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« Rousseau fut l'agresseur. » C'est beaucoup pour La Harpe de convenir que la représaille était violente. Quant à l'attaque, elle consistait dans la note de l'ecclésiastique mise à la fin de la préface de la Lettre sur les Spectacles'. Rousseau fut l'agresseur en public: mais les premiers torts vinrent de Diderot. Les Mémoires de madame d'Épinay le prouvent, si l'on n'en croit point Jean-Jacques.

Revenant sur cette note de Diderot, La Harpe trouve mauvais que Ginguené la qualifie de violent délire. C'est pis qu'un délire : c'est un outrage calomnieux, médité, combiné, écrit dans le repos, quoiqu'avec l'impétuosité de la tempête; c'est l'injure d'un homme qui se sent coupable et court au-devant d'une accusation qu'on peut lui faire et qu'on ne lui fait pas.

L'appel qui termine les Confessions, et dont nous avons parlé plus haut, fournit à La Harpe une observation qu'il croit victorieuse, et qu'un peu de réflexion détruit facilement. « Si quelqu'un sait des choses con

I

La Harpe parle de démélés qui donnèrent lieu à cette note hostile, ne se croyant pas permis de les discuter, parce que les deux personnes intéressées sont encore vivantes. Il écrivait en 1792. Ainsi, c'est de madame d'Houdetot et de Saint-Lambert qu'il est question. Après avoir dit qu'il avait un ami, et qu'il le regrette, Rousseau rapporte un passage dans lequel sont indiquées les circonstances où l'on doit pardonner les torts de l'amitié, et celles où ces torts ne peuvent être oubliés. La révélation du secret de son ami est du nombre des derniers. Jean-Jacques avait confié à Diderot la faute qu'il s'est reprochée amèrement : l'envoi de ses enfants à l'hospice. C'est par Diderot que, de confidence en confidence, le public l'apprit. Lorsque Rousseau conçut pour madame d'Houdetot cette passion dont il décrit la violence avec tant d'énergie, on écrivit une lettre anonyme à SaintLambert. La Harpe a l'air de croire qu'on accuse Diderot. Jean-Jacques désigne Grimm; et c'est dans le caractère de Grimm, plutôt que dans celui de Diderot.

« traires à ce que je viens d'exposer, fussent-elles « mille fois prouvées, il sait des mensonges et des

impostures. On demandera comment ce qui est mille « fois prouvé peut être un mensonge et une imposture. <«< Cette proposition est évidemment absurde, puisqu'elle << se contredit dans les termes. >>

Il est facile de répondre. La fausse madame de Douhaut a prouvé par deux cents témoins qu'elle était la véritable: et il a été prouvé, 1o que c'était une fille sortie de la Salpêtrière; 2o que madame de Douhaut était morte à Orléans. Les deux faits sont également appuyés d'actes authentiques, d'enquêtes, de procèsverbaux. L'un des deux est une imposture. Pour qu'il y eût, dans le langage de Rousseau, la contradiction dont l'accuse La Harpe, il faudrait que ce qui est prouvé fût toujours vrai. Or, que de faits faux sont prouvés et admis comme vrais. Je me suis contenté d'un exemple connu de tout le monde.

<«<Quoique Jean-Jacques ait écrit en propres termes: « Je me sens le cœur ingrat par cela seul que la re«< connaissance est un devoir! M. Ginguené refuse de << l'en croire, et soutient que cela ne veut pas dire qu'il «< fût en effet ingrat. » Et M. Ginguené peut bien n'avoir pas tort. Se sentir le coeur ingrat n'est pas dire qu'on le soit; si on ne l'est pas, la reconnaissance en a bien plus de mérite: car il n'y en a pas à faire ce qui plaît. La question est donc de savoir si Rousseau triompha de son penchant. Or, le langage qu'il tient dans les Confessions et dans un grand nombre de lettres sur le maréchal de Luxembourg, le prince de Conti, M. de Malesherbes, milord Maréchal, lève tous

