de ne plus persécuter, pour complaire à ses ennemis, de fidèles sujets qui n'aspiraient qu'à le servir. Charles ne se jugeait encore ni en assez grand péril, ni assez affranchi de tout ménagement envers l'opinion de son peuple, pour accepter ouvertement une telle alliance; mais il pouvait du moins, pensa-t-il, montrer aux Irlandais quelque douceur, et rappeler en Angleterre, pour l'employer contre des rebelles plus odieux et plus redoutables, l'armée qui les combattait en son nom. Ormond reçut ordre d'ouvrir en ce sens des négociations avec le conseil de Kilkenny 1; et en attendant leur issue, pour accréditer la raison ou se ménager l'excuse de la nécessité, on fit grand bruit de la détresse, en effet trèsréelle, à laquelle étaient réduits en Irlande la cause protestante et ses défenseurs. Dans une longue et pathétique remontrance adressée au conseil de Dublin, l'armée exposa toutes ses misères et sa résolution d'abandonner un service dont elle ne pouvait plus s'acquitter. Des mémoires envoyés à Oxford et à Londres portèrent au roi et aux chambres la même déclaration avec les mêmes plaintes 2. Cependant les négociations avançaient; au moment de l'arrestation d'Antrim elles touchaient en effet à leur terme; et vers le milieu de septembre, quelques jours avant celui où les chambres acceptèrent solennellement à Westminster le covenant conclu avec l'Ecosse, l'Angleterre apprit que le roi venait de signer avec les rebelles irlandais une trève d'un an1, que les troupes anglaises qui combattaient l'insurrection étaient rappelées, et que dix régiments débarqueraient bientôt, cinq à Chester, cinq à Bristol, 1 La commission d'Ormond est datée du 11 janvier 1643; les négociations commencèrent dans le cours du mois de mars suivant. 2 Rushworth, t. 6, p. 537 et suiv. De toutes parts s'éleva une clameur violente; les Irlandais étaient pour l'Angleterre un objet de mépris, d'aversion et d'effroi. Parmi les royalistes mêmes, et jusque dans les murs d'Oxford, le mécontentement n'hésita point à se manifester. Plusieurs officiers quittèrent l'armée de lord Newcastle, et firent leur soumission au parlement 3. Lord Holland revint à Londres, disant que les papistes prévalaient décidément à Oxford, et que sa conscience ne lui permettait plus d'y demeurer 4. Les lords Bedford, Clare, Paget, sir Édouard Dering, et plusieurs autres, suivirent son exemple, couvrant du même prétexte leur inconstance ou leur lâcheté 5. Le parlement ne se montra point difficile en fait de repentir. La conduite du roi était l'objet des inyectives et des sarcasmes populaires; on rappelait ses protestations si récentes, et le ton si hautain de ses apologies quand on s'était plaint des intelligences de la cour avec les insurgés; on s'applaudissait d'avoir si judicieusement pressenti ses menées secrètes; on s'indignait qu'il eût pu se flatter d'en imposer ainsi à son peuple, et compter sur le succès d'une si grossière mauvaise foi. Ce fut bien pis quand on sut qu'un assez grand nombre de papistes irlandais étaient mêlés aux troupes rappelées, que des femmes même, armées de longs couteaux et sous un accoutrement sauvage, avaient été vues dans leurs rangs 1. Non content de ne plus venger le massacre des protestants d'Irlande, le roi prenait donc à son service, contre les protestants d'Angleterre, leurs féroces meurtriers. Beaucoup de gens, même d'une condition supérieure aux préventions passionnées de la multitude, portèrent dès lors au roi une haine profonde, les uns à cause de sa duplicité, les autres en raison de sa faveur pour d'odieux papistes, et l'insulte accompagna souvent son nom jusque-là ménagé. 1 La trève fut signée le 5 septembre 1643, à Sigginstown, dans le comté de Kildare. 2 Godwin, Hist. of the Commonwealth, t. 1, p. 279. 3 Whitelocke, р. 73. ► Ibid. * Ibid. p. 75, 77; Parl. Hist., t. 3, col. 189, 297. Bientôt instruit de ce déchaînement et des soins du parlement pour le fomenter, offensé, comme d'un outrage, qu'on osat juger de ses intentions d'après ses actes, non d'après ses discours, Charles à son tour fut saisi d'un redoublement de colère; il manda Hyde: «C'est, lui dit-il, faire trop d'hon» neur à ces rebelles de Westminster que de les >> traiter comme s'ils étaient encore une portion du >> parlement; tant qu'ils siégeront dans cette en>> ceinte, ils en usurperont le pouvoir. L'acte par >> lequel j'ai promis de ne les dissoudre que de leur >> propre aveu est, m'assure-t-on, nul de plein >> droit, car je ne saurais abolir ainsi les préroga>> tives de la couronne ; j'en veux user enfin. Qu'on >> prépare une proclamation qui, dès ce moment, >> déclare ces chambres dissoutes, et défende ex>> pressément, à elles de se rassembler, à qui que >> ce soit de les reconnaître ou de leur obéir.» Hyde écoutait avec surprise et anxiété, car l'idée seule d'une telle mesure lui semblait insensée. «Je vois, dit-il, >> que votre Majesté a profondément considéré cette >> question; pour moi, j'y suis tout nouveau, et elle >> exige le plus sérieux examen : je dirai seulement >> que je ne comprends guère comment, de la part >> de votre Majesté, la défense de se réunir à West>> minster empêcherait un seul homme de s'y ren>> dre, et pourtant le royaume en prendra à coup >> sûr un violent ombrage. Il se peut que l'acte dont >> parle votre Majesté soit nul en effet, et je suis >> enclin à le penser; mais tant que le parlement, >> revenu deses erreurs ou réprimé dans sa rébellion, >> ne l'aura pas déclaré lui-même, aucun juge, >> aucun simple citoyen n'oserait soutenir un tel >> avis. Or, on a beaucoup dit que tel était au fond >> la pensée de votre Majesté; qu'au nom du même 1 Whitelocke, p. 71, 77. ( >> droit elle nourrissait l'espoir de rapporter un jour, >> de la même manière, tous les autres actes de ce >> parlement; et déjà ce bruit seul, qu'elle a tou>> jours soigneusement désavoué, a nui bien sou>> vent à son service; que sera-ce quand une pro>> clamation, d'ailleurs impuissante, prouvera la >> légitimité de tous les soupçons ? Je conjure votre >> Majesté d'y bien réfléchir avant de pousser plus >> loin ce dessein 1. >> Dès qu'on sut que Hyde avait parlé au roi avec tant de franchise, presque tous les membres du conseil se rangèrent à son avis. Malgré sa roideur, Charles était, au milieu d'eux, incertain et timide; les objections l'embarrassaient, et il y cédait communément, ne sachant que répondre, ou pour abréger la discussion qui lui déplaisait, même avec les siens. Après quelques jours d'hésitation, plus apparente que réelle, le projet fut abandonné. Cependant quelque grande mesure semblait néces 1 Clarendon, Mémoires, t. 1, p. 246, |