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son ami, en me prévenant que ce gros livre contient de bons matériaux qui pourraient m'être utiles; mais qu'il est fort prolixe, et qu'il ne peut pas donner beaucoup d'éloges ni à la forme, ni au style. Enfin, il me dit qu'il m'enverra les meilleurs livres qui paraîtront en Angleterre sur l'économie politique; et plusieurs fois il a eu la complaisance de tenir sa promesse. Je conserve ces détails ici pour m'honorer de la bienveillance d'un homme aussi justement célèbre que David Hume, et toujours pour faire valoir la philosophie que j'ai cultivée, et les philosophes avec lesquels j'ai vécu. Presque tous, comme on le voit jusques en moi-mème, s'ils n'ont pas été prophètes dans leur pays, ont attiré pourtant l'attention, et quelquefois l'estime des étrangers qui ont laissé un nom dans l'histoire des instituteurs du genre humain.

MORELLET, TOM. 1. 2o édit.

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CHAPITRE VIII.

Travaux sur la compagnie des Indes. Lettres inédites de Turgot et de Buffon. Prospectus d'un dictionnaire du commerce. Réfutation de Galliani. Autres lettres de Turgot. Statue de Voltaire.

EN 1769, M. d'Invaux, contrôleur général, voyant d'une part le désordre monté au comble dans les affaires de la compagnie des Indes, et convaincu d'ailleurs de l'inutilité et des inconvé niens d'un tel privilége, me chargea de traiter cette grande question. M. Boutin, conseiller d'état et commissaire du roi, me fit communiquer tous les états de situation de la compagnie. Je prouvai, d'abord, qu'elle était désormais hors d'état de continuer son commerce par ses propres forces, le roi ne pouvant plus lui fournir les secours qu'il lui avait constamment donnés pendant quarante ans, pour la soutenir contre les vices de sa constitution et de son administration; et je soutins ensuite la proposition générale, qu'une compagnie privilégiée n'était ni bonne, ni nécessaire, pour faire utilement le commerce de l'Inde.

M. Necker répondit à mon mémoire. Sa réponse laissait mes preuves entières, ce que je crois avoir démontré dans la réplique que je lui fis, et qui eut beaucoup de succès. M. Turgot et M. l'archevêque d'Aix estimaient cette réplique, comme un ouvrage bien raisonné, disaient-ils, et un modèle du genre polémique. J'ose conserver leurs éloges, parce qu'ils me les ont souvent répétés.

A la fin de 1769, un arrêt du conseil me donna gain de cause, et l'intervention même du Parlement, qui écouta les commissaires de la compagnie, sur les principaux faits que j'avais allégués, concourut à former la décision du conseil. Ce travail ne m'avait valu aucune récompense du gouvernement, le ministre étant sorti de place avant d'accomplir ses promesses. Mais, cinq ans après, à l'arrivée de M. Turgot au ministère, une gratification perpétuelle de deux mille livres sur la caisse du commerce, me fut décernée par un arrêt du conseil, pour différens ouvrages et mémoires publiés sur les matières de l'administration. Ce sont les termes de l'arrêt. Jeles rapporte pour faire observer que M. Turgot paya ainsi la dette de M. d'Invaux ou plutôt du gouvernement, et qu'on ne peut lui reprocher d'avoir prodigué les grâces du roi à ses amis; car il ne m'en a jamais fait ac

corder aucune autre.

J'ajouterai ici, sans scrupule, les félicitations que je reçus, pour l'un et l'autre ouvrage, de deux hommes dont le suffrage est de quelque poids. M. Turgot m'écrivait de Limoges, le 25 juillet 1769:

« J'ai lu, mon cher abbé, votre ouvrage pendant >> mon voyage (il parle du premier Mémoire), au • moyen de quoi j'ai été détourné de la tentation >> de faire des vers, soit métriques, soit rimés; et » j'ai beaucoup mieux employé mon temps. Ce Mé› moire doit atterrer le parti des directeurs; la dé» monstration y est portée au plus haut degré d'é» vidence. J'imagine cependant qu'ils vous répon> dront, et qu'ils tâcheront de s'accrocher à quel» que branche où ils croiront trouver prise; mais » je les défie d'entamer le tronc de vos démonstra» tions. J'en suis en général fort content, quoique › j'y trouve quelques petits articles à critiquer, » quelques défauts de développemens, quelques > phrases obscures; mais tout cela est une suite de » la célérité forcée qu'il a fallu donner à la compo>> sition et à l'impression; et comme je suis fort loin > d'être sans péché, je ne vous jette point de › pierres, etc.

Il combat ensuite une assertion que j'avais faite, que, le commerce rendu libre, le prix dés marchandises indiennes, aux Indes même, n'augmenterait pas pour les acheteurs; c'est une discussion trop abstraite pour que je l'insère ici, et je ne crois pas encore avoir eu tort en ce point. Mais je suis flatté de son approbation pour le fond et le plan de l'ouvrage, par la raison même qu'il est sévère, comme on voit, sur quelques détails d'exécution.

J'eus lieu d'être content aussi de son jugement sur le second Mémoire en défense du premier : «J'ai reçu, mon cher abbé, m'écrit-il de Limoges, le 3 octobre 1769, votre réponse à M. Necker. Je

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› vous en fais mon compliment de tout mon cœur; » elle m'a fait le plus grand plaisir; elle est aussi >> modérée qu'elle peut l'ètre, en démontrant, aussi clairement que vous le faites, les torts de votre » adversaire. Je suis persuadé qu'elle fera revenir le > public, et que M. Necker n'aura joui que d'un >> triomphe passager. C'est lui qui, à présent, aura >> du mérite à ne point se brouiller avec vous, etc.»

Je retrouve aussi dans mes papiers une lettre de M. de Buffon, à qui j'avais envoyé successivement mes deux Mémoires, et qui m'écrit de Montbar, le 9 novembre 1769, au sujet du dernier : « Je » viens de lire votre réponse à M. Necker, et j'en » suis, Monsieur, si plein et si content, que je ne > peux me refuser au plaisir de vous le témoigner. » Indépendamment de ce que vous avez très-cer>tainement raison pour le fond, vous avez encore > tout avantage pour la forme : votre ton, quoique > ferme, est très-honnête. Cet ouvrage ne peut > que vous faire honneur, et je ne doute pas que » vos oppósans ne reviennent à votre avis; ils y se> ront forcés par la voix publique.... etc. Je n'ai pas besoin de faire remarquer ici que cette lettre est antérieure à la grande liaison qui s'est établie depuis entre M. de Buffon et M. et madame Necker, et à l'espèce de culte rendu par madame Necker à l'auteur de l'Histoire naturelle.

C'est aussi vers la fin de cette année-là que je publiai le Prospectus d'un Nouveau Dictionnaire de Commerce, entreprise que j'ai enfin abandon

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