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manœuvres, et entra dans York sans combat. Newcastle le pressa vivement de se contenter d'un si heureux succès; la discorde fermentait, lui ditil, dans le camp ennemi; les Écossais étaient mal avec les Anglais, les indépendants avec les presbytériens, le lieutenant général Cromwell avec le major général Crawford; qu'il attendît au moins, s'il voulait combattre, un renfort de trois mille hommes qui arriveraient sous peu de jours. Robert l'écouta à peine, répondit brusquement qu'il avait des ordres du roi 1, et commanda aux troupes de marcher sur l'ennemi qui se retirait. Elles atteignirent promptement son arrière-garde; de part et d'autre on s'arrêta, on rappela tous les corps, on se disposa au combat. Presque à portée de mousquet, séparées seulement par quelques fossés, les

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1 Ces ordres étaient contenus dans la lettre ci-dessus mentionnée, et qui lui prescrivait de se porter au secours d'York. On a longuement débattu la question de savoir si elle enjoignait formellement au prince Robert de livrer bataille, ou s'il pouvait s'en dispenser: débat puéril, car, à coup sûr, si Robert avait pensé, comme Newcastle, qu'il ne fallait pas hasarder la bataille, il aurait eu tort de se conformer à des ordres donnés de loin et au hasard. Du reste, quoi qu'en aient dit récemment MM. Brodie et Lingard (Hist. of the British empire, etc., t. 3, p. 477; Hist. of England, t. 10, p. 252), il s'en faut beaucoup que la lettre du roi contienne un ordre positif: elle est évidemment écrite dans la persuasion que le siège d'York ne peut être levé sans combat; et c'est en ce sens qu'elle dit qu'une victoire est indispensable. Voyez les Éclaircissements et Pièces historiques, n. 2.

deux armées passèrent cependant deux heures immobiles et dans un silence profond, attendant l'une et l'autre qu'on vînt l'attaquer. <<Quel poste >> me destine votre Altesse? >>> demanda Newcastle au prince.- << Je ne compte pas engager l'action >> avant demain matin, lui dit Robert; vous pouvez >> vous reposer jusque-là. >> Newcastle alla s'enfermer dans sa voiture. A peine y était-il établi que la mousqueterie lui apprit que la bataille commençait; il s'y porta soudain, sans commandement, à la tête de quelques gentilshommes offensés et volontaires comme lui. En peu d'instants un désordre effroyable couvrit la plaine; les deux armées s'assaillirent, s'enfoncèrent, se mêlèrent presque au hasard; parlementaires et royalistes, cavaliers et fantassins, officiers et soldats erraient sur le champ de bataille, isolés ou par bandes, deman dant des ordres, cherchant leur corps, se battant dès qu'ils rencontraient l'ennemi, mais sans résultat comme sans dessein général. La déroute éclata tout à coup à l'aile droite des parlementai res; rompue et saisie d'effroi par une vigoureuse charge des royalistes, la cavalerie écossaise se dispersa; Fairfax essaya vainement de la retenir; les Ecossais s'enfuyaient en tous sens, criant: « Mal>> heur à nous! nous sommes perdus !>> Et ils répandirent si rapidement dans le pays la nouvelle de leur défaite que, de Newark, un courrier l'alla

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porter à Oxford, où, pendant quelques heures, des feux de joie furent allumés. Mais, en revenant de la poursuite, les royalistes, à leur grande surprise, virent le terrain qu'ils occupaient naguère au pouvoir d'un ennemi vainqueur; pendant que la cavalerie écossaise fuyait devant eux, leur aile droite, bien que commandée par Robert lui-même, avait subi le même sort; après une lutte acharnée, elle avait cédé à l'invincible obstination de Cromwell et de ses escadrons; l'infanterie de Manchester avait consommé sa défaite; et content d'avoir dispersé les cavaliers du prince, Cromwell, habile à rallier les siens, s'était reporté aussitôt sur le champ de bataille pour se bien assurer la victoire avant de songer à en jouir. Après un moment d'hésitation, les deux corps victorieux rengagèrent le combat, et à dix heures il ne restait plus un royaliste dans la plaine, si ce n'est trois mille morts et seize cents prisonniers 1.

