alarmes. On l'avait vu d'abord, souple et flatteur auprès de Manchester, l'exalter en toute occasion aux dépens d'Essex, et acquérir peu à peu sur son armée bien plus d'empire que lui-même. Il en avait fait le refuge des indépendants, des sectaires de toute sorte, ennemis du covenant comme du roi; sous sa protection, une licence fanatique y régnait; chacun parlait, priait, prêchait même à són gré et sans mission. En vain, pour balancer l'influence de Cromwell, on avait nommé major général le colonel Skeldon Crawford, Ecossais et presbytérien rigide : Crawford n'avait su qu'accuser follement Cromwell de lâcheté, et Cromwell, sans cesse appliqué à épier les fautes de son adversaire, à le décrier parmi les soldats, à le dénoncer au parlement et au peuple, l'avait mis bientôt hors d'état de lui nuire. Enhardi par ce succès et par les progrès visibles de son parti, il s'était ouvertement déclaré le patron de la liberté de conscience, et avait même obtenu des chambres 2, avec l'aide des libertins et des philosophes, la formation d'un comité chargé de rechercher comment on pourrait contenter les dissidents ou les laisser en paix. Maintenant il attaquait Manchester lui-même, ne parlait des Écossais qu'avec insulte, se faisait fort de triompher sans eux, de les chasser même d'Angleterre, s'ils prétendaient l'opprimer à leur tour, poussait enfin l'audace jusqu'à mettre en question le trône, les lords, tout l'ordre ancien et légal du pays 1. Irrités et inquiets, les chefs des presbytériens et des politiques modérés, les commissaires écossais, Hollis, Stapleton, Merrick, Glynn, etc., se réunirent à l'hôtel d'Essex pour aviser aux moyens de déjouer un si dangereux ennemi. Après une longue conférence, ils résolurent de consulter Whitelocke et Maynard, tous deux savants jurisconsultes, accrédités dans la chambre, et qu'ils avaient lieu de croire favorables à leur cause. On alla les chercher de la part du lord général, presque au milieu de la nuit, sans leur dire de quoi il s'agissait. Ils arrivèrent un peu agités du sujet, et de l'heure, et de la forme de la convocation. Après quelques compliments: <<< Messieurs, leur dit lord Lowden, chan>> celier d'Écosse, vous savez que le lieutenant gé 1 Baillie, Letters, t. 2, p. 40, 41, 42, 49, 57, 60, 66, 69; Mémoires de Hollis, p. 20-22. 2 Le 13 septembre 1644; Baillie, Letters, t. 2, p. 57, 61; Journals of the House of Commons, 13 septembre. » néral Cromwell n'est pas de nos amis, et que, >> depuis l'entrée de nos troupes en Angleterre, il a >> tout fait pour nous décrier et nous nuire; vous >> savez aussi qu'il ne veut pas plus de bien à son >> Excellence le lord général que nous avons, vous 1 Whitelocke, p. 111; Journals of the House of Lords, 28 nov. 1644; Clarendon, Hist. of the Rebell., t. 7, p. 253. >> et nous, tant de raisons d'honorer; enfin, vous » n'ignorez pas qu'aux termes de notre covenant >> solennel, quiconque jouera, entre les deux royau>> mes, le rôle d'incendiaire doit être poursuivi à >> l'instant : selon la loi d'Ecosse, le mot incendiaire >> désigne celui qui sème la discorde et cherche à >> exciter des troubles funestes. Nous désirons sa>> voir de vous s'il a le même sens dans la loi an>> glaise, si le lieutenant général Cromwell ne mé>> rite pas, à votre avis, la qualification d'incendiaire, >> et comment, s'il la mérite en effet, on doit pro>> céder contre lui. >>> Les deux jurisconsultes se regardèrent; on attendait leur réponse: après quelques moments de silence : << Puisque personne ne prend la parole, >> dit Whitelocke, pour prouver ma soumission à >> son Excellence, j'essaierai de dire humblement et >> librement mon avis sur les questions que milord >> chancelier nous a si clairement posées. Le mot >> incendiaire a chez nous le même sens que dans la >> loi d'Écosse ; mais si le lieutenant général Crom>> well mérite ce nom, c'est ce qu'on ne peut savoir >> que par la preuve qu'il a réellement fait ou dit >>> des choses tendant à susciter la discorde entre les >> deux royaumes, ou des troubles parmi nous. A >> coup sûr, ni vous milord général, ni vous milords >> les commissaires d'Écosse, élevés comme vous >> l'êtes en dignité et en pouvoir, vous ne vous em>> barquerez dans une affaire, encore moins dans une >> accusation, sans être certains du succès. Or, le >> lieutenant général Cromwell est un homme d'un >> esprit hardi, adroit, fécond en ressources; il a, >> dans ces derniers temps surtout, acquis dans la >> chambre des communes beaucoup d'influence; >> il ne manquera, dans la chambre des lords, ni >> d'amis, ni d'habileté pour le soutenir. Je n'ai en>> tendu dire à son Excellence, ni à milord chance>> lier, ni à aucune autre personne, et je ne sais par » moi-même aucun fait qui puisse prouver à la >> chambre que le lieutenant général est vraiment >> un incendiaire. Je doute donc beaucoup qu'il >> soit sage de l'accuser à ce titre; il faudrait d'a>> bord, ce me semble, recueillir sur son compte >> tous les renseignements qu'on pourrait se procu>> rer : alors, si elles le jugent à propos, vos Sei>> gneuries nous appelleront de nouveau, nous leur >> donnerons notre avis, et elles se décideront >> comme il conviendra. » Maynard parla comme Whitelocke, ajoutant même que le mot incendiaire était de peu d'usage dans la loi anglaise, et donnerait lieu à beaucoup d'incertitude. Hollis, Stapleton, Merrick soutinrent vivement leur projet, disant que Cromwell n'avait pas dans la chambre tant d'influence, qu'ils se chargeraient volontiers de l'y accuser, et rapportant des faits, des paroles qui, disaient-ils, prouvaient clairement ses desseins. Mais les commissaires écossais refusèrent de s'engager dans cette lutte. Vers deux heures du matin, Maynard et Whitelocke se retirèrent, et la conférence n'eut d'autre résultat que d'exciter Cromwell à précipiter sés coups, car << quelque faux frère, » dit Whitelocke, probablement Whitelocke lui-même, l'informa de ce qui s'était passé 1. Essex et ses amis cherchèrent à leur mal un autre remède; toutes leurs pensées se tournèrent vers lá paix. Jamais les chambres n'avaient absolument cessé de s'en occuper : tantôt quelque motion formelle amenait des délibérations où bien peu de voix, la seule voix même de l'orateur, décidaient du sort du pays, tantôt les ambassadeurs de France et de Hollande, sans cesse en voyage de Londres à Oxford et d'Oxford à Londres, offraient leur médiation, rarement sincère, et toujours éludée, mais avec embarras3. Tant de gens désiraient la paix que , 1 Whitelocke, p. 111; Wood, Athenæ Oxonienses t. 2, col. 546. Le 29 mars 1644, sur la proposition de former un comité pour examiner les offres de médiation de l'ambassadeur de Hollande, la chambre des commune se divisa à soixante-quatre voix contre soixante-quatre; l'orateur se prononça pour la négative (Parl. Hist., t. 3, col. 253). 3 Les ambassadeurs de Hollande offrirent la médiation des états généraux les 20 mars, 12 juillet et 7 novembre 1644; le comte d'Harcourt, ambassadeur de France, arrivé à Londres en C |