1 l'intention d'imposer à l'Église nationale une constitution républicaine, d'y maintenir sous cette forme l'unité du pouvoir comme de la foi, et de disputer ainsi à l'épiscopat l'héritage de la papauté, déjà les indépendants, les brownistes, les anabaptistes demandaient hautement si une Église nationale devait subsister, et à quel titre un pouvoir quelconque, papauté, épiscopat ou presbytère, s'arrogeait le droit de courber des consciences chrétiennes sous le joug d'une mensongère unité. Toute congrégation de fidèles, disaient-ils, habitants ou voisins du même lieu, qui se réunissent librement, en vertu de leur foi commune, pour adorer ensemble le Seigneur, est une Église véritable, sur laquelle aucune autre Église ne peut prétendre aucune autorité, et qui a droit de choisir elle-même ses ministres, de régler elle-même son culte, de se gouverner enfin par ses propres lois. A sa première apparition, le principe de la liberté de conscience, ainsi proclamé par des sectaires obscurs, au milieu des égarements d'un aveugle enthousiasme, fut traité de crime et de folie. Euxmêmes semblaient le soutenir sans le comprendre, et moins par raison que par nécessité. Épiscopaux et presbytériens, prédicateurs et magistrats, le proscrivirent également : la question de savoir comment et par qui l'Église de Christ devait être gouvernée continua d'être presque seule débattue; on croyait avoir à choisir entre le pouvoir absolu du pape, l'aristocratie des évêques et la démocratie du clergé presbytérien; on ne recherchait point si de tels gouvernements étaient légitimes dans leur principe, quels que fussent leur forme et leur nom. Cependant un grand mouvement agitait toutes choses, même celles qui n'en semblaient point ébranlées : chaque jour amenait quelque épreuve à laquelle aucun système ne pouvait se soustraire, quelque débat que le parti dominant tentait en vain d'étouffer. Appelés chaque jour à considérer quelque nouvelle face des affaires humaines, à discuter des opinions, à repousser des prétentions jusque-là inconnues, les esprits s'affranchissaient par ce travail, et en sortaient, les uns pour s'élever librement, sur l'homme et la société, à des idées plus étendues, les autres pour secouer audacieusement tout préjugé et tout frein. En même temps la liberté pratique, en matière de foi et de culte, était presque absolue; aucune juridiction, aucune autorité répressive n'avait encore remplacé celle de l'épiscopat; et le parlement, occupé de vaincre ses ennemis, s'inquiétait peu de surveiller les pieux écarts de ses partisans. Le zèle presbytérien obtenait quelquefois des chambres, contre les nouveaux sectaires, des déclarations menaçantes; quelquefois les craintes et les haines des réformateurs politiques coïncidant avec celles de leurs dévots alliés, ils prenaient de concert, contre leurs adversaires, des mesures de rigueur. Une ordonnance destinée, dit le préambule, « à réprimer les calomnies et la licence aux>> quelles la religion et le gouvernement sont en >> butte depuis quelque temps, » abolit la liberté de la presse jusque-là tolérée, et soumit à la censure préalable toutes les publications 1. Mais le pouvoir ne saurait arrêter ceux qui le devancent dans le mouvement dont il est lui-même emporté. Au bout de quelques semaines, les royalistes et les épiscopaux portaient seuls le poids de ces restrictions; les sectes nouvelles y échappaient ou les bravaient, et pullulaient de toutes parts, de jour en jour plus nombreuses, plus variées, plus ardentes, indépendants, brownistes, anabaptistes, antipædobaptistes, quakers, antinomiens, hommes de la cinquième monarchie. A l'ombre même de la domination des presbytériens, la révolution suscitait à la fois contre eux des enthousiastes, des philosophes, des libertins. Toutes les questions prirent dès lors un tour nouveau; la fermentation sociale changea de caractère. Des faits puissants, respectés, avaient jusque-là dirigé et contenu la pensée des réformateurs politiques, religieux même; aux uns l'état légal de la vieille Angleterre, tel du moins qu'ils le concevaient, aux autres la constitution de l'Église telle qu'en jouissaient déjà l'Écosse, la Hollande, Genève, servaient en même temps de modèle et de frein; quelle que fût la hardiesse de leurs entreprises, ni les uns ni les autres n'étaient en proie à de vagues désirs, à des prétentions illimitées; tout n'était pas innovation dans leurs desseins, ou conjecture dans leurs espérances; et s'ils méconnaissaient la portée de leurs actes, ils pouvaient du moins en assigner le but. Aucun but précis ne régla la marche de leurs rivaux; aucun fait, historique ou légal, n'enferma dans ses limites leur pensée ; confiants dans sa force, fiers de son élévation, ou de sa sainteté, ou de son audace, ils lui décernèrent le droit de tout juger, de tout dominer, et la prenant seule pour guide, cherchèrent à tout prix, les philosophes la vérité, les enthousiastes le Seigneur, les libertins le succès. Institutions, lois, coutumes, événements, tout fut sommé de se régler selon le raisonnement ou la volonté de l'homme; tout devint matière de combinaisons nouvelles, de créations savantes, et dans ce hardi travail tout parut légitime sur la foi d'un principe ou d'une extase, ou au nom de la nécessité. Les presbytériens proscrivaient dans l'Église la royauté et l'aristocratie : pourquoi les conserver dans l'État? Les réformateurs politiques avaient laissé entrevoir qu'en définitive, lorsque le roi ou les lords s'obstinaient à refuser leur 1 Le 11 juin 1643; Parl. Hist., t. 3, col. 131. adhésion, la volonté des communes devait l'emporter: pourquoi ne pas le dire hautement? Pourquoi n'invoquer la souveraineté du peuple qu'en désespoir de cause et pour légitimer la résistance, quand elle doit servir de base au gouvernement luimême et légitimer d'avance le pouvoir? Après avoir secoué le joug du clergé romain, du clergé épiscopal, on était près de subir celui du clergé presbytérien : à quoi bon un clergé? De quel droit les prêtres forment-ils un corps permanent, riche, indépendant, autorisé à réclamer le bras du magistrat? Que toute juridiction, même la faculté d'excommunier, leur soit retirée; que les moyens de persuasion, la prédication, l'enseignement, la prière, leur restent seuls, et tout abus du pouvoir spirituel, tout embarras pour le concilier avec le pouvoir civil, cesseront aussitôt. Dans les fidèles d'ailleurs, non dans les prêtres, réside le pouvoir légitime en matière de foi : c'est aux fidèles qu'il appartient de choisir et d'instituer leurs prêtres, non aux prêtres de s'instituer entre eux pour s'imposer ensuite aux fidèles. Tout fidèle enfin n'est-il pas prêtre lui-même, pour lui, pour sa famille, pour tous les chrétiens qui, touchés de sa parole, le jugeront inspiré d'en haut et voudront s'unir à ses prières? Qui oserait contester au Seigneur le pouvoir de conférer ses dons à qui il veut et comme il lui plaît? Soit qu'il s'agisse de prêcher ou de com |