comprend aussi la fierté inaccoutumée de ce langage qui place le gouvernement des sages à côté de celui des rois, et relève a un citoyen obscur au-dessus d'un conquérant du monde. » Le style est à la hauteur de la pensée. Phrases coupées et en même temps nombreuses, épithètes choisies et variées. — «Qui fait de sa vertu tout son appui ; » expression pittoresque et de grand style. Bossuet naquit à Dijon, d'une famille distinguée dans le parlement de Bourgogne. Il fut la gloire de l'Église de France au dix-septième siècle, et le maître sans rival de l'éloquence sacrée. Nous n'entrerons pas dans les détails que contiennent d'ailleurs toutes les biographies sur ce grand prélat, dont la longue carrière fut pleine d'œuvres. glorieuses dans la religion, dans la politique de son siècle, dans les lettres, triple carrière où son empreinte ne s'effacera jamais. « Considérant tour à tour Bossuet comme orateur, comme historien, comme philosophe, nous allons étudier son grand style dans les plus beaux et les plus célèbres passages que son œuvre entière nous fournit. Et d'abord l'oraison funèbre. 1. Exorde de l'oraison funèbre de la reine d'Angleterre. La reine d'Angleterre, Henriette de France, a vu son époux, Charles Ier, détrôné et mis à mort par une faction régicide. La fille de Henri IV est venue, avec sa fille, qui fut depuis la duchesse d'Orléans, chercher un asile dans sa première patrie. Cette princesse a offert dans sa vie le tableau des plus cruelles vicissitudes du sort. Bossuet, chargé de prononcer son oraison fnnèbre, a laissé un chefd'œuvre d'éloquence à la fois politique et religieuse. Il devait célébrer la mémoire d'une reine dont la vie avait été mêlée aux plus étonnantes révolutions. Après avoir vu tomber le trône des Stuarts, son époux traîné sur l'échafaud et l'usurpation victorieuse, elle est venue mourir dans l'exil, offrant un spectacle frappant de l'inconstance des fortunes humaines. Ici, l'idée de la puissance de Dieu, seule immuable, et qui seule tient les destinées des empires, devait dominer. L'exorde contient cette pensée dans son expression la plus générale et la plus haute. Celui qui règne dans les cieux, et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté, l'indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois, et de leur donner, quand il lui plaît, de grandes et de terribles leçons. Soit qu'il élève les trônes, soit qu'il les abaisse, soit qu'il communique sa puissance aux princes, soit qu'il la retire à lui-même et ne leur laisse que leur propre faiblesse, il leur apprend leurs devoirs d'une manière souveraine et digne de lui. Car, en leur donnant sa puissance, il leur commande d'en user, comme il fait lui-même, pour le bien du monde, et il leur fait voir, en la retirant, que leur majesté est empruntée, et que, pour être assis sur le trône, ils n'en sont pas moins sous sa main et sous son autorité suprême. C'est ainsi qu'il instruit les princes, non-seulement par des discours et par des paroles, mais encore par des effets et par des exemples. Et nunc, reges, intelligite, erudimini qui judicatis terram. Il faut admirer le nombre et la majesté de la période à cinq membres par laquelle commence ce discours. Le nombre résulte de l'art avec lequel chaque membre de la période enchérit sur celui qui précède, soit par l'étendue, soit par l'harmonie des mots. Une légère dissonance, « la loi aux rois, » ne fait que relever l'harmonie de l'ensemble; Bossuet ne daigne pas éviter de semblables négligences, du moins il ne fait jamais fléchir la force ou la justesse de sa pensée, pour obtenir l'harmonie ou l'élégance, qualités que d'ailleurs il rencontre d'autant plus sûrement qu'il ne les cherche pas. Remarquez comme chaque trait est à sa place dans ce début. Par exemple, l'auteur a justement commencé par « celui qui règne dans les cieux, » avant d'ajouter : « et de qui relèvent tous les empires. » C'est parce que, en