La colère fut partout la même : les amis de la paix étaient réduits au silence. Quelques-uns tentèrent en vain de s'élever contre cette publication, violation brutale, disaient-ils, des secrets domestiques. Ils demandaient si l'on pouvait croire à sa parfaite authenticité, s'il n'était pas probable que plusieurs lettres avaient été mutilées, d'autres omises1; ils insinuaient que, dans les chambres aussi, certains hommes avaient négocié sans plus de franchise, et ne voulaient pas non plus de la paix; mais nulle explication, nulle excuse n'est accueillie du peuple dès qu'il sait qu'on a voulu le tromper. D'ailleurs, tout cela fût-il vrai, la mauvaise foi du roi demeurait évidente; et, pour faire la paix, c'était à lui qu'il fallait se fier. On ne parla plus que de la guerre; on pressa les levées d'hommes, la rentrée des impôts, la vente des biens des délinquants; tous les corps de troupes reçurent leur solde, toutes les places importantes des munitions». Les Écossais consentirent enfin à s'avancer dans l'intérieur du royaume1; et Fairfax, ne voyant plus même de fuyards à poursuivre, se mit en mouvement pour aller reprendre dans les comtés de l'ouest l'expédition que le siége d'Oxford lui avait fait abandonner. 1 Le roi ne contesta jamais l'authenticité de ces lettres; il en convient même formellement dans une lettre écrite à sir Edward Nicholas, le 4 août 1645, c'est-à-dire peu de semaines après la publication (sir John Evelyn's Memoirs, appendix, t. 2, p. 101); et le texte publié par le parlement, en 1645, est exactement conforme à celui des lettres insérées dans les OŒuvres de Charles I, publiées à Londres chez Royston, en 1660. Parl. Hist., t. 3, col. 377. Tout était changé dans ces comtés, jusque-là le boulevard de la causè royale; non que l'opinion du peuple y fût devenue plus favorable au parlement, mais elle s'était aliénée du roi. Il y possédait encore plusieurs corps de troupes et presque toutes les places; mais la guerre n'y était plus conduite, comme à l'origine, par des hommes graves, considérés, populaires, le marquis de Hertford, sir Bevil Greenville, lord Hopton, Trevannion, Slanning, amis désintéressés de la couronne : les uns étaient morts, les autres s'étaient dégoûtés, ou avaient été éloignés par des menées de cour, et sacrifiés par la faiblesse du roi. A leur place deux intrigants, lord Goring et sir Richard Greenville, y commandaient, l'un le plus débauché, l'autre le plus avide des cavaliers; aucun principe, aucune affection ne les attachait à la cause royale; ils trouvaient, à guerroyer pour elle, l'avantage d'assouvir leurs passions, d'opprimer leurs ennemis, de se venger, de se divertir, de s'enrichir. Goring était brave, aimé des siens, et ne manquait point, sur le champ de bataille, d'habileté ni d'énergie; mais rien n'égalait son incurie et l'insolente intempérance de sa conduite ou de ses propos : sa loyauté même n'était pas sûre; il avait déjà trahi le roi1, puis le parlement, et semblait toujours sur le point d'une nouvelle trahison3. Sir Richard Greenville, moins déréglé et plus influent sur la noblesse du pays, était dur, insatiable, et d'un courage sinon douteux, au moins peu empressé. Il passait son temps à lever des contributions pour des troupes qu'il ne rassemblait point, ou des entreprises qu'il ne prenait pas même la peine de commencer. L'armée avait changé comme ses chefs : ce n'était plus un parti soulevé pour ses affections et ses intérêts, frivole mais sincère, licencieux mais dévoué; c'était un ramas de mauvais sujets, indifférents même à leur cause, livrés jour et nuit aux plus criants désordres, et qui indignaient par leurs vices un pays désolé par leurs extorsions. Le prince de Galles, ou plutôt son conseil, réduit à se servir de tels hommes, se consumait en vains efforts pour les satisfaire ou les réprimer tour à tour, tantôt pour protéger contre eux le peuple, tantôt pour l'appeler sous leurs drapeaux1. 1 Le 2 juillet 1645; Old Parl. Hist., t. 14, p. 6. 2 Le 20 juin 1645. 1 En 1641, lors de la première conspiration de l'armée contre le parlement. Voyez cet ouvrage, t. 1, p. 178-180. 2 En août 1642, au début de la guerre civile, en livrant au roi Portsmouth, dont le parlement l'avait nommé gouverneur. .3 Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 8, p. 129-134. Le peuple ne répondait plus à cet appel. Bientôt il fit davantage. Des milliers de paysans se réunirent, et, sous le nom de Clubmen, parcoururent en armes les campagnes. Ils n'avaient aucun dessein de prendre parti, et ne se déclaraient point pour le parlement; ils ne voulaient qu'écarter de leurs villages, de leurs champs, les ravages de la guerre, et s'en prenaient à quiconque leur donnait lieu de les craindre, sans s'inquiéter de son nom. Déjà, l'année précédente, quelques bandes s'étaient ainsi formées dans les comtés de Worcester et de Dorset, suscitées par les violences du prince Robert. Au mois de mars 1645, les Clubmen devinrent, dans les comtés de l'ouest, une confédération permanente, régulière, soutenue, commandée même par des gentilshommes dont quelques-uns avaient servi dans les armées du roi, et incessamment appliquée à défendre les propriétés, les personnes, à réclamer le bon ordre et la paix. Ils traitaient avec les troupes et les garnisons des deux partis, se chargeaient de leur fournir des vivres, à condition qu'elles n'en enlèveraient point à main armée, les empêchaient même quelquefois de se battre, et avaient inscrit sur leurs rustiques drapeaux ces paroles : 1 Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 8, p. 60-69, 73-75, etc. If you offer to plunder our cattle, « Si vous voulez piller notre bétail, >> Soyez certains que vous aurez bataille 1. » Tant que les royalistes dominèrent dans l'ouest, ce fut contre eux que se soulevèrent les Clubmen, et avec les parlementaires qu'ils parurent disposés à s'allier. Tantôt ils menaçaient d'incendie quiconque refuserait de se joindre à eux pour exterminer les cavaliers; tantôt ils invitaient Massey, qui commandait dans le comté de Worcester au nom du parlement, à venir avec eux assiéger Hereford, d'où les cavaliers infestaient le pays. Le 2 juin, à Wells, six mille d'entre eux adressèrent au prince de Galles une pétition pour se plaindre des rapines de Goring, et malgré l'ordre du prince, ils refusèrent de se séparer 4. Au commencement de juillet, 1 Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 8, p. 69; Lettre de Fairfax au comité des deux royaumes (3 juillet 1645); Parl. Hist., t. 3, col. 380; Whitelocke, p. 130; Neal, Hist. of the Purit., t. 3, p. 90. 2 Whitelocke, p. 131. 3 Ibid., p. 133, 135 4 Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 8, p. 69. |