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gnalèrent enfin comme un homme qui s'égare perpétuellement, qui, se perdant dans un dédale de digressions, avance à tout moment des propositions artificieuses; comme un auteur extrême en beaucoup d'endroits, et presque partout outré. Ils dévoilèrent les conséquences dangereuses de ses principes en religion, en morale et en politique; car, suivant la remarque de Hume, sa politique n'est pas moins propre à étendre l'empire du despotisme, que sa morale à encourager la licence. (1)

Bramhal, après l'avoir poussé vigoureusement dans un premier écrit sur la question de la liberté, attaqua tout l'ensemble de son système, dans un ouvrage intitulé : la Con. tagion de Léviathan, où il lui démontroit, par ses propres aveux, qu'un vrai Hobbiste ne peut être, ni un bon chrétien, ni un bon citoyen, et que sous tous les rapports il doit se trouver perpétuellement en contradiction avec lui-même. Tenison, dans l'examen du symbole de M. Hobbes, présenta une analyse très-bien faite de ses principes, avec une réfutation parfaitement raisonnée de ses paradoxes. On vit encore paroître, avec autant

(1) The hist. of gr. brit. the commonwealth.

d'éclat que de succès, dans cette controverse, l'archevêque Parker, l'illustre Clarendon, le docte Cumberland, et plusieurs autres écri vains de réputation.

On revint donc enfin sur les systèmes de ce philosophe, et ses excès parurent si révoltans, que même encore aujourd'hui il est peu d'incrédules qui osent ouvertement les adopter, lors même qu'ils puisent dans ses ouvrages, et qu'ils en empruntent les idées pour les reproduire sous de nouvelles formes. Voyez J.-J. Rousseau le livrer à l'horreur du genre humain, comme un détestable blasphémateur, pour avoir osé soutenir que l'autorité souveraine pouvoit être en conflit avec celle de Dieu, de la nature et de l'honneur. (1) Diderot, son panégyriste, et son disciple à bien. des égards, est forcé de reconnoître qu'il fut l'aggresseur de l'humanité et l'apologiste de la tyrannie. (2) Voltaire l'apostrophe en ces termes : « Profond et bizarre philosophe... toi qui as dit des vérités qui ne compensent pas tes erreurs; toi qui fus le précurseur de Locke en plusieurs choses, mais qui le fus aussi de

(1) Rép. à un anonyme, tom. 1 des mélanges.

(2) Encyclop., art. Hobbisme.
Tome I.

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Spinosa. C'est en vain que tu étonnes tes lecteurs, en réussissant presqu'à leur prouver qu'il n'y a aucunes lois dans le monde, que des lois de convention; qu'il n'y a de juste et d'injuste que ce qu'on est convenu d'appeler tel dans un pays. Si tu t'étois trouvé seul avec Cromwell dans une île déserte, et que Cromwell eut voulu te tuer pour avoir pris le parti de ton roi, cet attentat ne t'auroit-il pas paru aussi injuste dans ta nouvelle île, qu'il te l'auroit paru dans ta patrie. Tu dis que dans la loi de nature, tous ayant droit à tout, chacun a droit sur la vie de son semblable. Ne confonds-tu pas la puissance avec le droit? Penses-tu qu'en effet le pouvoirdonne le droit, et qu'un fils robuste n'ait rien à se reprocher pour avoir assassiné son père languissant et décrépit? Quiconque étudie la morale, doit commencer par réfuter ton livre dans son cœur. (1)

Les livres de Hobbes sont, il est vrai, aussi négligés aujourd'hui, qu'ils furent recherchés de son temps. Et « cela prouve, dit Hume, combien les réputations fondées sur une philosophie discoureuse, dont le principal mé

(1) Le Philosophe ignorant, $37.

rite consiste dans la nouveauté, sont précaires, et qu'il n'y a d'ouvrages faits pour passer à la postérité, que ceux qui offrent un fidèletableau de la nature. >>> (1) Cependant, ajoute La Harpe, les principes dangereux que Hobbes ý avoit semés se sont répandus dans une foule d'autres livres plus à portée d'être lus par les gens du monde; ils y ont produit des germes d'erreur très-féconds, et ils s'y sont parfaitement amalgamés avec tout le corps de doctrine du philosophisme. « Tous nos prédicateurs de matérialisme et d'impiété l'ont mis largement à contribution, et ne s'en sont pas vantés. » (2) Il a donné à ceux qui l'ont suivi le dangereux exemple de généraliser les faits particuliers, et de les, plier adroitement à leurs hypothèses: art bien funeste, lorsqu'il s'agit d'objets liés étroitement avec l'intérêt de l'ordre social. Nous ne nous étendrons pas davantage sur le caractère de sa personne et de ses écrits. Nous allons maintenant examiner ses systèmes.

V. Hobbes considère l'homme dans l'état de nature, de société et de religion. Emporté

(1) Ci-dessus.

(2) Cours de littérat., tom. 16, p. 202.

par son indignation contre les séditieux qui déchiroient son pays, il ne vit dans tous les individus de l'espèce humaine, qué des sectaires du puritanisme : il en conclut que l'homme est méchant de sa nature, essentiellement ennemi de ses semblables, naissant et vivant dans un état de guerre, abusant de ses forces quand il le peut, n'ayant d'autre loi que ses desirs, d'autre règle que son intérêt et son pouvoir; et il le définit un enfant robuste, homo malus, puer robustus. Et ce fut pour contenir un être aussi malFaisant, que l'auteur imagine d'attribuer une autorité sans bornes au souverain.

« Il est bien vrai, comme l'observe La Harpe, qu'il ne manque à l'enfant que de la force pour faire beaucoup de mal. Mais pourquoi? c'est que sa force ne seroit pas réglée par la raison; et si le méchant, avec toutes ses forces et toute sa raison, abuse des unės c'est qu'il n'écoute pas l'autre.

?

Mais à qui la faute? à sa volonté sans doute et non pas à sa nature, puisque celui qui obéit à cette raison dans l'emploi de ses forces s'appelle bon, comme l'autre s'appelle chant. » (1)

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