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» m'arriver. » On avait préparé son dîner; il n'en voulait rien prendre : Sire, lui dit Juxon, votre » Majesté est à jeun depuis longtemps; il fait froid; >> peut-être, sur l'échafaud, quelque faiblesse...

»

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Vous avez raison, >> dit le roi; et il mangea un morceau de pain et but un verre de vin. Il était une heure: Hacker frappa à la porte; Juxon et Herbert tombèrent à genoux : « Relevez-vous, mon >> vieil ami, » dit le roi à l'évêque en lui tendant la main. Hacker frappa de nouveau; Charles fit ouvrir la porte : « Marchez, dit-il au colonel, je vous >> suis. » Il s'avança le long de la salle des banquets, toujours entre deux haies de troupes; une foule d'hommes et de femmes s'y étaient précipités au péril de leur vie, immobiles derrière la garde, et priant pour le roi à mesure qu'il passait : les soldats, silencieux eux-mêmes, ne les rudoyaient point. A l'extrémité de la salle, une ouverture, pratiquée la veille dans le mur, conduisait de plain-pied à l'échafaud tendu de noir, deux hommes debout auprès de la hache, tous deux en habits de matelots et masqués. Le roi arriva, la tête haute, promenant de tous côtés ses regards et cherchant le peuple pour lui parler: mais les troupes couvraient seules la place; nul ne pouvait approcher: il se tourna vers Juxon et Tomlinson : « Je ne puis guère être en>> tendu que de vous, leur dit-il; ce sera donc à >> vous que j'adresserai quelques paroles; » et il leur adressa en effet un petit discours qu'il avait préparé, grave et calme jusqu'à la froideur, uniquement appliqué à soutenir qu'il avait eu raison, que le mépris des droits du souverain était la vraie cause des malheurs du peuple, que le peuple né devait avoir aucune part dans le gouvernement, qu'à cette seule condition le royaume retrouverait la paix et ses libertés. Pendant qu'il parlait, quelqu'un toucha à la hache; il se retourna précipitamment, disant : « Ne gatez pas la hache, >> elle me ferait plus de mal; >> et son discours terminé, quelqu'un s'en approchant encore : << Prenez garde à la hache, prenez garde à la hache! >>> répéta-t-il d'un ton d'effroi. Le plus profond silence régnait: il mit sur sa tête un bonnet de soie, et s'adressant à l'exécuteur : << Mes cheveux vous gê>>> nent-ils? Je prie votre Majesté de les ranger >> sous son bonnet, » répondit l'homme en s'inclinant. Le roi les rangea avec l'aide de l'évêque : « J'ai pour moi, lui dit-il en prenant ce soin, une >> bonne cause et un Dieu clément. - JuXON. Oui, >> Sire, il n'y a plus qu'un pas à franchir; il est plein >> de trouble et d'angoisse, mais de peu de durée; >> et songez qu'il vous fait faire un grand trajet; il >> vous transporte de la terre au ciel. LE ROI. Je >> passe d'une couronne corruptible à une couronne >> incorruptible, où je n'aurai à craindre aucun >> trouble, aucune espèce de trouble; >> et se tour

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nant vers l'exécuteur : « Mes cheveux sont-ils

>> bien? >> Il sta son manteau et son Saint-George, donna le Saint-George à l'évêque en lui disant : << Souvenez-vous 1, » ôta son habit, remit son manteau, et regardant le billot : <<< Placez-le de manière >> à ce qu'il soit bien ferme, dit-il à l'exécuteur.

»

Il est ferme, Sire. - LE ROI. Je ferai une >> courte prière, et quand j'étendrai les mains, >>> alors... >> Il se recueillit, se dit à lui-même quelques mots à voix basse, leva les yeux au ciel, s'agenouilla, posa sa tête sur le billot: l'exécuteur toucha ses cheveux pour les ranger encore sous son bonnet; le roi crut qu'il allait frapper : <<< Attendez >> le signe, lui dit-il. Je l'attendrai, Sire, >> avec le bon plaisir de votre Majesté. » Au bout d'un instant, le roi étendit les mains; l'exécuteur frappa; la tête tomba au premier coup : << Voilà la >> tête d'un traître! >> dit-il en la montrant au peuple: un long et sourd gémissement s'éleva autour de Whitehall; beaucoup de gens se précipitaient au pied de l'échafaud pour tremper leur mouchoir dans le sang du roi. Deux corps de cavalerie, s'avançant dans deux directions différentes, dispersèrent lentement la foule. L'échafaud demeuré solitaire, on enleva le corps : il était déjà enfermé dans le cercueil; Cromwell voulut le voir, le considéra attentivement, et soulevant de ses mains la tête comme pour s'assurer qu'elle était bien séparée du tronc: << C'était là un corps bien constitué, dit-il, >> et qui promettait une longue vie 1. >>

1 On n'a jamais su à quen recommandation se rapportait ce mot. 1 Mémoires de Warwick, p. 294-296; de Herbert, p. 140-142; Procès de Charles I, p. 96-108, dans ma Collection; Mark Noble, Memoirs of the Protectoral House, t. 1, p. 118.

Le cercueil demeura exposé sept jours à Whitehall; un concours immense se pressait à la porte, mais peu de gens obtenaient la permission d'entrer. Le 6 février, par ordre des communes, il fut remis à Herbert et Mildmay, avec autorisation de le faire ensevelir au château de Windsor, dans la chapelle de Saint-George, où était déposé celui de Henri VIII. La translation se fit sans pompe, mais avec décence; six chevaux drapés de noir traînaient le cercueil; quatre voitures suivaient, dont deux également drapées, portant les derniers serviteurs du roi, ceux qui l'avaient accompagné à l'île de Wight. Le lendemain 8, de l'aveu des communes, le duc de Richmond, le marquis de Hertford, les comtes de Southampton et de Lindsey et l'évêque Juxon arrivèrent à Windsor pour assister aux funérailles; ils firent graver sur le cercueil ces mots seulement :

CHARLES ROI,
16482.

Lorsqu'on transporta le corps de l'intérieur du château à la chapelle, le temps, jusque-là pur et serein, changea tout à coup; la neige tomba en abondance; le drap mortuaire, de velours noir, en fut entièrement couvert, et les serviteurs du roi se plurent à voir, dans la subite blancheur du cercueil de leur malheureux maître, un symbole de son innocence. Le cortége arrivé à la place choisie pour la sépulture, l'évêque Juxon se disposait à officier selon les rits de l'Eglise anglicane; mais le gouverneur du château, Whitchcott, s'y opposa : << La liturgie décrétée par les deux chambres, dit>> il, est obligatoire pour le roi comme pour tous. » On se soumit; aucune cérémonie religieuse n'eut lieu; le cercueil descendu dans le caveau, tous sortirent de la chapelle; le gouverneur en ferma la porte. La chambre des communes se fit représenter le compte des frais de ces obsèques, et alloua cinq cents livres sterling pour les acquitter 1. Le jour même de la mort du roi, avant qu'aucun courrier fût parti de Londres, elle avait fait publier une ordonnance qui déclarait traître quiconque proclamerait à sa place et comme son successeur «Char>> les Stuart, son fils, communément appelé le

2 Vieux style; l'année anglaise commençait alors le 24 mars, et ne se réglait pas encore sur le calendrier grégorien ; le 30 janvier 1648, jour de la mort de Charles Ier, correspond pour nous au 9 février 1649.

1 Mémoires de Herbert, p. 144–157; Procès de Charles I, p. 108, dans ma Collection.

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