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battre, c'est le Seigneur seul qui choisit et consacre ses saints; et quand il les a choisis, il leur remet sa cause, et ne révèle qu'à eux seuls par quels moyens elle doit triompher. Les libertins applaudissaient à ce langage; pourvu qu'on poussât la révolution jusqu'au bout, et sans s'inquiéter des moyens, peu leur importaient les motifs.

Ainsi se formait le parti des indépendants, bien moins nombreux, bien moins enraciné dans le sol national que celui des presbytériens, mais déjà en possession de cet ascendant que donnent des croyances systématiques, complètes, toujours prêtes à rendre raison de leurs principes, à en accepter toutes les conséquences. L'Angleterre était alors dans l'une de ces crises glorieuses et redoutables où l'homme, oubliant sa faiblesse pour ne se souvenir que de sa dignité, a cette sublime ambition de n'obéir qu'à la vérité pure, et ce fol orgueil d'attribuer à son opinion tous les droits de la vérité. Politiques ou sectaires, presbytériens ou indépendants, aucun parti n'eût osé se croire dispensé d'avoir raison et de le prouver. Or les presbytériens échouaient dans cette épreuve, car leur sagesse se fondait sur l'autorité des faits et des lois, non sur des principes, et ils ne savaient comment repousser, par la raison seule, les arguments de leurs rivaux. Les indépendants professaient seuls une doctrine simple, rigoureuse en apparence, qui sanctionnât tous leurs actes, suffit à tous les besoins de leur situation, et dispensat les esprits fermes d'inconséquence, les cœurs sincères d'hypocrisie. Eux seuls aussi commençaient à prononcer quelques-unes de ces paroles puissantes qui, bien ou mal comprises, soulèvent, au nom des plus nobles espérances, les plus énergiques passions de l'humanité, égalité des droits, juste répartition des biens sociaux, destruction de tous les abus. Point de contradiction entre leurs systèmes religieux et politique; point de lutte sourde entre les chefs et les soldats; aucun symbole exclusif, aucune limite rigoureuse ne rendait difficile l'accès du parti; comme la secte dont il avait pris son nom, il tenait la liberté de conscience pour maxime fondamentale, et l'immensité des réformes qu'il se proposait, la vaste incertitude de ses desseins, permettaient aux hommes les plus divers de se ranger sous sa bannière : des jurisconsultes s'y ralliaient dans l'espoir de ravir aux ecclésiastiques, leurs rivaux, toute juridiction et tout empire; des publicistes populaires s'en promettaient une législation nouvelle, claire, simple, qui fit perdre aux jurisconsultes leurs profits énormes et leur pouvoir: Harrington y pouvait rêver une société de sages, Sidney la liberté de Sparte ou de Rome, Lilburne le retour des vieilles lois saxonnes, Harrison la venue de Christ; le cynisme même de Henri Martyn, de Pierre Wentworth, s'y faisait tolérer en faveur de son audace : républicains ou niveleurs, raisonneurs ou visionnaires, fanatiques ou ambitieux, tous étaient admis à mettre en commun leurs colères, leurs théories, leurs extases, leurs intrigues; il suffisait que tous, animés contre les cavaliers et les presbytériens d'une égale haine, se portassent avec la même ardeur vers cet avenir inconnu chargé de répondre à tant de vœux.

Aucune victoire d'Essex et de ses amis, sur le champ de bataille ou dans Westminster, ne pouvait étouffer, contenir même longtemps de telles discordes; elles étaient publiques à Oxford comme à Londres; et parlementaires ou royalistes, tous les hommes sensés les prenaient déjà pour base de leurs combinaisons. De toutes parts on en informait le roi, on le pressait d'en profiter : courtisans ou ministres, intrigants ou serviteurs sincères, chacun avait à cet égard ses renseignements, ses propositions, ses moyens : les uns voulaient qu'on poussât la guerre sans relâche, assurés que bientôt les factions rivales obéiraient à leurs inimitiés plutôt qu'à leurs périls; les autres demandaient au contraire que, par l'entremise des lords réfugiés à Oxford, des comtes de Holland et de Bedford surtout, on se rapprochât d'Essex et de son parti qui, au fond, n'avaient pas cessé de souhaiter la paix ; quelquesuns conseillaient même des avances aux chefs déjà connus des indépendants, disant qu'on en aurait

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meilleur marché, et lord Lovelace, de l'aveu du roi, entretenait avec sir Henri Vane une correspondance assidue, bien éloigné de se douter que Vane la suivait aussi de l'aveu des siens, pour s'instruire de l'état de la cour1. Mais aucun de ces conseils n'était accueilli ou efficace. C'était à grand' peine que les lords déserteurs du parlement avaient obtenu qu'on leur ouvrît les portes d'Oxford; au premier bruit de leur prochaine arrivée, un soulèvement général y avait éclaté contre eux; le conseil privé, solennellement réuni, avait longuement délibéré sur l'accueil qu'on devait leur faire; et malgré les sages représentations de Hyde, nommé récemment chancelier de l'échiquier, Charles, en consentant à les recevoir, avait décidé qu'on les traiterait avec froideur 2. En vain lord Holland, le plus élégant et le plus adroit des courtisans, était parvenu, avec l'aide de M. Jermyn, à rentrer en grâce auprès de la reine 3; en vain il déployait tout son art pour reprendre avec le roi son ancienne familiarité, tantôt affectant de lui parler à l'oreille, tantôt réussissant, sous quelque prétexte, à l'attirer dans une embrasure de fenêtre pour avoir l'occasion, ou du moins se donner l'air de l'entretenir en secret 1; en vain même, à la bataille de Newbury, il avait vaillamment combattu en volontaire, et offert son sang pour gage de sa nouvelle fidélité 2 : rien n'avait pu vaincre la sécheresse hautaine du roi, ni imposer silence aux clameurs de cour; et loin de voir accepter leurs services, les lords réfugiés ne songeaient déjà plus qu'à se soustraire à tant de dégoûts. Les partisans d'une guerre vigoureuse se faisaient écouter avec plus de faveur, mais sans plus d'effet: le mauvais succès du siége de Glocester avait jeté Oxford dans une anarchie aussi impuissante que tracassière ; tous s'imputaient réciproquement cette fatale entreprise; le conseil se plaignait des désordres de l'armée; l'armée bravait insolemment les reproches du conseil; le prince Robert, quoique dispensé, même un jour de bataille, d'obéir à tout autre qu'au roi lui-même 3, était jaloux du général en chef; le général et tous les grands seigneurs murmuraient hautement de l'indépendance et de la grossièreté du prince Robert. Le roi, qui respectaït dans la personne de ses neveux la dignité de son sang, ne pouvait se résoudre à donner contre eux raison à un sujet, et sacrifiait à ce ridicule orgueil les droits, les services même de ses plus utiles amis,

1 Parl. Hist., t. 3, col. 199; Whitelocke, p. 76.

2 Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 6, p. 197. 3 Ibid. p. 203, 256.

1 Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 6, p. 258.

* Ibid. p. 255.

3 Ibid. t. 5, p. 73.

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