tance, toutes propriétés d'un être divisible, tandis que la pensée ne convient et ne peut convenir qu'à un être indivisible. <« Je ne voudrois pas (dit Leibnitz, à qui le système de la matière pensante déplaisoit autant que la manière de l'expliquer, ) je ne voudrois pas qu'on fût obligé de recourir aux miracles dans le cours ordinaire de la nature, et d'admettre des puissances et des opérations absolument inexplicables; autrement, à la faveur de ce que Dieu peut faire, on donnera trop de licence aux mauvais philosophes, et en admettant ces vertus centripètes, ou ces attractions immédiates de loin, sans qu'il soit possible de les rendre intelligibles, je ne vois pas ce qui empêcheroit nos scolastiques de dire que tout se fait par des qualités occultes ou facultés qu'on s'imaginoit semblables à de petits démons ou lutins capables de faire tout ce qu'on demande, comme si les montres de poche marquoient les heures par une certaine vertu herodéictique sans avoir besoin de roues, ou comme si les moulins brisoient les grains par une faculté fractique, sans avoir besoin de rien qui ressemblât aux meules, etc. >> (1) (1) Nouv.essais sur l'entendem, humain; pag. 15. * L'argumentle plus plausible en faveur de Ja possibilité de la matière pensante, celui qui reparoît le plus souvent dans les discussions sur cette question, est tiré de la comparaison de l'homme avec les animaux. Locke part de ce principe, qu'on ne fait pas difficulté de leur donner le sentiment; d'où il conclut, qu'il n'y en a pas davantage à croire que Dieu ne puisse leur donner également la pensée. Il est bien vrai, comme l'observe son traducteur, qu'on accorde assez généralement le sentiment aux animaux, mais on n'a jamais prétendu, pour cela, connoître et déterminer la cause de ce sentiment qui n'est pas moins difficile à expliquer que celle de la pensée. (1) Mais, sans entrer dans les différens systèmes sur l'âme des bêtes, nous dirons que l'incertitude sur le principe intérieur des actions que l'on remarque en elles, n'en doit produire aucune sur l'immatérialité de nos âmes. L'obscurité de certains sujets n'éteint pas la lumière que nous avons sur d'autres, quelque rapport qu'ils ayent entr'eux. Une vérité démontrée ne sauroit rien perdre de son évi (1) Essai sur l'entendem. humain, liv. 4, ch. 5, § 6. Not. du traducteur. 1 dence, pour être placée auprès d'autres questions couvertes de ténèbres. C'est ici le cas d'appliquer la judicieuse réflexion du cardinal de Polignac. « Les actions des bêtes, dit-il, sont visibles, mais le principe de leurs actions se dérobe à notre sagacité... Jugez par conséquent de vous-même par ce que vous savez de vous-même, et non par l'exemple d'un animal, auquel vous ne rougissez pas de vous comparer. Quelle honteuse méthode pour un homme et pour un philosophe! Le philosophe procède de ce qu'il connoît à ce qu'il ignore. Par quel caprice aimezvous à juger de ce que vous connoissez, par ce qui vous est inconnu? Etrange dialectique! Est-ce dans le sein des ténèbres qu'il faut chercher la lumière ? >> IX. C'est un grand préjugé contre cette partie de la philosophie de Locke, d'avoir eu Hobbes pour précurseur, Collins pour disciple, et les philosophes françois du dix-huitième siècle, pour panégyristes et pour sectateurs. On sait que Voltaire a saisi le paradoxe du métaphysicien anglois, avec un enthousiasme qui ne souffre pas la moindre (1) Anti-Lucret., lib. 6, vers. 379 et seq. contradiction. « Voilà, s'écrie-t-il, ce qui est parler en homme profond, religieux et modeste! (1) C'est une chose qui paroît bien hardie, que de dire à Dieu : vous avez pu donner le mouvement, la gravitation, la végétation, la vie à un être, et vous ne pouvez lui donner la pensée! >> (2) De là ces emportemens contre les théologiens anglois, qui traitèrent cette assertion de scandaleuse, qui n'y virent qu'un principe de matérialisme, tendant à détruire le dogme de l'immortalité de l'âme, et à anéantir la religion. (3) Diderot traite également d'hommes pusillanimes ceux qui s'effrayèrent du même paradoxe. « Qu'importe, dit-il, que la matière pense ou non? Qu'est-ce que cela fait à la justice ou à l'injustice, à l'immortalité, ou à toutes les vérités du système, soit politique, soit religieux. » (4) La Harpe, lui-même, dans un ouvrage consacré à l'enseignement des bons principes; mais dans lequel il laisse quelquefois appercevoir des traces de ses anciennes liaisons avec 1 (1) Dict. philosoph., art. Ame, seet. (2) Elém. de philos. de Newton, prem. part. ch.7. (3) Dict. philosoph., art. Locke. Voltaire, La Harpe ne voit, dans la supposition de Locke, qu'une simple inexactitude, qu'un abus de mots, qu'un doute plus religieux que philosophique, dont le motif louable prend sa source dans un profond respect pour la toute-puissance divine, et dans la crainte modeste d'affirmer rien qui eût l'air de borner cette puissance. Ce critique ajoute, il est vrai, que ce respect n'est pas ici bien entendu, ni cette modestie bien placée; que celui qui avoit invinciblement démontré l'immatérialité essentielle de la substance pensante, n'étoit plus le maître d'admettre, dans aucune hypothèse quelconque, la possibilité que cette même substance soit matérielle. « Ce n'est pas là respecter la toute-puissance divine, dit-il, c'est en méconnoître la nature. » (1) Et voilà cependant ce qu'on appelle un doute religieux ! Il paroît qu'on n'avoit point eu, dans le temps, pour le paradoxe de Locke, cette indulgence à laquelle l'esprit du dix-huitième siècle a disposé, non-seulement les libre-penseurs, mais encore des hommes d'ailleurs , (1) Cours de littérat,, tom. 15, p. 549. -- Tom. 16, pag. 529. |