nous en rapporterons encore un passage. Le remède à tant de maux est de relever le drapeau légitime et d'ouvrir les portes à Henri IV. De là quelques traits d'éloge sur ce roi : Mais puisqu'il a pleu à Dieu luy former le naturel ainsy doux, gracieux et béning; espérons encore mieux de luy quand il nous verra prosternés a ses pieds, offrir nos vies et nos biens, et luy demander pardon de nos fautes passées, veu que, nous prenants armés pour leur résister et pour l'assaillir, il nous reçoit à mercy et nous laisse la vie et tout ce que nous lui demandons. Allons, allons donc, mes amis, tous d'une voix, lui demander la paix; il n'y a paix si indigne qui ne vaille mieux qu'une très-juste guerre. Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui portent la paix et annoncent le salut et sauveté du peuple ! Que tardons-nous, etc... - Beau mouvement que celui-ci : « Allons donc, mes amis. » — «< Plu lui former. » Plus tard la proposition de est devenue nécessaire. « Béning » a passé; pourtant ce mot benignus contient une nuance de la bonté, qui convient ici, la disposition naturelle à faire le bien. « Sauveté » a pu disparaître de la langue où il était bien remplacé par salut, ici il semble pléonasme. « Nous prenants armés, »>, on mettait encore I's au participe présent pluriel. Maintenant l's sert à distinguer l'adjectif verbal du participe présent. Ces courts extraits ont pu suffire pour donner une idée de la Satire Ménippée, et l'on comprend aisément que cet ardent pamphlet, répandu comme un sillon de feu, ait été pour la cause de Henri IV, comme uneautre bataille d'Ivry. La Satire Ménippée nous a montré la prose française ayant franchi les grâces qui appartiennent à l'adolescence, et déjà parvenue aux qualités éminentes qui accompagnent une âpre virilité. Un écrivain qui eut une très-grande vogue en France, Balzac, né vers la fin du seizième siècle, en 1594, mort en 1654, se fit, par la théorie comme par la pratique, le représentant du mouvement qui s'opérait, depuis un quart de siècle, hors des voies de Montaigne et d'Amyot. Balzac, en effet, entreprit ce que Malherbe faisait dans le même temps pour les vers; il s'appliqua à donner du nombre et de l'élégance au discours par la disposition des phrases, le choix et l'arrangement des mots ; il améliora la langue du côté de la noblesse et de l'austérité ; il l'épura, la ramena aux règles du devoir, comme dit Boileau. Cet auteur a écrit trois traités de morale et de religion, l'Aristippe, le Prince, le Socrate chrétien, ouvrages remarquables par les pensées de détail et par la dignité du langage, mais peu substantiels comme traités, d'un style artistement préparé, mais sans chaleur et de peu de génie. C'est pourquoi Balzac, malgré les progrès qu'il put imprimer, pour sa part, à notre langue, a vu décliner promptement sa gloire, et n'a pas maintenu son rang élevé parmi les écrivains français. - Voici un morceau souvent cité, et fort beau, sur les fléaux de Dieu. C'est le moyen de faire injustice que de juger toujours du mérite des conseils par la bonne fortune des événements. Ne nous laissons point éblouir à l'éclat des choses qui réussissent; ce que les Grecs, ce que les Romains, ce que nous-mêmes avons appelé une prudence admirable, c'est une heureuse témérité. Il y a des hommes dont la vie a été pleine de miracles, quoiqu'ils ne fussent pas saints, et qu'ils n'eussent pas dessein de l'être; le ciel bénissoit toutes leurs fautes, le ciel couronnoit toutes leurs folies. Il devoit périr cet homme fatal, il devoit périr dès le premier jour de sa conduite, par une telle entreprise. Mais Dieu vouloit se servir de lui pour punir le genre humain et tourmenter le monde. La justice de Dieu vouloit se venger et avoit choisi cet homme pour être le ministre de ses vengeances. La raison concluoit qu'il tombât d'abord par les maximes qu'il a tenues; mais il est demeuré debout par une raison plus haute qui l'a soutenu. Il a été affermi dans son pouvoir par une force étrangère et qui n'étoit pas de lui, par une force qui appuie la foiblesse, qui arrête la chute de ceux qui se précipitent, qui n'a que faire des bonnes maximes pour conduire les bons succès. Cet homme a duré pour travailler au dessein de la Providence. Il pensoit exercer sa passion et il exécutoit les arrêts du ciel. Avant de se perdre il a eu le loisir de mettre le feu aux quatre coins du monde, de gâter le présent et l'avenir par les maux qu'il a faits, par les exemples qu'il a laissés. On reconnaît dans ce morceau de Balzac une hauteur de pensée, une gravité chrétienne, une fermeté d'expression, une symétrie de tour, qui n'ont plus rien de commun avec l'école de Montaigne. La pensée était grande quoique simple. Il s'agissait de montrer la Providence se servant des conquérants comme d'un de ses fléaux pour frapper le monde, et les brisant à leur tour quand leur mission est remplie. Le développement que Balzac a donné à cette idée est très-beau. Il y a surtout beaucoup d'éloquence dans ce mouvement : « Il devait périr, cet homme fatal, »> cet homme du destin. Le ciel qui « bénit les fautes et couronne les folies; » alliance de mots d'une haute signification.