HISTOIRE CRITIQUE DU PHILOSOPHISME ANGLOIS. CHAPITRE PREMIER. De l'origine et des causes du Philosophisme en Angleterre. : 1. IL n'y t : a point de pays au monde, dit. Voltaire, où la religion chrétienne ait été si fortement combattue et défendue si savamment qu'en Angleterre (1). C'est en effet de tous les pays celui qui a produit le plus d'ouvrages contre la religion, comme c'est celui de tous d'où sont sorties les plus nombreuses et, à bien des égards, les plus savantes apologies du christianisme. Nous disons, à bien des égards, parce que sans prétendre ravir aux théologiens anglois le juste tribut (1) Siècle de Louis XIV, chap. 34. T d'éloges dû à leur zèle, à leurs lumières, à l'étendue de leurs recherches, à la profondeur de leurs méditations, on ne sauroit disconvenir que le principe fondamental de la réforme, qui se mêle nécessairement à toutes leurs discussions avec les incrédules, n'affoiblisse singulièrement la force de leurs preuves, et qu'il n'ait souvent nui au succès de leurs combats. Ce principe régulateur, dans le protestantisme, qui donne à chaque individu la liberté indéfinie de tout soumettre au raisonnement humain, est un dissolvant très-actif, dont les uns ne manquent jamais de faire usage pour attaquer la religion révélée, et qui jette toujours dans la défense des autres quelque chose de louche et d'embarrassé. Lorsque les incrédules se servent de la voie d'examen pour attaquer les dogmes que Luther et Calvin ont soutenus, les disciples de ces deux grands chefs de la réforme sont obligés de dire que cette voie, bonne pour les esprits exercés, est insuffisante pour le commun des hommes. Ils se perdent alors dans des divagations qui décèlent évidemment leur embarras, et ils prétendent que ceux qui sont hors d'état de discuter les dogmes contestés, ne doivent point juger de ce qu'ils n'entendent pas, mais demeurer en suspens, abandonner les controverses aux théologiens, s'arrêter aux principes fondamentaux du christianisme, s'attacher uniquement à ce qu'ils comprennent, choisir dans les diverses confessions ce en quoi conviennent les différens partis pour le fond de la religion; que si toutes les instructions auxquelles ils ont recours ne dissipent pas les obscurités dont les dogmes contestés sont enveloppés, c'est une preuve que ces dogmes sont faux, suspects, ou du moins qu'ils ne sont pas nécessaires, etc. (1) Mais n'est-ce pas un principe incontestable que la religion devant être la règle de l'homme, ne doit rien laisser en lui qui ne soit réglé? Or, qui pourroit reconnoître cette règle dans une religion qui donne à l'esprit le droit de juger la loi même qui doit le soumettre, et aux passions le pouvoir de s'affranchir du nœud indissoluble qui doit les contenir? On sait d'ailleurs combien les protestans sont peu d'accord entr'eux sur ce qu'ils appellent les points fondamentaux de la religion chrétienne. Concluons de ce simple aperçu que, ne re (1) Voyez Leclerc. De l'Incrédulité, part. 2, chap. 4. 1 ۱ 1 connoissant aucune autorité qui prononce irrévocablement sur les vérités de la foi, et voulant que chacun ne se décide sur le choix des dogmes que par ses propres lumières, les protestans doivent, s'ils sont conséquens, tomber d'abord dans le socinianisme, et se précipiter ensuite dans le déïsme, par la seule application de leur principe. Voyant qu'il n'y a rien de fixe dans leur secte, que leurs principes ne déterminent rien, que leurs différentes églises sont autant opposées entr'elles qu'elles le sont à l'Eglise romaine, ils ne sauroient se persuader sincèrement que JésusChrist soit l'auteur de leur religion. Et dèslors les voilà sur les voies du déïsme. C'est le vice de cette méthode qui rend si défectueuses leurs plus excellentes apologies de la religion chrétienne.. Celles des catholiques ne sauroient avoir le même défaut, parce qu'elles ne sont pas infectées du même vice radical. Inébranlables sur l'autorité que Jésus-Christ a établie dans son Eglise, pour empêcher qu'elle ne soit agitée par le vent de toute sorte de doctrines, leurs argumens contre l'incrédulité en acquièrent une marche plus assurée, et produisent des résultats plus satisfaisans. Absolument libres de discourir à leur gré sur les questions de pure philosophie, où la raison peut se donner tout l'essor qu'elle veut, ils sont parfaitement d'accord entr'eux sur celles qui font partie du dépôt sacré. C'est du centre de l'unité dont rien ne sauroit les arracher; c'est en se ralliant sous l'autorité de l'Eglise, contre laquelle les portes de l'enfer ne prévaudront jamais, qu'ils voient disparoître toutes les incertitudes de leur foible raison qu'ils sont en état de combattre avec plus d'avantage les ennemis du christianisme sous quelque forme qu'ils se présentent; qu'ils évitent les inconvéniens qu'a introduits dans cette controverse le principe anarchique des communions hétérodoxes. Nous aurons plus d'une fois occasion, dans le cours de cette histoire, de faire remarquer ces inconvéniens. II. On a dit que l'Angleterre est le premier état chrétien que des doctrines philosophiques aient séparé de l'unité religieuse, et que l'anglois Wicleff, père du presbytérianisme, peut être regardé comme l'aïeul de la philoso→ phie moderne, qui en est la conséquence (1). (1) De Bonald. Législat. primitive, tom. 3, pag. 401. |