effet, Dieu règne aux cieux qu'il tient les empires sous sa loi. Dieu est comme le suzerain des rois, « ils relèvent de lui. » « La gloire, la majesté, l'indépendance,» trois éléments ditincts de la grandeur de Dieu, ici dans une parfaite gradation. « Il abaisse les trônes et il les élève,» métaphore biblique qui peint d'un trait l'intervention de Dieu parmi les fortunes royales. Qu'est-ce que la puissance des rois devant celui qui la leur « communique et qui la retire » à son gré? Pouvait-il mieux montrer combien est « empruntée » leur puissance? « Et il ne leur laisse... » Que leur laisse-t-il? « Rien que leur propre faiblesse. » Magnifique alliance de mots, moins belle pourtant que la grande image qui termine la phrase: « pour être assis sur le trône, ils n'en sont pas moins sous la main. » — Après ce premier paragraphe qui contient un enseignement pour les rois en général, l'orateur arrive à son sujet, à la reine d'Angleterre. Chrétiens, que la mémoire d'une grande reine, fille, femme, mère de tant de rois si puissants et souveraine de trois royaumes, appelle de tous côtés à cette triste cérémonie, ce discours vous fera paraître un de ces exemples redoutables qui étalent aux yeux du monde sa vanité tout entière. Vous verrez dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines : la félicité sans bornes aussi bien que les misères; une longue et paisible jouissance d'une des plus nobles couronnes de l'univers; tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naissance et la grandeur accumulées sur une tête, qui ensuite est exposée à tous les outrages de la fortune: la bonne cause d'abord suivie de bons succès, et depuis, des retours soudains, des changements inouis; la rébellion longtemps retenue, à la fin tout à fait maîtresse; nul frein à la licence; les lois abolies; la majesté violée par des attentats jusqu'alors inconnus; l'usurpation et la tyrannie sous le nom de liberté; une reine fugitive, qui ne trouve aucune retraite dans trois royaumes, et à qui sa propre patrie n'est plus qu'un triste lieu d'exil; neuf voyages sur mer entrepris par une princesse, malgré les tempêtes; l'Océan étonné de se voir traversé tant de fois en des appareils si divers et pour des causes si différentes; un trône indignement renversé et miraculeusement rétabli. On voit ici comme un résumé par anticipation de tout ce qui sera contenu dans le discours; un contraste entre l'élévation et la chute, entre la plus haute fortune et la plus profonde adversité. Ces grands effets oratoires sont produits par une chaîne d'antithèses, excellentes parce qu'elles ne laissent soupçonner aucun apprêt, qu'elles sortent du fond même du sujet, et qu'elles expriment des rapports d'une parfaite vérité. L'énergie du style est sincère en ce sens qu'elle n'a rien d'affecté; rien n'y est donné, comme il arrive dans Fléchier, à la vaine recherche d'un arrangement synthétique et prémédité. Une belle alliance de mots est celle-ci : « qui étalent aux yeux du monde sa vanité tout entière. »>-Après la proposition générale: «<toutes les extrémités des choses humaines, » on voit le détail de ces diverses extrémités dans une phrase qui se déroule abondante et pleine de majesté, mais sans efforts, avec une gradation croissante d'idées, d'images et d'harmonie. L'orateur peint à grands traits les principales circonstances de la révolution anglaise; et tout à coup, au milieu de ce chaos, il nous montre la reine Henriette (dont << la tête » chargée de tant de gloire avait été « exposée à tous les outrages de la fortune), » supérieure à toutes ces révolutions qui s'accomplissent autour d'elle. Et pour dernier trait, par une sublime métaphore, une sorte de prosopopée, nous voyons l'océan personnifié qui « s'étonne de se voir traversé tant de fois en des appareils si divers. >> Voilà les enseignements que Dieu donne aux rois; ainsi faitil voir au monde le néant de ses pompes et de ses grandeurs. |