-« Il est demeuré longtemps debout, etc., une force qui appuie la faiblesse, qui arrête les chutes de ceux qui se précipitent; » grand style, belles antithèses, pleines de sens et de vérité. L'antithèse domine dans ce morceau, mais elle y est belle parce qu'elle existe dans la pensée avant d'être dans le mot. Toutefois l'abus de cette figure donne au style de Balzac quelque chose de factice et de recherché qui le maintient, malgré une certaine ressemblance, bien loin des pages éloquentes de Bossuet dans le discours sur l'Histoire universelle. Par exemple voici une superbe expression que Bossuet pourrait revendiquer: « Cet homme. a duré pour travailler au dessein de la Providence. » — . On pourrait relever quelques imperfections : « Dès le premier jour de sa conduite, » terme assez obscur dans le sens de route parcourue. Le début : « C'est le moyen de faire souvent injustice que de, etc. » est pénible. En général les expressions et les tours du dix-septième siècle qui ont vieilli sont moins regrettables que d'autres mots, également passés, et qui appartiennent à l'âge antérieur. Poursui vons: Un peu d'esprit et beaucoup d'autorité c'est ce qui a presque toujours gouverné le monde, quelquefois avec succès, quelquefois non, selon l'honneur du siècle, selon la disposition des esprits plus farouches ou plus apprivoisés. Mais il faut toujours en venir là. Il est très-vrai qu'il y a quelque chose de divin dans les maladies qui travaillent les Etats. Ces dispositions, cette humeur, cette fièvre chaude de rébellion, cette léthargie de servitude viennent de plus haut qu'on ne s'imagine. Dieu est le poëte et les hommes ne sont que les auteurs. Les grandes pièces qui se jouent sur la terre, ont été composées dans le ciel ; et c'est souvent un faquin qui doit être l'Atrée ou l'Agamemnon. Le premier de ces deux paragraphes est ingénieux, et contient une belle métaphore, les esprits comparés à deux coursiers « plus farouches ou plus apprivoisés,» selon «<l'humeur » du siècle. Le second est sublime, et Bossuet ne le désavouerait pas. On reconnaît une touche aussi fière que la pensée est élevée dans cette parole: « Il n'y a rien que de divin... » L'aphorisme « Dieu est le poëte...» est beau et plein de sens, et cette grande image se complète quand la terre est montrée comme un théâtre « où se jouent les pièces composées dans le ciel. >> - « C'est souvent un faquin. » Dans l'origine ce mot signifiait homme de rien, un portefaix, un crocheteur, un porteur de fascines; un facchino. Balzac avait d'abord manifesté les fléaux de Dieu dans les conquérants, les Alaric et les Attila; mais il arrive aussi que Dieu se sert d'un homme de néant pour mieux rendre sensible sa propre puissance. C'est cet autre point de vue du gouvernement de Dieu sur le monde, que Balzac a marqué par ce trait et qu'il développe par ce qui suit. Quand la Providence a quelque dessein, il ne lui importe guère de quels instruments ou de quels moyens elle se serve. Entre sa main tout est foudre, tout est tempête, tout est déluge; tout est Alexandre ou César. Cette main invisible donne les coups que le monde sent; il y a bien je ne sais quelle hardiesse qui menace de la part de l'homme, mais la force qui accable est toute de Dieu. Tout cela est beau de pensée, d'expression, d'harmonie, surtout cette accumulation imitative « Tout est foudre... >> Quel entraînement dans cette personnification des conquérants, qui, dans la main de Dieu, font l'office de la tempête et du déluge! Comme la part est juste et bien faite entre ces fléaux de Dieu, ces bras de chair, comme dit Bossuet après l'Écriture, et Dieu même qui les emploie ! A l'homme « la hardiesse qui menace, » à Dieu « la force qui accable; on sent la force de telles oppositions; ces expressions peignent, elles vivent. Il est évident que la prose française, celle du grand sièclè, est créée, je veux dire, est achevée dans ce morceau. Balzac a composé beaucoup de lettres auxquelles il attachait les plus chères espérances de sa gloire; on l'appelait l'Épistolier, comme la Fontaine fut appelé le Fablier; mais dans celui-ci les fables venaient d'elles-mêmes à l'arbre qui les portait; dans Balzac les lettres manquaient trop souvent de naturel et de vérité. Dans un genre opposé d'affectation, non plus celle de la grandeur, mais celle de la grâce, Voiture, qui eut à la même époque une vogue sans rivale, est tombé encore plus justement. Un certain nombre d'écrivains d'une faible valeur se crurent des génies, dans cette première partie du grand siècle, parce qu'ils s'étaient formés aux belles manières de la ville et de la cour, dans |