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quelque ébranlement se laissait entrevoir. Pour éluder le péril, Bradshaw soutint que la demande du roi n'était qu'un artifice pour échapper encore à la juridiction de la cour; un long et subtil débat s'engagea entre eux à ce sujet. Charles insistait toujours plus vivement pour être entendu; mais à chaque fois les soldats devenaient autour de lui plus bruyants et plus injurieux; les uns allumaient du tabac et en poussaient vers lui la fumée; les autres murmuraient en termes grossiers de la lenteur du procès; Axtell riait et plaisantait tout haut. En vain, à plusieurs reprises, le roi se tourna vers eux, et tantőt du geste, tantôt de la voix, essaya d'obtenir quel ques moments d'attention, de silence du moins: on lui répondait par des cris de: << Justice! exécution!>>> Troublé enfin, presque hors de lui: «Ecoutez>> moi! écoutez-moi!» s'écria-t-il avec un accent passionné: les mêmes cris recommençaient1; un mouvement inattendu se manifesta dans les rangs de la cour. Un des membres, le colonel Downs, s'agitait sur son siége; vainement ses deux voisins, Cawley et le colonel Wanton, s'efforcaient de le contenir: <<< Avons-nous donc des cœurs de pierre? >> disait-il; sommes-nous des hommes? Vous >> nous perdrez, et vous-même avec nous, lui dit >> Cawley. - N'importe, reprit Downs; dussé-je

1 State-Trials, t. 5, col. 1150-1151; dans le procès d'Axtell.

>> en mourir, il faut que je le fasse. >> A ce mot, Cromwell, qui siégeait au-dessous de lui, se retourna brusquement : « Colonel, lui dit-il, êtes› vous dans votre bon sens? A quoi pensez-vous? >> Ne pouvez-vous pas vous tenir tranquille? — » Non, reprit Downs, je ne puis me tenir tran>> quille; >> et se levant aussitôt : « Milord, dit-il au >> président, ma conscience n'est pas assez éclairée >> pour me permettre de repousser la requête du >>> prisonnier; je demande que la cour se retire pour >> en délibérer. - Puisqu'un des membres le dé >> sire, répondit gravement Bradshaw, la cour doit >> se retirer; » et ils passèrent tous à l'instant dans une salle voisine.

A peine ils y étaient entrés, Cromwell apostropha rudement le colonel, lui demandant compte du dérangement et de l'embarras qu'il causait à la cour. Downs se défendit avec trouble, alléguant que peut-être les propositions du roi seraient satisfaisantes, qu'après tout ce qu'on avait cherché, ce qu'on cherchait encore, c'étaient de bonnes et solides garanties; qu'il ne fallait pas refuser, sans les connaître, celles que le roi voulait offrir; qu'on lui devait au moins de l'entendre et de respecter envers lui les plus simples règles du droit commun. Cromwell l'écoutait avec une brutale impatience, s'agitant autour de lui, l'interrompant à tout propos : « Nous voilà enfin instruits, dit-il, des grandes >> raisons du colonel pour nous déranger de la sorte; >> il ne sait pas qu'il a affaire au plus inflexible >> mortel qui soit au monde: convient-il que la >> cour se laisse distraire et entraver par l'entête>> ment d'un seul homme? Nous voyons bien le >> fond de tout ceci; il voudrait sauver son ancien >> maître; finissons-en, rentrons et faisons notre >> devoir. » En vain le colonel Harvey et quelques autres appuyèrent le vœu de Downs; la discussion fut promptement étouffée; au bout d'une demiheure, la cour rentra en séance, et Bradshaw déclara au roi qu'elle repoussait sa proposition 1.

Charles parut vaincu et n'insista plus que faiblement : « Si vous n'avez rien à ajouter, lui dit >> Bradshaw, on procédera à la sentence. Je » n'ajouterai rien, monsieur, répondit le roi; je >> désirerais seulement qu'on enregistrât ce que j'ai >> dit. >> Bradshaw, sans répondre, lui annonça qu'il allait entendre son jugement; mais avant d'en ordonner la lecture, il adressa au roi un long dis-. cours, solennelle apologie de la conduite du parlement, où tous les torts du roi furent rappelés et tous les maux de la guerre civile rejetés sur lui seul, puisque sa tyrannie avait fait de la résistance un

1 State-Trials, t. 5, col. 1197, 1205, 1211, 1218, dans les procès de Harvey, Robert Lilburne, Downs et Wayte, et d'après le récit des accusés eux-mêmes. Voyez auss iWhitelocke, p. 368.

devoir aussi bien qu'une nécessité. Le langage de l'orateur était dur, amer, mais grave, pieux, exempt d'insulte, et sa conviction évidemment profonde quoique mêlée de quelque émotion vindicative. Le roi l'écouta sans l'interrompre et avec une égale gravité. A mesure cependant que le discours avançait vers sa fin, un trouble visible s'emparait de lui : au moment où Bradshaw se tut, il essaya de prendre la parole; Bradshaw s'y opposa, et donna ordre au greffier de lire la sentence; la lecture achevée : << C'est ici, dit-il, l'acte, l'avis, le jugement una>> nime de la cour, » et la cour se leva tout entière en signe d'assentiment. <<< Monsieur, dit brusque>> ment le roi, voulez-vous écouter une parole? »

« BRADSHAW. Monsieur, vous ne pouvez être entendu après la sentence. >>>

<< LE ROI. Non, monsieur? »

« BRANDSHAW. Non, monsieur, avec votre permission, monsieur. Gardes, emmenez le prisonnier. >>>

« LE ROI. Je puis parler après la sentence..... Avec votre permission, monsieur, j'ai toujours le droit de parler après la sentence.... Avec votre permission.... Attendez... La sentence, monsieur... Je dis, monsieur, que... On ne me permet pas de parler, pensez quelle justice peuvent attendre les

autres!>>>

A ce moment des soldats l'entourèrent, et l'en

levant de la barre, l'emmenèrent avec violence jusqu'au lieu où l'attendait sa chaise : il eut à subir, en descendant l'escalier, les plus grossières insultes; les uns jetaient sur ses pas leur pipe allumée; les autres lui soufflaient la fumée de leur tabac au visage; tous criaient à ses oreilles : <<< Justice! exécu>> tion1! >> A ces cris cependant le peuple mêlait encore quelquefois les siens: <<Dieu sauve votre >> Majesté! Dieu délivre votre Majesté des mains >> de ses ennemis ! >> et tant qu'il ne fut pas enfermé dans sa chaise, les porteurs demeurèrent tête nue, malgré les ordres d'Axtell, qui s'emporta jusqu'à les frapper. On se mit en marche pour Whitehall; des troupes bordaient les deux côtés de la route; devant les boutiques, les portes, aux fenêtres se tenait une foule immense, la plupart silencieux, d'autres pleurant, quelques-uns priant tout haut pour le roi. De moment en moment, les soldats, pour célébrer leur triomphe, renouvelaient

1 State-Trials, t. 5, col. 1151, dans le procès d'Axtell. Un témoin déposa, au procès d'Augustin Garland, un des juges, qu'au bas de l'escalier, il l'avait vu cracher au visage du roi (ibid. col. 1215). Garland nia absolument le fait, et les juges n'insistèrent point. Herbert, qui accompagnait le roi, ne le rapporte pas non plus. Je n'ai donc pas cru devoir le regarder comme authentique, quoique Warwick, qui tenait de l'évêque Juxon presque tous les détails qu'il a insérés dans ses Mémoires, l'affirme expressément (p. 291).

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