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leur commandement, et les hostilités reprirent leur cours1.

Essex se vit bientôt dans une situation désespérée; il combattait chaque jour, et pour tomber chaque jour dans un plus grand péril; ses soldats se lassaient, des complots fermentaient dans leurs rangs; le roi resserrait de plus en plus ses lignes, élevait partout des redoutes; déjà l'espace manquait aux cavaliers du comte pour recueillir des fourrages; à peine lui restait-il quelques libres communications avec la mer, seule voie par où il pût se procurer des vivres; dans les derniers jours d'août enfin, il était cerné de si près que, des hauteurs environnantes, les royalistes pouvaient voir tout ce qui se passait dans son camp. Dans cette extrémité, il donna ordre à la cavalerie, commandée par sir William Balfour, de se faire jour, comme elle pourrait, à travers les postes ennemis, et se mit en marche avec l'infanterie pour tâcher d'atteindre le port de Foy. A la faveur de la nuit et d'un brouillard, la cavalerie réussit à passer entre deux corps royalistes ; mais l'infanterie, engagée dans des chemins étroits et fangeux, poursuivie par toute l'armée du roi, contrainte d'abandonner à chaque pas des canons et des bagages, perdit enfin tout espoir de salut; on parla hautement de capituler. Abattu, troublé, préoccupé du seul désir de se soustraire à tant d'humiliation, Essex, sans consulter personne, suivi seulement de deux officiers1, partit tout à coup, gagna la côte, et se jeta dans un bateau qui fit voile pour Plymouth, laissant son armée sous les ordres de Skippon, major général 2.

1 Rushworth, part. 3, t. 2, p. 691-697; Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 7, p. 170-181.

* Rushworth, part. 3, t. 2, p. 698.

Dès que son départ fut connu, Skippon convoqua un conseil de guerre : « Messieurs, dit-il, vous >> voyez que notre général et quelques-uns de nos >> principaux chefs ont jugé à propos de nous aban>> donner; notre cavalerie est partie; nous restons >> seuls chargés de nous défendre; voici ce que je >> vous propose : nous avons le même courage que >> nos cavaliers, le même Dieu pour nous aider; >> tentons de même notre fortune ; essayons de nous >> faire jour comme eux à travers nos ennemis; il >> vaut mieux mourir avec honneur que de se sau>> ver lachement. » Mais l'héroïsme de Skippon ne gagna point le conseil; beaucoup d'officiers de cette armée, braves et fidèles, mais presbytériens ou modérés comme Essex, étaient, comme lui, tristes et découragés. Le roi leur fit proposer une capitulation inespérée; il n'exigeait que la remise de l'artillerie, des munitions et des armes; tous les hommes, officiers et soldats, demeureraient libres et seraient même conduits en sûreté jusqu'aux quartiers du parlement. Ces conditions furent acceptées1; et, sous l'escorte de cavavaliers royaux, les bataillons parlementaires traversèrent sans général, sans armes, ces comtés que naguère ils avaient parcourus en vainqueurs 2.

1 Sir John Merrick, qui commandait l'artillerie, et le lord Robarts lui-même, qui avait décidé Essex à entrer dans le pays de Cornouailles.

2 Rushworth, part. 3, t. 2, p. 699-703; Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 7, p. 182-190; Whitelocke, p. 98.

Cependant Essex débarquait à Plimouth, et rendait compte au parlement de son désastre : « C'est, >> écrivait-il, le plus rude coup qu'ait jamais reçu >> notre parti; je ne désire rien tant que d'être mis >> en jugement; de tels échecs ne doivent point >> demeurer étouffés3. >>> Huit jours après; il reçut de Londres cette réponse :

<< Milord, le comité des deux royaumes ayant >> communiqué aux chambres du parlement les >> lettres de votre Seigneurie, en date de Plimouth, >> elles nous ont ordonné de vous faire connaître >> que, pénétrées de la gravité de ce malheur, >> mais se soumettant à la volonté de Dieu, leurs >> bons sentiments pour votre Seigneurie et leur >> confiance dans votre fidélité et vos mérites n'en >> sont nullement ébranlés. Elles ont résolu de >> déployer leurs plus énergiques efforts pour ré>> parer cette perte, et remettre sous votre com>> mandement 1 une armée qui, avec la bénédic >> tion de Dieu, puisse rétablir nos affaires en meil>> leur état. Le comte de Manchester et sir Wil>> liam Waller ont reçu l'ordre de marcher avec >> toutes leurs troupes vers Dorchester. Les cham>> bres ont pareillement ordonné que six mille >> mousquets, six mille uniformes, cinq cents paires >> de pistolets, etc., fussent expédiés à votre Sei>> gneurie, à Portsmouth, pour servir à l'équipe>> ment et relever le courage de vos soldats. Elles >> ont la confiance que le séjour de votre Seigneurie >> dans ce comté, pour réorganiser et mettre en >> mouvement les divers corps, aura les plus salu>> taires effets. >>>>

Le 1er septembre 1644.

2 Rushworth, part. 3, t. 2, p. 704-709; Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 7, p. 190-192.

3 Lettre d'Essex à sir Philippe Stapleton, dans Rushworth, part. 3, t. 2, p. 703.

La surprise du comte fut grande; il s'attendait à des poursuites, au moins à d'amers reproches; mais sa fidélité, si récemment éprouvée, l'étendue même du désastre, la nécessité d'en imposer à l'ennemi, ralliaient à ses partisans les hommes incertains, et ses adversaires s'étaient interdit le combat. Essex, embarrassé de son malheur et de sa faute, ne leur semblait plus redoutable; ils le connaissaient et prévoyaient que bientôt, pour épargner à sa dignité des chocs si rudes, lui-même se mettrait à l'écart. Jusque-là, en le traitant avec honneur, on faisait preuve d'énergie; on évitait, sur les causes cachées de l'événement, une enquête peut-être fàcheuse; on engageait enfin dans un nouvel effort pour la guerre les fauteurs mêmes de la paix. Aussi habiles que passionnés, les meneurs indépendants se turent, et le parlement sembla unanime à soutenir dignement ce grand revers.

1 Dans Rushworth (part. 3, t. 2, p. 708), on lit: Under their command (sous leur commandement); mais dans l'Histoire parlementaire (t. 3, col. 289), le texte porte: Under your command, et j'ai adopté cette dernière leçon, de beaucoup la plus probable. La léttre est du 7 septembre 1644,

Son activité et la fermeté de son attitude ralentirent d'abord les mouvements du roi; il adressa aux chambres un message pacifique, puis se contenta, pendant trois semaines, de se présenter devant quelques places, Plymouth, Lyme, Portsmouth, qui ne se rendirent point. Mais, vers la fin de septembre, il apprit que Montrose, qui depuis longtemps lui promettait en Écosse la guerre civile, avait enfin réussi à la faire éclater, et marchait déjà de succès en succès. Après la bataille de Marston-Moor, déguisé en domestique et suivi seulement de deux compagnons, Montrose avait passé à pied la frontière d'Ecosse, et s'était rendu à Strathern, chez Patrick Graham d'Inchbrackie, son

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