Robert et Neswcastle rentrèrent dans York au milieu de la nuit, sans se parler, sans se voir; et à peine de retour, ils s'adressèrent réciproquement un message : « J'ai résolu, manda le prince au » comte, de partir ce matin avec ma cavalerie et

1 Rushworth, part. 3, t. 2, p. 631-640; Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 7, p. 153-166; Mémoires de Ludlow, t. 1, p. 139142, dans ma Collection; Mémoires de Hollis, p. 20-24, ibid.; Mémoires de Fairfax, p. 391-395, ibid.; Mémoires de mistriss Hutchinson, t. 1, p. 437, ibid. - Whitelocke, p. 89; Carte's Letters, t. 1, p. 56 et suiv.; Baillie, Letters, t. 2, p. 36, 40.

>> tout ce qui me reste d'infanterie.

Je pars à >> l'instant même, lui fit dire Newcastle, et vais >> passer la mer pour me retirer sur le continent. » L'un et l'autre tint parole: Newcastle s'embarqua à Scarborough; Robertse mit en marche vers Chester avec les débris de son armée, et York capitula au bout de quinze jours 1.

Le parti indépendant tressaillit de joie et d'espérance : c'était à ses chefs, à ses soldats qu'était dû un si brillant succès ; l'habileté de Cromwell avait décidé la victoire; pour la première fois des escadrons parlementaires avaient enfoncé des escadrons royalistes, et c'étaient les saints de l'armée, les cavaliers de Cromwell. Avec leur général, ils avaient reçu sur le champ de bataille le surnom de Côtes de Fer. L'étendard du prince Robert lui-même, publiquement exposé à Westminster, attestait leur triomphe 2, et ils auraient pu envoyer au parlement plus de cent drapeaux ennemis si, dans leur enthousiasme, ils ne les avaient mis en pièces pour en orner leurs bonnets et leurs bras 1. Essex avait vaincu deux fois, mais comme par contrainte, pour sauver le parlement près de périr, et sans autre effet: les saints cherchaient le combat, et n'avaient pas peur de la victoire. Les Écossais, qui s'étaient montrés si faibles dans ce grand jour, prétendraient-ils désormais les soumettre à leur tyrannie presbytérienne? Parlerait-on encore de la paix comme d'une nécessité? La victoire et la liberté seules étaient nécessaires; il fallait les conquérir à tout prix, et pousser jusqu'au bout cette bienheureuse réforme tant de fois compromise par des hommes intéressés ou timides, tant de fois sauvée par le bras du Seigneur. Partout retentissait ce langage; partout les indépendants, libertins ou fanatiques, bourgeois, prédicateurs ou soldats, faisaient éclater leurs passions et leur vœux ; et partout se mêlait le nom de Cromwell, plus emporté que nul autre dans ses discours, en même temps qu'il passait déjà pour le plus habile à tramer de profonds desseins. « Milord, dit-il un jour >> à Manchester, auquel le parti se fiait encore, >>> mettez-vous décidément avec nous; ne dites >> plus qu'il faut se tenir en mesure pour la paix,

1 Le 16 juillet 1644; Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 7, p. 156.

* Au milieu de cet étendard on voyait un lion couchant; derrière lui un mâtin qui semblait le mordre, et de la gueule duquel sortait une banderole où on lisait le nom de Kimbolton; à ses pieds de petits chiens, devant la gueule desquels était écrit: Pym, Pут, Pym; et de la gueule du lion sortaient ces mots : Quousque tandem abuteris palientia nostra ? (Rushworth, part. 3, t. 2, p. 635).

1 Rushworth, part. 3, t. 2, p. 635.

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