les doutes, et fait conclure que si réellement il avait du penchant à l'ingratitude il sut le vaincre. Du reste, La Harpe a grand soin de prendre Jean-Jacques au mot; ainsi, répétant ce que celui-ci dit de lui-même, il prétend qu'il était nul dans la conversation, gauche, embarrassé, ne pouvant rien dire. Cela pouvait être quelquefois, souvent même, suivant le genre ou le ton de la société dans laquelle il se trouvait, les dispositions de son esprit, son humeur ou sa santé. Mais il faut être La Harpe et vouloir trouver dans JeanJacques un homme très-commun, pour assurer, au moyen de ce passage, que c'était d'après ce motif et parce qu'il ne pouvait rien dire, qu'il recherchait la solitude. Dussaux et le prince de Ligne rendent compte de plusieurs entretiens qu'ils eurent avec Rousseau, et le peignent comme sublime; Grétry, Bernardin de Saint-Pierre, Corancès, madame de Genlis même, qui a le droit d'être difficile, le représentent dans les conversations qu'ils rapportent, comme d'une rare amabilité. D'après ces témoignages, nous pourrions conclure qu'il en était toujours ainsi, si nous adoptions la logique de M. de La Harpe; mais nous nous en garderons bien.

Nous craignons que cette discussion ne soit déjà trop longue, et cependant il nous reste encore quelques remarques importantes à faire sur la critique de La Harpe; une, entre autres, qui met au grand jour sa mauvaise foi; car les expressions dont il se sert donnent le droit d'employer le mot propre. Mais nous préférons mettre cette remarque en note au bas du passage des Confessions auquel elle est relative, et

qu'il faudrait rapporter ici. On la trouvera donc dans le septième livre, au récit de l'entrevue de Jean-Jacques avec Zulietta.

La première partie de cet ouvrage, écrite à Wotton, en Angleterre, dans les années 1766 et 1767, fut imprimée en 1781, contre les intentions de Dupeyrou, qui voulait respecter celles de son ami. La seconde, composée soit à Trye, soit dans le Dauphiné, de 1768 à 1770, fut publiée en 1788. Toutes deux parurent avant l'époque désignée par l'auteur (1800).

C'est ici l'occasion de remercier nos souscripteurs de l'encouragement qu'ils ont bien voulu nous donner les uns par leurs suffrages, les autres par l'envoi de quelques manuscrits qui rendront cette édition plus complète que les précédentes 1. Plusieurs nous ont demandé des renseignements que nous devons leur donner; ils croient que nous avons dirigé l'édition publiée par M. Lequien; il faut les détromper: cuique suum. Déjà l'on a dû voir (dans l'avis qui précède le huitième volume, et page 6 du même volume) des observations critiques sur deux remarques très - singulières de cet éditeur; ces observations prouvent que nous étions étrangers à la direction générale de son entreprise. Voici les parties auxquelles nous avons donné des soins.

* Tel est entre autres le récit des événements de sa jeunesse, que fit Rousseau pour M. de la Martinière, secrétaire de l'ambassade française à Soleure. Il exprime, dans le ive livre des Confessions, le désir de revoir ce récit fait en forme de lettres : désir qui ne fut point exaucé, quoique la pièce eût été conservée, et que M. de Malesherbes eût promis de lui en faire avoir une copie. Elle nous a été remise avec plusieurs lettres inédites; un Journal curieux de visites à JeanJacques par un de ses amis, etc.

10 La Correspondance. M. Lequien voulut bien s'adresser à nous. Classer les lettres d'après l'ordre chronologique, mettre des dates à celles qui n'en avaient pas, tel fut notre travail. Nous consentîmes à l'insertion de quelques-unes des lettres inédites qui terminent l'Histoire de J. J. Rousseau, celles seulement dont nous pouvions disposer; car il en était plusieurs qu'on nous avait remises, à condition qu'elles ne feraient point partie d'une édition générale. Cet engagement, contracté par nous, parut sacré à M. Lequien, puisqu'il n'insista point pour que ces lettres fussent mises à leur place dans la Correspondance; mais il se réservait de les comprendre dans un petit volume composé d'une table des matières et d'une Notice de M. Barbier, sur les écrits relatifs à Rousseau. C'est donc non- seulement à notre insu, mais après avoir éprouvé de notre part un refus formel, qu'il s'est approprié les lettres que MM. Coindet et Mouchon nous avaient données. Nous ne méritons donc point les reproches qu'on nous a faits à ce sujet : nous nous contentons d'exposer le fait sans le qualifier.

2o Les Confessions. Le même éditeur désirant compléter les Mémoires de Rousseau, nous fìmes le Précis des circonstances de la vie de Jean-Jacques, depuis l'époque où il a terminé ses Confessions jusqu'à sa

mort.

Telle est notre coopération dans l'édition de M. Lequien, à laquelle nous n'avons pris aucune autre part.

La seule édition que nous ayons dirigée, en y mettant des notes et des notices, est celle en 20 volumes. in-12 (1818), entreprise par madame Perronneau. Les

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