leurs cris: <<< Justice! justice! exécution! exécution!>>> Mais Charles avait recouvré sa sérénité accoutumée, et trop hautain pour croire à la sincérité de leur haine : << Pauvres gens! dit-il en sortant de >> sa chaise, pour un schelling ils en crieraient au>> tant contre leurs officiers 1. » A peine rentré à Whitehall : « Herbert, dit-il, › écoutez: mon neveu le prince électeur et quel» ques lords qui me sont attachés feront tous leurs >> efforts pour me voir; je leur en sais gré; mais >> mon temps est court et précieux; je souhaite >> l'employer au soin de mon âme; j'espère donc >> qu'ils ne se formaliseront pas que je ne veuille >> recevoir que mes enfants. Le plus grand service >> que puissent me rendre aujourd'hui ceux qui >> m'aiment, c'est de prier pour moi. >> Il fit en effet demander ses jeunes enfants, la princesse Élisabeth et le duc de Glocester, restés sous la garde des chambres, et l'évêque de Londres, Juxon, dont il avait déjà, par l'entremise de Hugh Peters, obtenu les secours religieux. L'une et l'autre demande lui fut accordée. Le lendemain 28, l'évêque se rendit à Saint-James où le roi venait d'être transféré; il se livrait, en l'abordant, à l'explosion de sa douleur : << Laissons cela, milord, lui dit Charles; nous n'a>> vons pas le temps de nous en occuper; pensons à >> notre grande affaire; il faut me préparer à pa>> raître devant Dieu, à qui, sous peu, j'aurai à >> rendre compte de moi-même. J'espère m'en ac» quitter avec calme et que vous voudrez bien >> m'assister. Ne parlons pas de ces misérables entre >> les mains desquels je suis; ils ont soif de mon >> sang, ils l'auront; et que la volonté de Dieu soit >> faite! Je lui rends grâces; je leur pardonne à tous >> sincèrement; mais n'en parlons plus. » Il passa le reste de la journée en conférence pieuse avec l'évêque : on avait eu grand'peine à obtenir qu'il fût laissé seul dans sa chambre où le colonel Hacker avait établi d'abord deux soldats; et pendant la visite de Juxon, la sentinelle de garde à la porte l'ouvrait de moment en moment pour s'assurer que le roi était là. Comme il l'avait présumé, son neveu le prince électeur, le duc de Richmond, le marquis de Hertford, les comtes de Southampton, de Lindsey, et quelques autres de ses plus anciens serviteurs se présentèrent pour le voir, mais il ne les reçut point. M. Seymour, gentilhomme au service du prince de Galles, arriva ce jour même de La Haye 1, porteur d'une lettre du prince; le roi donna ordre qu'on le fît entrer, lut la lettre, la jeta au feu, chargea le messager de sa réponse, et le congédia sur-lechamp. Le lendemain 29, presque au point du jour, l'évêque revint à Saint-James. Les prières du matin terminées, le roi se fit apporter un coffret contenant des croix de Saint-George et de la Jarretière brisées : « Vous voyez là, dit-il à Juxon et Herbert, les >> seules richesses qu'il soit maintenant en mon >> pouvoir de laisser à mes enfants. >> On les lui amena: à la vue de son père, la princesse Élisabeth, âgée de douze ans, fondit en larmes; le duc de Glocester, qui n'en avait que huit, pleurait en regardant sa sœur : Charles les prit sur ses genoux, leur partagea ses joyaux, consola sa fille, lui donna des conseils sur les lectures qu'elle devait faire pour s'affermir contre le papisme, la chargea de dire à ses frères qu'il avait pardonné à ses ennemis, à sa mère que jamais ses pensées ne s'étaient éloignées d'elle et que, jusqu'au dernier moment, il l'aimerait comme au premier jour : puis, se tournant vers le petit duc : << Mon cher cœur, lui dit-il, ils vont >> couper la tête à ton père. » L'enfant le regardait fixement et d'un air très-sérieux : « Fais attention, >> mon enfant, à ce que je te dis; ils vont me cou>> per la tête et peut-être te faire roi; mais fais bien >> attention à ce que je te dis; tu ne dois pas être >> roi tant que tes frères Charles et Jacques seront >> en vie, car ils couperont la tête à tes frères s'ils >> peuvent les attraper, et ils finiront par te couper >> aussi la tête; je t'ordonne donc de ne jamais te >>> laisser faire roi par eux. Je me laisserais plu>> tôt hacher en morceaux, >> répondit l'enfant tout ému. Le roi l'embrassa avec transport, le posa à terre, embrassa sa fille, les bénit tous deux, prią Dieu de les bénir; puis se levant tout à coup: << Faites-les emmener, >> dit-il à Juxon : les enfants sanglotaient; le roi debout, le front appuyé contre la fenêtre, étouffait ses pleurs; la porte s'ouvrit, les enfants allaient sortir; Charles quitta précipitamment la fenêtre, les reprit dans ses bras, les bénit de nouveau, et s'arrachant enfin à leurs caresses, tomba à genoux et se remit à prier avec l'évêque et Herbert, seuls témoins de ces déplorables adieux 1. 1 State-Trials, t. 4, col. 1130; Mémoires de Herbert, p. 118. 1 Selon la déposition de Tomlinson (State-Trials, t. 5, col. 1179), ce fut le jour même de sa mort, et à Whitehall, que le roi reçut M. Seymour; j'ai suivi la relation de Herbert (Mémoires, p. 126). Le matin même, la haute cour s'était réunie, et avait fixé au lendemain mardi 30 janvier, entre dix et cinq heures, le moment de l'exécution. Quand il fallut signer l'ordre fatal, on eut grand peine à rassembler les commissaires; en vain deux ou trois des plus passionnés se tenaient à la porte de la salle, arrètant ceux de leurs collègues qui passaient auprès pour se rendre à la chambre des communes, et les sommant de venir apposer leur nom2; plusieurs de ceux même qui avaient voté la condamnation prirent soin de se cacher ou refusèrent expressément. Cromwell presque seul gai, bruyant, hardi, se livrait aux plus grossiers accès de sa bouffonnerie accoutumée; après avoir signé le troisième, il barbouilla d'encre le visage de Henri Martyn, assis près de lui, et qui le lui rendit à l'instant. Le colonel Ingoldsby, son cousin, inscrit au nombre des juges, mais qui n'avait point siégé à la cour, entra par hasard dans la salle : « Pour cette fois, >> s'écria Cromwell, il ne nous échappera pas, » et s'emparant aussitôt d'Ingoldsby, avec de grands éclats de rire, aidé de quelques membres qui se trouvaient là, il lui mit la plume entre les doigts et, lui conduisant la main, le contraignit de signer 1. On recueillit enfin cinquante-neuf signatures, plusieurs noms tellement griffonnés, soit par trouble, soit à dessein, qu'il était presque impossible de les distinguer. L'ordre fut adressé au colonel Hacker, au colonel Huncks et au lieutenant colonel Phayre, chargés de pourvoir à son exécution. Jusque-là les ambassadeurs extraordinaires des États généraux, Albert Joachim et Adrien de Pauw, arrivés à Londres depuis cinq jours, avaient vainement sollicité une audience des chambres; ni leur demande of 1 Mémoires de Herbert, p. 123-130; de Warwick, p. 292; Rushworth, part. 4, t. 2, p. 1398; Journals of the House of Commons, 20 janvier; Procès du roi, dans ma Collection, p. 93-96. 2 State-Trials, t. 5, col. 1219; procès de Thomas Wayte. |