disaient-ils, les comtés voisins de Londres les plus dévoués à la cause publique, demandèrent que l'armée, en attendant sa dissolution, prît plus loin ses cantonnements1. Un emprunt de 200,000 liv. sterl. fut ouvert dans la Cité, afin de payer aux troupes licenciées une portion de leurs arrérages. Enfin, un comité spécial où siégeaient presque tous les chefs presbytériens, Hollis, Stapleton, Glynn, Maynard, Waller, eut ordre de veiller à l'exécution de ces mesures, surtout au prompt départ des secours que les malheureux protestants d'Irlande attendaient depuis longtemps3. L'attaque n'était point imprévue : depuis deux mois les indépendants se sentaient déchoir dans la chambre, car la plupart des nouveaux élus, d'abord en méfiance du despotisme presbytérien, commençaient à se tourner contre eux 4. «Quelle misère,» dit un jour Cromwell à Ludlow, « de servir un >> parlement! Qu'un homme soit fidèle tant qu'il >> voudra, s'il survient quelque légiste qui le ca>> lomnie, il ne s'en lavera jamais; au lieu qu'en >> servant sous un général, on est aussi utile, et on >> n'a à craindre ni le blâme ni l'envie : si ton père : 1 Le 24 mars 1647; Old Parl. Hist., t. 15, p. 335. 2 Old Parl. Hist., t. 15, p. 348; Rushworth, part. 4, t. 1, p. 449. 3 Mémoires de Hollis, p. 104; Rushworth, part. 4, t. 1, p. 450. 4 Mémoires de Hollis, p. 94-101. >> vivait, il dirait bien leur fait à ces gens-là 1. » Républicain sincère, et encore étranger aux intrigues de son parti, quoiqu'il en partageât les passions, Ludlow ne comprit rien et ne répondit point aux avances de Cromwell; mais d'autres étaient plus faciles à abuser ou à séduire. Déjà Cromwell avait dans l'armée d'habiles complices et d'aveugles instruments; Ireton, qui devint bientôt son gendre, autrefois jurisconsulte, maintenant commissaire général de la cavalerie, esprit ferme, opiniâtre et subtil, capable de poursuivre sans bruit et avec une ruse profonde, quoique sous des formes franches et rudes, les plus audacieux desseins; Lambert, l'un des plus brillants officiers de l'armée, ambitieux, vaniteux, et qui, élevé, comme Ireton, pour le barreau, avait retenu de ses études un art d'insinuation et de parole dont il se servait complaisamment auprès des soldats; Harrison, Hammond, Pride, Rich, Rainsborough, tous colonels d'une bravoure éprouvée, d'un renom populaire, liés à Cromwell: Harrison parce que, dans de pieuses assemblées, ils avaient cherché ensemble le Seigneur; Hammond, parce qu'il lui devait son mariage avec une fille de Hampden; les autres, parce qu'ils subissaient l'ascendant de son génie, ou attendaient leur fortune de la sienne, ou lui obéissaient en soldats. Par eux, Cromwell, bien que, la guerre finie, il fût venu reprendre sa place à Westminster, conservait dans l'armée toute son influence et y déployait de loin son infatigable activité. Dès qu'il fut question de licenciement, ceux-là surtout éclatèrent en murmures; c'était à eux qu'arrivaient de Londres les nouvelles, les insinuations, les conseils; ils les faisaient circuler aussitôt dans les cantonnements, exhortant sous main les soldats à tenir ferme pour l'entier paiement de leurs arrérages, à repousser le service d'Irlande, surtout à ne point se laisser désunir. Cromwell cependant, immobile à Londres pour écarter les soupçons, déplorait dans la chambre le mécontentement de l'armée, et se répandait en protestations de dévouement 1. 1 Mémoires de Ludlow, t. 1, p. 209, dans ma Collection. • Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 9, p. 5. Une pétition arriva d'abord, signée seulement de quatorze officiers 2, écrite d'un ton humble et bienveillant. Ils promettaient de se rendre en Irlande au premier ordre, et se contentaient d'offrir en passant, sur le paiement des arrérages et les garanties qu'avaient droit d'attendre les troupes, de modestes conseils. Les chambres les remercièrent, mais 1 Mémoires de Hollis, p. 115-117; Old Parl. Hist., t. 15, p. 341; Mémoires de sir John Berkley, p. 167, dans ma Collection. * Le 25 mars 1647; Parl. Hist., t. 3, col. 560. avec humeur, et en disant qu'il ne convenait à personne de donner au parlement des instructions 1. A peine leur réponse arrivait à l'armée, une nouvelle pétition y fut préparée à l'instant, bien plus ferme et plus précise. On y demandait que les arrérages fussent exactement réglés; que nul ne fût tenu de passer contre son gré en Irlande; que les soldats mutilés, les veuves et les enfants des soldats morts reçussent des pensions; que de prompts àcompte dispensassent les troupes de peser sur leurs cantonnements. Ce n'était plus par quelques officiers, mais au nom des officiers et des soldats que la pétition était rédigée; et elle s'adressait, non plus aux chambres, mais à Fairfax, interprète naturel de l'armée et gardien de ses droits. Enfin on lisait le projet en tête des régiments; on menaçait les ofciers qui refusaient de le signer". Au premier bruit de ces menées, les chambres ordonnèrent à Fairfax de les interdire, déclarant que quiconque y persisterait serait considéré comme ennemi de l'État et perturbateur du repos public, exigeant de plus que quelques officiers leur vinssent donner des explications3. 1 Parl. Hist., t. 3, col. 562. 2 Parl. Hist., t. 3, col. 562-567; Whitelocke, p. 245. 3 Cette déclaration est du 30 mars 1647; Parl. Hist., t. 3, col. 567. Fairfax répondit qu'il obéirait : Hammond, Pride, Lilburne et Grimes se rendirent à Westminster 1, et nièrent hautement les faits dont ils étaient accusés: « << Il n'est pas vrai, dit Pride, que le projet de >> pétition ait été lu en tête du régiment : >> c'était en tête de chaque compagnie qu'avait eu lieu la lecture: mais on n'insista point; il suffisait, dit-on, que le projet fût abandonné et désavoué. On reprit les préparatifs du licenciement : l'em· prunt ouvert dans la Cité traînait en longueur et ne pouvait suffire; une taxe générale de 60,000 livres sterl. par mois fut établie pour y suppléer3. On pressa surtout la formation des corps destinés à l'Irlande; on promit à ceux qui s'y engageraient de grands avantages; Skippon et Massey furent désignés pour les commander 4. Cinq commissaires, tous du parti presbytérien, se rendirent au quartier général pour y annoncer ses résolutions. Le jour même de leur arrivées, deux cents officiers, réunis chez Fairfax, entrèrent avec eux en conférence : « Qui nous commandera en Irlande?» 1 Le 1er avril 1647. 2 Rushworth, part. 4, t. 1, p. 444; Mémoires de Hollis, p. 110. 3 L'ordonnance, proposée au commencement du mois d'avril, ne fut définitivement rendue que le 23 juin suivant (Rushworth, part. 4, t. 1, p. 582). La taxe était votée pour un an. * Rushworth, part. 4, t. 1, p. 452; Mémoires de Hollis, p. 112. 5 Le 15 avril 1647. |