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croupe leur valise commune; et au même moment, pour donner le change à tous les soupçons, trois hommes sortaient par chacune des portes de la ville. Le roi prit la route de Londres. Arrivé sur les hauteurs de Harrow, en vue de sa capitale, il s'arrêta plein d'anxiété; il pouvait descendre, rentrer dans Whitehall, paraître tout à coup au milieu de la Cité qui revenait à lui. Mais rien ne lui convenait moins qu'une résolution singulière et hardie, car il manquait de présence d'esprit, et craignait surtout les chances qui pouvaient compromettre sa dignité. Après quelques heures d'hésitation, il s'éloigna de Londres, et marcha vers le nord, mais lentement, presque au hasard, en homme toujours incertain. Montreuil avait promis de venir à sa rencontre à Harborough, dans le comté de Leicester, et ne s'y trouva point. Le roi, inquiet, envoya Hudson à la découverte, et se rejeta dans les comtés de l'est, errant de ville en ville, de chateau en château, surtout le long des côtes, changcont sans cesse de déguisement, demandant partout des nouvelles de Montrose, et vivement préoccupé du désir de le rejoindre. Mais c'était encore là une trop longue et trop embarrassante entreprise. Hudson revint; rien n'était changé: Montreuil promettait toujours, dans le camp écossais, une retraite, sinon agréable, du moins assuréc. Charles se décida enfin, par lassitude plutôt que par choix; et le 5 mai, neuf

jours après son départ d'Oxford, de grand matin, Montreuil l'introduisit à Kelham, quartier général des Écossais 1.

A la vue du roi, le comte de Leven et ses officiers affectèrent une extrême surprise : avis de son arrivée fut donné aussitôt aux commissaires du parlement; des courriers partirent pour aller l'annoncer à Édimbourg et à Londres. Officiers et soldats traitaient le roi avec un profond respect; mais le soir, sous prétexte de lui rendre les honneurs qui lui étaient dus, une forte garde fut placée à sa porte; et lorsque, pour connaître sa situation, il voulut essayer de lui donner le mot d'ordre : « Pardon, >> Sire, lui dit Leven; je suis ici le plus vieux sol>> dat; votre Majesté permettra que je me charge >> de ce soin 2. »

1 Rushworth, part. 4, t. 1, p. 267; Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 8, p. 258; State Papers, t. 2, p. 228; Whitelocke, p. 214.

* Malcolm Laing, Hist. of Scotland, t. 3, p. 352, note 7.

LIVRE VII.

Inquiétude et menées des Indépendants. - Séjour du roi à Newcastle. Il repousse les propositions du parlement. - Le parlement négocie avec les Écossais pour qu'ils lui remettent le roi et se retirent du royaume. - Ils y consentent. - Le roi est conduit à Holmby. La discorde éclate entre le parlement et l'armée. Conduite de Cromwell. Il fait enlever le roi de Holmby. - L'armée marche sur Londres et accuse onze chefs presbytériens. - Ils quittent le parlement. Séjour du roi à Hamptoncourt. - Négociations de l'armée avec lui. Émeute de la Cité en faveur de la paix. grand nombre de membres des deux chambres se retirent à l'armée. Elle les ramène à Londres. - Défaite des Presbytériens. - Explosion des républicains et des niveleurs. - Cromwell devient suspect aux soldats. - Ils se soulèvent contre les officiers. Habileté

de Cromwell. - Terreur du roi. - Il s'enfuit à l'île de Wight.

Un

1646-1647.

On sut bientôt à Londres 1 que le roi était sorti d'Oxford, mais sans que rien indiquât où il était, où il voulait aller. Le bruit courut qu'il se cachait dans la Cité, et quiconque le recevrait fut de nou

1 Le 2 mai 1646.

veau menacé de mort, sans merci. Fairfax manda qu'il s'était dirigé vers les comtés de l'est, et deux officiers d'un dévouement sûr, les colonels Russel et Wharton, y furent envoyés aussitôt, avec ordre de le chercher partout et à tout prix1. Parlementaires et royalistes, tous plongés dans la même incertitude, supportaient, avec une égale impatience, ceux-ci leurs espérances, ceux-là leurs

terreurs.

Le 6 mai au soir, arriva enfin la nouvelle que le roi était au camp des Écossais. Dès le lendemain les communes votèrent qu'aux deux chambres seules il appartenait de disposer de sa personne, et qu'il serait conduit sans retard au château de Warwick. Les lords refusèrent d'adhérer à ce vote; mais ils approuvèrent que Poyntz, cantonné près de Newark, eût ordre de surveiller tous les mouvements de l'armée écossaise, et Fairfax lui-même fut averti de se tenir prêt à marcher au besoin 2.

Les Écossais, de leur côté, pressés de s'éloigner, obtinrent du roi, le jour même de son arrivée, qu'il ordonnat à lord Bellasis, gouverneur de Newark, de leur ouvrir ses portes, livrèrent la ville aux troupes de Poyntz; et quelques heures après, plaçant le roi à leur avant-garde, se mirent en marche vers Newcastle, frontière de leur pays 1.

1 Rushworth, part. 4, t. 1. p. 267; Whitelocke, p. 209.

* Parl. Hist., t. 3, col. 465-466.

Le parti indépendant était en proie à une anxiété pleine de colère. Depuis un an tout lui prospérait ; maître de l'armée, il avait partout vaincu, et fortement frappé, par ses victoires, l'imagination du peuple; sous sa bannière accouraient tous les esprits hardis, les ambitions énergiques, les espérances exaltées, quiconque avait sa fortune à faire, ou formait des vœux sans mesure, ou méditait quelque grand dessein. Le génie même ne trouvait de place et de liberté que dans ses rangs: Milton 2, , jeune encore, mais déjà remarqué pour l'élégance et l'étendue de son savoir, venait de réclamer, avec une noblesse de langage jusque-là inconnue, ia liberté de conscience, la liberté de la presse, la faculté du divorce3; et le clergé presbytérien, indigné de son audace, l'avait sans succès dénoncé aux chambres, plaçant au nombre de leurs péchés la tolérance de

1 Parl. Hist., col. 467; May, Hist. du Long-Parl., t. 2, p. 329, dans ma Collection; Rushworth, part. 4, t. 1, p. 269-271.

2 Né à Londres le 9 décembre 1608.

3 Dans cinq pamphlets contre le gouvernement épiscopal et sur la réforme de l'Église, publiés en 1641 et 1642; dans un pamphlet intitulé: The doctrine and discipline of divorce, publié en 1644, et dans un pamphlet intitulé: Speech for the liberty of unlicensed printing, publié aussi en 1644 (Milton's Prose works, t. 1, p. xx, xx, xxiii, xxv, p. 1-213; édit. in-fol., 2 vol. Londres, 1738).

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