phique. Lorsqu'elle parut, M. Turgot m'écrivit à Londres : « Je suis curieux de savoir ce que les Anglais auront pensé de l'Histoire des Deux Indes. J'avoue qu'en admirant le talent de l'auteur et son ouvrage, j'ai été un peu choqué de l'incohérence de ses idées, et de voir tous les paradoxes les plus opposés mis en avant et défendus avec la même chaleur, la même éloquence, le même fanatisme. Il est tantôt rigoriste comme Richardson, tantôt immoral comme Helvétius, tantôt enthousiaste des vertus douces et tendres, tantôt de la débauche, tantôt du courage féroce; traitant l'esclavage d'abominable, et voulant des esclaves; déraisonnant en physique, déraisonnant en métaphysique et souvent en politique; il ne résulte rien de son livre, sinon que l'auteur est un homme de beaucoup d'esprit, très-instruit, mais qui n'a aucune idée arrêtée et qui se laisse emporter par l'enthousiasme d'un jeune rhéteur. Il semble avoir pris à tâche de soutenir successivement tous les paradoxes qui se sont présentés à lui dans ses lectures et dans ses rêves. Il est plus instruit, plus sensible, et a une éloquence plus naturelle qu'Helvétius; mais il est, en vérité, aussi incohérent dans ses idées, et aussi étranger au vrai système de l'homme., CHAPITRE X. Bruit du rappel des Jésuites. Chanson. Mort de Louis XV. 1 1773. J'AI peu de choses à dire de mes occupations littéraires de 1773; la principale était toujours le Dictionnaire du commerce. Seulement, pendant un séjour de quelques semaines à Montigny, je traduisis pour Mo Trudaine de Montigny, A father's Legacy, le Legs d'un père à ses filles, par le docteur Grégory, fort joli petit ouvrage d'une morale douce et vraie, dont je crois avoir bien conservé le caractère, et que je ne crains pas d'indiquer comme très-bon à faire lire aux jeunes per sonnes. Je le publiai à mon retour à Paris, en 1774, et depuis on en a fait de nouvelles éditions. Mais de cette année 1773, je crois pouvoir conserver une anecdote qui sera de quelque intérêt et pour ceux qui n'aimaient pas les jésuites, et pour ceux qui ont tenté récemment, comme en 1804 et 1805, de les faire rétablir en France. A cette époque, un parti dans le clergé s'était formé pour ménager leur retour. Les circonstances leur étaient favorables. On s'apercevait du grand vide qu'ils avaient laissé dans l'instruction publique. Le parlement qui les avait fait bannir était dissous, et le parlement Maupeou l'avait remplacé. L'archevêque de Paris, Beaumont, et plusieurs prélats, encouragés par de hautes protections, travaillaient imprudemment au triomphe de cette compagnie, plus puissante qu'eux. L'archevêque de Toulouse lui-même me disait quelquefois : « Eh bien! vous autres philosophes, vous avez tant fait des pieds et des mains qu'on a chassé les jésuites; trouvez donc maintenant le moyen de suppléer à leurs colléges, à une éducation qui ne coûtait rien à l'État. » Je défendais de mon mieux les philosophes, et je combattais assez bien les apologistes des jésuites; mais comme il m'arrivait souvent d'exprimer ces sentimens dans nos sociétés, chez le baron d'Holbach et chez Helvétius, il me vint l'idée de faire une chanson qui, en éventant le projet de rétablir les jésuites, pourrait renverser ce projet malheureux. Voici ma chanson; car il faut tout Et joindre ce nouveau bienfait Est-il vrai que huit ou dix rois, On prétend qu'aux jeunes garçons 'Tous ceux qui les ont fait bannir, Ce brillant monsieur de Choiseul, Le roi d'Espagne, en les chassant, 1 |