il le fait consister en trois parties essentielles : « à définir les termes dont on doit se servir par >> des définitions claires; à proposer des principes » ou axiomes évidents pour prouver la chose dont » il s'agit, et à substituer toujours mentalement » dans la démonstration les définitions à la place » des définis. » Puis, pour expliquer davantage sa pensée et la préciser, il la formule en huit règles relatives soit aux définitions, soit aux axiomes, soit aux démonstrations. Pascal admet donc d'une part des principes généraux et universels de vrai et de bien, connus de tous, communs à tous; de l'autre, la possibilité de faire sortir de ces principes, par voie de démonstration, un ensemble de vérités. Seulement il reconnaît qu'il n'y a presque point de vérités, hors de la géométrie, dont nous demeurions toujours d'accord, et encore moins d'objets de plaisirs dont nous ne changions à toute heure; alors il ne sait s'il y a moyen de donner des règles fermes pour accorder les discours à l'inconstance de nos caprices. Grande et triste vérité que fournit à chaque instant l'observation morale! Hors de la science pure, nos passions sont en cause, nous nous plaisons à ébranler tous les principes, et si nous avions quelque intérêt à contester les vérités de la géométrie, pas une seule de ses propositions qui ne fût bientôt attaquée. C'est : ainsi que nous mettons la raison et la vérité au service de nos plaisirs et de nos caprices, qu'il n'y a de vrai pour nous que ce qui les flatte. En torturant, dénaturant tous les principes, nous nous donnons le change à nous-mêmes et faisons du faux le vrai et du mal le bien. Pascal le savait, et c'est en ce sens qu'il faut entendre plusieurs de ses paroles qui ne sont pas l'expression du scepticisme, mais la peinture d'une maladie morale qu'il cherche à guérir. Écoutons-le « La volonté est un des principaux » organes de la créance; non qu'elle forme la » créance, mais parce que les choses sont vraies » ou fausses, selon la face par où on les regarde. » La volonté, qui se plaît à l'une plus qu'à l'autre, » détourne l'esprit de considérer les qualités de >> celles qu'elle n'aime pas à voir : et ainsi l'esprit marchant d'une pièce avec la volonté, s'ar» rête à regarder la face qu'elle aime, et ainsi il » en juge par ce qu'il y voit. » Et alors il ajoutera, sans craindre qu'on puisse se méprendre sur sa pensée « Tout notre raisonnement se réduit » à céder au sentiment. Mais la fantaisie est sem» blable et contraire au sentiment; de sorte qu'on » ne peut distinguer entre ces contraires. L'un >> dit que mon sentiment est fantaisie; l'autre, » que sa fantaisie est sentiment. Il faudrait avoir » une règle : la raison s'offre; mais elle est ploya>> ble à tous sens, et ainsi il n'y en a point '. » Oui, la raison est ployable à tous sens, mais par fantaisie et par passion. Voulons-nous qu'elle soit règle inflexible, redressons-la par la vertu, fortifions-la par l'habitude du bien. N'oublions pas ces vues morales que Pascal jetait toujours à travers ses considérations les plus abstraites, et qui répandront tant de jour sur quelques points de sa philosophie religieuse. Et maintenant résumons cet article. D'après Pascal, deux ordres de vérités, les unes du ressort de l'autorité, les autres relevant de nos moyens de connaître. Nous n'inventons ni ne découvrons les premières: elles nous arrivent par les sens, et la raison critique a le seul droit de discuter le rapport et la valeur de l'autorité qui nous les enseigne, autorité humaine dans les faits historiques, divine dans les faits religieux. Pour les vérités d'expérience et de raisonnement, nous pouvons les découvrir, les démontrer, les discerner d'avec le faux. Néanmoins une démonstration absolue et rigoureuse n'est pas au pouvoir de l'homme, qui part nécessairement de termes premiers non définis, et de premiers principes 1 Pensées, Fragments, etc., t. I, p. 223 et 224. non prouvés. Mais ces premiers termes ou principes sont eux-mêmes d'une clarté et d'une certitude accomplies à cause de leur évidence naturelle. Aussi le bon sens humain s'en est toujours contenté, et personne, si ce n'est quelques dogmatistes ridicules, qui n'ont peut-être existé bien souvent que dans les accusations des Pyrrhoniens, n'a poussé plus loin ses prétentions. L'homme tendant au bien en même temps qu'au vrai, porte en lui des instincts de jouissance et de bonheur qui s'y mêlent aux principes de vérité. S'il y avait parfaite harmonie entre la volonté qui aime et l'intelligence qui perçoit, ou plutôt si la volonté, au lieu de tyranniser l'intelligence, lui obéissait en tout et ne se dirigeait que par ses lumières, l'homme ne se tromperait jamais dans la recherche des vérités de sa compétence, et il serait toujours possible de l'en persuader. Mais l'entendement suit le plus souvent l'impulsion de la volonté, et c'est par elle que la persuasion pénètre dans l'âme. Comme elle est corrompue par le mal, elle ne donne entrée qu'au faux, jusqu'à ce que, purifiée et réformée par la vertu et par la grâce, elle consente à confondre dans ses affections le vrai et le bien. Toutes ces idées ne sont pas particulières à Pascal. Elles ne lui appartiennent que pour l'ordonnance rigoureuse qu'il leur a donnée et la forme nette dont il les a revêtues. Il est facile de voir qu'elles sont le fonds commun de la raison humaine et composent le bon sens du monde. Nous sommes donc en droit de demander comment on accorderait avec son scepticisme cette simple philosophie. Car remarquons le chemin que nous avons déjà parcouru. Pascal n'est pas sceptique en philosophie naturelle, c'est-à-dire qu'il croit à nos moyens naturels de connaître. Or, ces moyens, il va les appliquer à l'observation et à l'étude des faits moraux et des faits révélés qui sont la base de sa philosophie religieuse et de son apologie du christianisme. Non, Pascal ne rejetait pas toute philosophie, si ce n'est, comme nous le verrons tout-à-l'heure, cette philosophie orgueilleuse qui veut se créer la vérité à elle-même, sans excepter la vérité infinie. S'il a écrit: Se moquer de la philosophie, c'est vraiment philosopher, il n'entendait parler évidemment que de la fausse philosophie; car ces mots sont précédés de ceux-ci : « La vraie » éloquence se moque de l'éloquence : la vraie » morale se moque de la morale 1, etc. » L'autre mot fameux (barré d'ailleurs de la main de Pascal), Nous n'estimons pas que toute la philosophie vaille une heure de peine 2, ne s'applique dans Pensées, etc., t. I, p. 152. 2 Ibid., p. 182. |