de votre excellente plaisanterie des Guichets, et de votre Essai de cométologie, qui nous ont fort amusés, moi et plusieurs de mes amis. Dans cette disette de nouvelles de l'académie d'Auteuil, je lis et relis avec un plaisir toujours nouveau vos lettres et celles de l'abbé de Laroche, et les pièces que vous m'avez envoyées en juillet 1787, et le griffonnage, comme elle l'appelle elle-même, de la bonne dame que nous aimons tous, et dont je chérirai le souvenir tant qu'il me restera un souffle de vie; et toutes les fois que dans mes rêves je me transporte en France pour y visiter mes amis, c'est d'abord à Auteuil que je vais. Je vous envoie quelque chose d'assez curieux : ce sont des chansons et de la musique composées en Amérique, et les premières de nos productions en ce genre; j'ai pensé que quelques-uns pourraient être de votre goût par la simplicité et le pathétique. La poésie de la cinquième me plaît particulièrement, et je désire que vous, ou M. de Cabanis, la traduisiez dans votre langue, de manière que la traduction puisse être chantée sur le même air. La personne qui vous remettra ma lettre est M. le gouverneur Morris, ci-devant membre du congrès, et l'un des membres de la Convention, qui ont rédigé la constitution fédérative. Il est fort estimé ici de tous ceux qui le connaissent; et, comme il est mon ami, je le recommande à vos civilités, ainsi qu'à celles de M. de Marmontel et de toute votre famille. › Je me flatte de l'espérance que vos derniers troubles sont apaisés. J'aime tendrement votre pays, et je me crois profondément intéressé moimême à sa prospérité. Maintenant que je viens de finir la troisième année de ma présidence, et que désormais je n'aurai plus à me mêler d'affaires publiques, je commence à me regarder comme un homme libre, as a free man, qui n'ai plus qu'à jouir du peu de temps qui me reste. J'en emploîrai une part à écrire ma propre histoire, ce qui, en rappelant à mon souvenir le passé, me fera, pour ainsi dire, recommencer ma vie. → Je suis toujours, mon cher ami, etc., etc. » MORELLET, TOM. 1. 2o édit. 21 F CHAPITRE XVI. Défense du marquis de Chastellux contre Brissot. Nouveaux mémoires en faveur de la liberté du commerce. Lettre à l'archevêque de Sens. Première assemblée des Notables. Prieuré de Thimer. EN 1787, Brissot, que nous avons vu depuis membre de l'Assemblée législative et de la Convention, briller sur ces deux théâtres et aller finir sa carrière sur un échafaud, avait écrit une satire insolente et injuste sous le titre d'Examen critique des voyages dans l'Amérique septentrionale, de M. le marquis de Chastellux: je crus devoir prendre la défense de mon ami. Ma réponse était imprimée plus d'à moitié, lorsque M. de Chastellux, craignant d'engager un combat à outrance avec un mauvais homme, qui prenait déjà une sorte de crédit, me pria de suspendre l'impression. Je conservai seulement deux exemplaires des premières feuilles livrées, et fis transcrire à la suite la fin du manuscrit. L'un de ces deux exemplaires doit être resté entre les mains de Mme de Chastellux après la mort de son mari : on trouvera l'autre chez moi. Je me trouvai engagé, vers ce temps-là même, à traiter de nouveau la question de la liberté du commerce de l'Inde. Depuis 1769 jusqu'à l'avéne ment de M. de Calonne au ministère, la compagnie était demeurée supprimée, et le commerce de l'Inde s'était fait avec quelque succès: on ne pouvait rien demander de plus pour des essais de liberté, faits après quarante années de privilége et de monopole. : M. de Clugny, et M. Necker lui-même, dans une administration de plusieurs années, n'avaient point rétabli la compagnie, quoique celui-ci dût être bien fortement tenté de confirmer la théorie de ses écrits par la pratique de son ministère. Cet essai malheureux était réservé à grossir le nombre des fautes de M. de Calonne, qui releva le privilége exclusif et créa une nouvelle compagnie, contre le vœu de la plupart des villes de commerce, avec des avantages exorbitans et aux dépens des consommateurs, aux dépens du revenu public. Les villes maritimes, fatiguées du joug que leur imposait la compagnie, tentèrent de s'en délivrer. Elles envoyèrent à Paris des députés, chargés de suivre cette affaire au conseil. Ils duignèrent m'honorer de leur confiance, et je fis en leur nom un mémoire où, reprenant la question que j'avais traitée en 1769, sous de nouveaux points de vue, je fais valoir, en faveur de la liberté, le vœu de l'assemblée des notables dont je parlerai bientôt, et celui des principales villes du royaume. J'y prouve par des états authentiques que, pendant les quinze années qui ont suivi la révocation du privilége, les négocians particuliers ont fait heureusement et utilement pour eux le commerce de l'Inde; que leur concurrence n'apporte aucun inconvénient ni à l'achat dans l'Inde, ni à l'importation de l'Inde en Europe, et qu'ils ne manquent point de capitaux; que l'était fait des sacrifices énormes à la compagnie nouvelle; qu'elle n'exporte pas autant de produits de notre territoire et de notre industrie qu'en exporte le commerce fibre; je démontre enfin que la suppression du privilége ne peut qu'être avantageuse et à la politique et aux finances de l'état. Les députés du commerce des villes de Marseille, Rouen, Lyon, Montpellier, Dunkerque, Bordeaux, Toulouse, la Rochelle, Nantes, Lorient et le Havre, dont plusieurs m'avaient fourni des renseignemens, et à qui j'avais lu mon mémoire, le signèrent et le payèrent fort noblement par une vaisselle d'argent de la valeur d'environ deux mille écus. Nous attendions un heureux effet de ce mémoire, et le ministre lui-même, malgré ses préventions, eût résisté difficilement, je ne dis pas à la force de nos preuves, mais au crédit que semblait prendre dans les esprits la cause de la liberté. Mais j'eus bientôt de nouveaux motifs de me flatter du succès. M. l'archevêque de Sens étant arrivé au ministère, je crus et je devais croire qu'aussi persuadé que moi des principes de la liberté du commerce, il en favoriserait le rétablissement. Je me chargeai donc de presser la décision du conseil sur la ques |