre les hommes une rigoureuse égalité de droits et de biens, et leurs ennemis en profitèrent pour leur imposer à tous le nom de niveleurs. Mais ni ce nom décrié, et qu'ils repoussèrent constamment, ni aucun autre ne leur convenait, car ils ne formaient ni une secte dévouée à une croyance systématique, ni une faction ardente à marcher vers un but déterminé. Bourgeois ou soldats, visionnaires ou démagogues, un besoin d'innovation plus passionné qu'étendu, de vagues instincts d'égalité, (1) Clarendon, State-Papers, t. I, Appendice, p. XL. surtout le plus rude esprit d'indépendance, tels étaient leurs communs caractères; et possédés d'une ambition aveugle, mais pure, intraitables à quiconque leur semblait faible ou intéressé, ils faisaient tour à tour la force et la terreur des partis divers, tous successivement contraints de s'en servir et de les tromper. Nul n'avait réussi aussi bien que Cromwell dans l'un et l'autre dessein; nul ne vivait, avec ces obscurs mais puissants enthousiastes, dans une intimité si confiante. Tout en lui leur avait plu d'abord : les élans désordonnés de son imagination, son empressement à se faire l'égal et le compagnon des plus grossiers amis, ce langage mystique et familier, ces manières tour à tour triviales et exaltées qui lui donnaient l'air, tantôt de l'inspiration, tantôt de la franchise, même ce libre et souple génie qui semblait mettre au service d'une cause sainte toutes les ressources de l'habileté mondaine. Aussi avaitil cherché et trouvé parmi eux ses plus utiles agents, Ayres, Evanson, Berry, Sexby, Sheppard, Wildman, tous membres principaux du conseil des agitateurs, toujours prêts, sur un mot du lieutenant général, à ameuter l'armée, tantôt contre le roi, tantôt contre le parlement. Lilburne luimème, le plus indomptable et le moins crédule |