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Cette double question mérite que nous nous y arrêtions un moment.

En consultant l'Histoire, on voit d'abord que ce qu'on appelle des doctrines philosophiques avoit détaché les royaumes du Nord et plusieurs états d'Allemagne de l'unité religieuse, avant que l'Angleterre eut rompu les liens qui l'unissoient avec le Saint-Siége, centre de cette unité. Mais d'ailleurs, est-il bien vrai que cette grande scission ait eu des doctrines philosophiques pour cause, en attribuant cette dénomination aux dogmes des deux chefs de la réforme?

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Il est très-certain que l'insurrection de Wicleff par l'ébranlement qu'elle avoit donné aux esprits, par les violentes déclamations de cet hérésiarque contre l'abus que la cour de Rome faisoit de son autorité en Angleterre, avoit jeté des germes de schisme dans ce royaume. Sa doctrine n'y étoit pas entièrement éteinte à l'époque dont il est question. Les Wiclefites et les Lollards s'y étoient perpétués dans quelques contrées malgré les rigueurs du gouvernement et les soins du clergé pour en dissiper les restes; mais ils se réduisoient à un petit nombre d'individus sans crédit, sans considération, sans la moindre influence sur le corps de la

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nation. Les Albigeois et les Vaudois avoient précédé Wicleff de plus d'un siècle dans leur déchaînement contre l'Eglise romaine. Ces fanatiques s'étoient perpétués les premiers sur quelques montagnes du Languedoc, les derniers dans les vallées du Piémont, et l'on n'a jamais imaginé de les regarder comme les ancêtres du philosophisme en France. Plus anciennement, Aerius et Vigilance avoient fourni à tous les novateurs modernes l'exemple des mêmes diatribes contre le pape, les évêques et les prêtres. Il seroit facile en suivant la méthode que nous réfutons, de faire remonter le philosophisme jusqu'aux premiers âges du monde. Mais ces sortes de rapprochemens, fondés sur des faits vagues, et où l'on ne saisit que certaines circonstances accessoires, ne prouvent rien, parce que rien n'y est caractérisé, et ils prouveroient trop si l'on vouloit tout prendre à la lettre. Il faut des faits positifs, des circonstances caractéristiques pour établir ainsi des époques dans l'histoire de l'esprit humain. Or, rien de tout cela ne nous manque pour fixer l'origine et les causes du schisme d'Angleterre et des doctrines philosophiques qui vinrent à la suite.

III. Les Anglicans, honteux de devoir

l'établissement de leur Eglise aux passions effrénées du plus détestable et du plus vicieux de leurs monarques, ont prétendu qu'avant le divorce de Henri VIII, les nouvelles opinions répandues en Allemagne par Luther, s'étoient déjà introduites en Angleterre, qu'elles y avoient fait des progrès sensibles, et qu'elles n'attendoient qu'une occasion favorable pour y éclater, et pour briser par leur explosion le joug de l'Eglise romaine, que les Anglois ne supportoient qu'avec peine.

Le Lutheranisme, il est vrai, avoit dès-lors quelques partisans en Angleterre: mais ils n'y étoient encore qu'en très-petit nombre, et ils n'osoient s'y montrer à découvert sous. un monarque ennemi déclaré de cette hérésie. Ils n'avoient même puisé ce goût pour les opinions hétérodoxes que dans les missions dont Henri les avoit chargés pour aller consulter en pays étranger les docteurs de toutes les sectes, dans la fameuse affaire du divorce. Les réponses de ces docteurs, en général peu conformes à sa passion, n'étoient guère propres à lui inspirer des dispositions favorables, pour leur parti. A la vérité, Anne de Boulen avoit succé les principes de l'erreur à la cour de France, surtout dans la maison de la duchesse d'Alençon, entièrement dévouée aux novateurs: mais elle n'en dut laisser percer devant son royal amant que ce qu'il en falloit pour l'engager à rompre avec Rome, dans une affaire qui les intéressoit si fort l'un et l'autre. Tout ce qu'elle auroit pu tenter au delà, afin de lui faire adopter des errreurs pour lesquelles il eut toute sa vie la plus extrême répugnance, n'eût été capable que de lui donner des préventions contr'elle.

Toute l'histoire du fameux démêlé de Henri VIII avec le Saint - Siége atteste que les premières idées de rupture ne se présentèrent à son esprit que lorsqu'il commença à en éprouver des difficultés dans l'affaire du divorce; qu'il n'en adopta le projet que comme un moyen de parvenir à faire prononcer la dissolution de son mariage; que les différens actes qui préparèrent et consommèrent le schisme, suivirent tous la progression de ces difficultés, et qu'ils furent amenés par elles. Enfin, quand on se rappelle le grand intérêt qu'il avoit mis peu auparavant à obtenir du pape le titre de Défenseur de la Foi, on ne peut s'imaginer que, sans un motif aussi puissant que celui du divorce, il eût jamais pensé à détruire l'autorité d'où émanoit ce titre. Ajoutez que par ses écrits contre Luther, il avoit pris à la face de l'Europe de grands

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engagemens contre le parti de cet hérésiarque, dont il ne méprisoit pas moins la personne qu'il n'en détestoit la doctrine.

Au commencement de ses brouilleries avec Rome, Luther crut le moment favorable pour l'attirer à son parti; il lui prodigua à cet effet toute sorte de flagorneries, et lui demanda humblement pardon de la virulence avec laquelle il avoit écrit contre lui. Henri, peu sensible à ce moyen de séduction, l'exhorta au contraire à rétracter ses erreurs, à se séparer de la religieuse qu'il avoit épousée, à mener une vie pénitente dans la retraite, pour réparer les scandales qu'il avoit causés. Durant tout son règne, et même après avoir consommé son schisme, ce monarque persécuta les nouveaux sectaires d'une manière souvent atroce, et il ne cessa de prendre des mesures sévères pour empêcher leurs dogmes de s'établir dans ses états. Il continua, dit un historien anglican, de défendre la doctrine de Rome avec la même fureur dont il attaquoit la juridiction du souverain pontife, persécutant alternativement les protestans, parce qu'ils refusoient d'embrasser la première, et les catholiques, parce qu'ils persistoient à reconnoître la dernière (1).

(1) G. Gregory. Hist. of the Church, cent. 16, ch. 5, § 2.

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