du cœur. Le saint évêque nous dit que c'est alors le temps de multiplier les œuvres actives, de même que les abeilles peuplent la ruche quand ce n'est plus le temps de cueillir les fleurs. Toujours la comparaison exquise et l'expression ingénieuse. Quelques mots ont passé : «mouchons, » pour moucherons; «< maintes fois, » pour plusieurs fois (anglais many); « cueillette, » on dit, mais moins bien, récolte. «Nymphe » est ici un terme d'histoire naturelle, et signifie l'insecte après sa naissance, au premier degré de sa métamorphose. Un trait charmant est celui-ci : « L'âme se voyant en beau printemps de consolations spirituelles. » N'est-ce pas le papillon ou l'abeille, nageant parmi les délices d'un air transparent et pur? « En beau printemps, » comme on dirait en pleine mer; le printemps considéré comme lieu. Quelle poésie ! On ne s'arrête pas volontiers dans la «< cueillette » de semblables fleurs littéraires. Nous quittons avec regret saint François de Sales pour passer à des écrivains d'un autre ordre. Une chose digne de considération, c'est que notre grande littérature, dans sa généralité, est essentiellement chrétienne. Saint François de Sales est un de ses premiers fleurons au seizième siècle; Massillon la clôt avec le dix-septième. Plus tard cette littérature chrétienne renaît, et elle est toujours la première en droit et en fait. 4. Divers écrivains. La Satire Ménippée. Un poëte, disciple et ami de Ronsard, Joachim Dubellay, né en 1524, et qui mourut archevêque de Bordeaux, a écrit un traité de l'Illustration de la langue française; plein d'enthousiasme pour cette langue, il lui prédit de grandes destinées, et l'invite à entrer noblement dans cette carrière, où le latin seul, et plus tard l'italien, ont obtenu le droit de parler le langage de l'éloquence et du savoir. Dubellay est parfois éloquent; son style ne manque ni de mouve ment ni d'éclat. A cet ancien prosateur il faut joindre Étienne Pasquier, né en 1528, dont le style est moins élevé et qui a laissé de savantes Recherches sur l'idiome français au seizième siècle. Sans nous arrêter sur ces écrivains, sans parler d'assez nombreux auteurs de piquants mémoires sur les hommes et sur les choses de cette époque si diverse, disons seulement que le langage de France s'accrut, se fortifia, devint presque mûr parmi les controverses, tant religieuses que politiques, qui troublèrent ce siècle et l'ensanglantèrent. La prose revêtit de plus en plus, dans ces luttes, le caractère qui devait lui appartenir, gravité, précision, fermeté dans le tour, clarté; mais ce ne fut pas sans avoir perdu quelque chose de cette allure svelte, facile et « primesaultière, » comme dit Montaigne (de premier saut, de première venue), qui a un charme si nouveau dans les premiers écrivains du siècle de François Ier. Parmi ces controversistes qui eurent de la célébrité, et manièrent avec plus ou moins d'éloquence, et toujours avec habileté, la prose française, on peut citer d'abord Jean Calvin, que Pasquier appelle un des pères de notre langue, parce que ses funestes écrits ne sont pas dépourvus d'un style ferme et précis; puis d'Aubigné, poëte et prosateur également énergique; Duperron, adversaire souvent éloquent du calvinisme. Il y a aussi des sermons qui, malgré le mauvais goût et les passions politiques qui y fermentent, ne laissent pas que d'offrir plus d'une page vraiment éloquente; mais surtout il faut citer l'un des monuments de l'éloquence politique en France, la Satire Ménippée. Ainsi nommée du nom d'un philosophe de la secte cynique, qui figure en divers endroits des dialogues de Lucien, la Satire Ménippée a pour objet la tenue des États convoqués à Paris en 1593, dans le but d'élire un roi et de discuter les prétentions des candidats à la couronne de France. C'était dans les derniers temps de la ligue; Henri IV allait triompher des factions et monter au trône de ses aïeux. Néanmoins les États n'ayant eu aucun résultat, on lança dans le public un pamphlet contenant une suite de discours que l'on supposait avoir été prononcés par les principaux ligueurs, et qui dans le fait étaient l'œuvre satirique des hommes les plus spirituels parmi les royalistes. Lorsque six orateurs ont parlé tour à tour, de manière à décréditer le parti opposé par le ridicule, l'orateur du tiers état, prenant la parole, établit la nécessité de mettre fin aux discordes et aux infortunes publiques, en appelant le roi légitime et en accourant se ranger sous la bannière du Béarnais. Pierre Pithou, célèbre jurisconsulte du temps, est l'auteur de cette partie de la Ménippée, dont nous allons citer quelques traits. O Paris, qui n'es plus Paris, mais une spélonque de bestes farouches, une citadelle d'Espagnols, Wallons et Néapolitains, un asile et seure retraicte de voleurs, meurtriers et assassinateurs, ne veux-tu jamais te ressentir