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Un violent tumulte s'éleva bientôt tout autour de la chambre; les membres exclus tentaient toutes les avenues, invoquaient leur droit, interpellaient les soldats; les soldats riaient et se moquaient. Quelques-uns, Prynne entre autres, résistèrent obstinément: <<Je ne ferai, dit-il, pas un seul pas >> de mon gré; » et quelques officiers le poussèrent avec insulte jusqu'au bas de l'escalier, charmés de joindre au triomphe de la force le plaisir de la brutalité. Quarante-un membres furent arrêtés de la sorte et momentanément enfermés dans deux pièces voisines; beaucoup d'autres exclus sans qu'on les arrêtât. Deux seulement de ceux que comprenait la liste de Pride, Stephens et le colonel Birch, avaient réussi à entrer dans la chambre; on les attira à la porte sous de faux prétextes, et des soldats se saisirent d'eux à l'instant : « M. l'orateur, s'écria >> Birch, en essayant de se rejeter dans la salle, la >> chambre souffrira-t-elle que ses membres soient >> ainsi chassés sous ses yeux, et continuerez-vous >> de siéger immobiles ? » La chambre envoya son sergent d'armes porter aux membres qui se trouvaient dehors l'ordre de se rendre à leur poste; Pride les retint: renvoyé une seconde fois, le sergent ne put parvenir jusqu'à eux. La chambre décida qu'elle ne s'occuperait de rien tant qu'ils ne lui seraient pas rendus, et chargea un comité d'aller sur-le-champ les redemander au général. Le comité à peine sorti, un message vint de l'armée, présenté par le lieutenant colonel Axtell et quelques officiers; ils réclamaient l'exclusion officielle des membres arrêtés et de tous ceux qui avaient voté naguère en faveur de la paix. La chambre ne répondit point, attendant le résultat des démarches de son comité. Le comité rapporta que le général à son tour refusait de répondre jusqu'à ce que la chambre eût pris, sur le message de l'armée, quelque résolution. Cependant les membres exclus étaient enlevés de Westminster, et promenés dans Londres de quartier en quartier, de taverne en taverne, tantôt entassés dans quelques voitures, tantôt à pied, dans la boue, entourés de soldats qui leur demandaient compte de leurs arrérages. Le prédicateur Hugh Peters, chapelain de Fairfax, vint solennellement, et l'épée au côté, prendre leurs noms de la part du général; sommé par plusieurs d'entre eux de dire de quel droit on les arrêtait : << Du droit de l'épée, » répondit-il. Ils firent prier le colonel Pride de les entendre : « Je n'ai pas le temps, dit Pride, j'ai autre chose à faire. >> Fairfax et son conseil, en séance à Whitehall, leur promirent enfin audience : ils s'y rendirent; mais après plusieurs heures d'attente, trois officiers vinrent leur annoncer que le général, trop pressé, ne pouvait les recevoir. Quelque embarras se cachait sous tant de mépris; on évitait leur rencontre ; on crai

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gnait que leur invincible entêtement ne provoquât trop de rigueurs. Malgré l'audace de leurs desseins et de leurs actes, les vainqueurs même portaient au fond de l'âme, et sans s'en douter, un secret respect à l'ordre ancien et légal; en dressant leur liste de proscription, ils s'étaient contenus dans les limites d'une rigoureuse nécessité, espérant qu'une seule épuration suffirait à assurer leur triomphe. Ils voyaient avec trouble la chambre obstinée à réclamer ses membres, et leurs adversaires conservant un parti puissant, peut-être la majorité. Cependant l'hésitation était impossible: on résolut de recommencer. Le lendemain 7, des troupes fermèrent une seconde fois les avenues de la chambre; la même scène se renouvela; quarante membres furent encore écartés; on en arrêta quelques-uns dans leurs maisons. Ils écrivirent à la chambre pour demander leur mise en liberté; mais cette fois la défaite des presbytériens était consommée; au lieu de leur répondre, la chambre accueillit, à cinquante voix contre vingt-huit, la motion de prendre en considération les propositions de l'armée. Cette dernière minorité se retira d'elle-même, protestant qu'elle ne rentrerait point dans la chambre tant que justice ne serait pas faite à ses collègues; et après l'expulsion de cent quarante-trois membres, qui pour la plupart ne furent point arrêtés ou sortirent de prison peu à peu et sans bruit, les républicains et l'armée se virent enfin, dans Westminster comme au dehors, en pleine possession du pouvoir 1.

Tout céda, tout se tut dès ce jour; aucune résistance, aucune voix ne vint plus troubler le parti dans l'ivresse de sa victoire; seul il parlait, seul il agissait dans le royaume, et pouvait croire à la soumission ou au consentement universels. Aussi l'enthousiasme des fanatiques était au comble : <<< Comme Moïse, >>> disait Hugh Peters aux généraux en prêchant devant les débris des deux chambres, <<comme Moïse, vous êtes destinés à tirer le >> peuple de la servitude d'Egypte: comment s'ac>> complira ce dessein? c'est ce qui ne m'a pas en>> core été révélé. » Il mit sa tête dans ses mains, se baissa sur un coussin placé devant lui, et se relevant tout à coup : « Voici, voici maintenant la >> révélation, je vais vous en faire part. Cette armée >> extirpera la monarchie, non-seulement ici, mais >> en France et dans les autres royaumes qui nous >> entourent; c'est par là qu'elle yous tirera d'E>> gypte. On dit que nous entrons dans une route >> jusqu'ici sans exemple: que pensez-vous de la >> vierge Marie? y avait-il auparavant quelque

+ Parl. Hist., t. 3, col. 1240-1249; Rushworth, part. 4, t. 2, p. 1353-1356; Whitelocke, p. 354-355; Mémoires de Ludlow, t. 1, p. 328-335; de mistriss Hutchinson, t. 2, p. 185-190; de Fairfax, p. 411-412; Walker, Hist. of Independency, part. 4, p. 29 et suivantes.

>> exemple qu'une femme pût concevoir sans la >> société d'un homme? ceci est un temps qui ser>> vira d'exemple aux temps à venir 1;» et le peuple du parti se livrait avec transport à ce mystique orgueil. Au milieu de tant d'exaltation, le jour même où les derniers restes des presbytériens se retiraient des communes, Cromwell y vint reprendre sa place : « Dieu m'est témoin, répétait-il partout, >> que je n'ai rien su de ce qui s'est fait naguère >> dans cette chambre; mais puisque l'œuvre est >> consommée, j'en suis bien aise, et maintenant il >> faut la soutenir 3. » La chambre l'accueillit avec les plus éclatants témoignages de reconnaissance. L'orateur lui adressa, pour sa campagne d'Écosse, des remercîments officiels; et en sortant de la séance, il alla prendre son logement à Whitehall, dans les appartements même du roi 4. Le lendemain, l'armée s'empara des caisses des divers comités, forcée, dit-elle, de pourvoir elle-même à ses besoins, pour ne pas peser plus longtemps sur le pays 5. Trois jours après, elle envoya à Fairfax, sous le titre de

1 Walker, Hist. of Independency, part. 2, p. 49-50; Parl. Hist.,

t. 3, col. 1252.

2 Le 7 décembre.

3 Mémoires de Ludlow, t. 1, p. 336.

4 Parl. Hist., t. 3, col. 1246; Walker, Hist. of Independency,

part. 2, p. 34; Whitelocke, p. 357.

* Rushworth, part. 4, t. 2, p. 1356.

Le 11 décembre.

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