de ta dignité, et te souvenir qui tu as esté au prix de ce que tu es? ne veux-tu jamais te guérir de cette frénésie qui, pour un légitime et gracieux roi, t'a engendré cinquante roytelets et cinquante tyrans? Et maintenant te voilà avec fers! tu n'as pu supporter une légère augmentation de tailles et d'offices, et quelques nouveaux édits qui ne t'importoyent nullement ; et tu endures qu'on pille tes maisons, qu'on te rançonne jusques au sang, qu'on empoisonne tes sénateurs, qu'on chasse et bannisse tes bons citoyens et conseillers; qu'on pende, qu'on massacre tes principaux magistrats; tu le vois et tu l'endures; tu ne l'endures pas seulement, mais tu l'approuves et le loues, et n'oservis et ne sçaurois faire autrement. Tu n'as peu supporter ton roy si débonnaire, si facile, si familier, qui s'estoit rendu comme concitoyen et bourgeois de ta ville, qu'il a enrichie, qu'il a embellie de somptueux bâtiments, accrue de forts et superbes remparts, ornée de priviléges et exemptions honorables. Que dis-je, peu supporter ? C'est bien pis; tu l'as chassé de sa ville, de sa maison, de son lict. Quoi, chassé? Tu l'as poursuivi. Quoi, poursuivi? Tu l'as assassiné et faict des feux de joie de sa mort. Voilà, certes, une langue bien formée et à laquelle rien ne semble manquer. Il y a énergie dans le tour et dans l'expression, ardente parole autant que mouvement rapide. Pourtant deux grands mots à la Ronsard, «< assassinateur et spélonque (caverne) » ont justement passé. - On sent dans ce passage l'esprit de la renaissance classique; ce n'est qu'au seizième siècle, par exemple, qu'un orateur pouvait appeler « sénateur » les gens du parlement. Mais le souffle classique est surtout sensible dans cette éloquente apostrophe à la ville de Paris. La gradation oratoire qui termine, et qui fait allusion à l'expulsion et au meurtre de Henri III, est d'une haute éloquence, et trouverait plus d'un modèle dans les souvenirs de l'éloquence antique, dans la Verrine sur les Supplices en particulier. - Quelque détail : « Tailles et offices, » divers impôts. « Tu l'endures, » ce verbe a rapport au temps, il marque la douleur, la souffrance qui se prolonge et la patience que l'on met à la supporter. « Somptueux bâtiments, superbes remparts, » épithètes relevées et toujours neuves. — « Priviléges et exemptions, » la concession particulière en vertu de quelque loi, qui est proprement le privilége, diffère de l'exemption des charges; le premier de ces deux termes est positif, l'autre est négatif, et ils se complètent l'un l'autre. Un peu plus loin le même orateur fait de la situation du pays, l'énergique tableau qui suit : Peut-on se souvenir de tant de misères, sans larmes et sans horreur? Et ceux qui en leur conscience sçavent bien qu':ls en sont cause peuvent-ils en ouyr parler sans rougir et sans appréhender la punition que Dieu leur réserve pour tant de maux dont ils sont auteurs,? mesmement, quand ils se représentent les images de tant de pauvres bourgeois qu'ils ont veus par les rues tomber tout roides morts de faim; les petits enfants mourir à la mamelle de leurs mères allangouries, tirants pour néant es ne trouvants que succer ; les meilleurs habitants et les soldats marcher par la ville, appuyés d'un baston, pasles et foibles, plus blancs et plus ternis qu'images de pierre, ressemblants plus à des fantosmes qu'à des hommes; et l'inhumaine réponse d'aulcuns qui les accusoient et menaçoient, au lieu de les secourir ou de les consoler, fust-il jamais barbarie ou cruauté pareille à celle que nous avons veue et endurée ? Éloquente accumulation, le plus effrayant tableau des misères auxquelles les Parisiens avaient été réduits par la guerre civile. Les couleurs n'ont rien de chargé, si l'on se rappelle cette horrible famine décrite dans la Henriade, dans laquelle, comme le dit plus haut la Satire : « Nous avons mangé les os de nos pères, comme font les sauvages de la Nouvelle-Espagne. » Un tableau navrant est celui des petits enfants mourant à la mamelle de leurs mères allangouries» (mot fort expressif et perdu). Ce trait rappelle celui des lamentations de Jérémie: Les enfants errant dans les places ont demandé du pain, et il n'y avait personne pour leur en donner, pour le rompre avec eux. Bien d'autres détails seraient à remarquer dans cette période si ample et pourtant si impétueuse; nous nous bornerons à ce trait pittoresque qui nous montre les soldats marchant par la ville, « appuyés d'un bâton, pâles et faibles, etc. » Ces deux dernières épithètes sont saisissantes. Racine les emploie aussi, mais chacune à part, dans deux beaux vers de Phèdre et d'Athalie. Minos juge aux enfers tous les páles humains..... « Tirant pour néant, » énergique expression pour marquer les efforts stériles des petits enfants sur le sein de leurs mères. La harangue continue sur le même ton; |