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pensée que nous venons d'exprimer. Au lieu de la scinder en mille réflexions, que nous aurions jetées çà et là, nous avons préféré la présenter dans son ensemble. Nous voyons maintenant sa vraie situation. Il se trouvait placé entre l'athéisme et la philosophie que nous venons de caractériser, entre La Mothe-le-Vayer et Descartes. Que fera-t-il? Il montrera d'abord que, même dans les choses humaines, la raison ne se suffit pas; qu'elle prend ailleurs son point de départ et ses prémisses, c'est-à-dire ces premiers principes qui la constituent, qu'elle ne saurait se démontrer à elle-même et qu'elle reçoit par enseignement. Elle ne peut donc renoncer à toute autorité, commencer par le doute et un acte d'indépendance.

Pour triompher de l'athéisme, où prendra-t-il des armes? Il trouvait insuffisantes et dangereuses celles que lui offrait la philosophie cartésienne : aussi les Pensées seront-elles une réaction contre le cartésianisme. Après avoir gagné la confiance de l'incrédule et secoué son indifférence, il dépouille la raison de son manteau d'orgueil et lui montre sa nudité et sa faiblesse. Il la pose alors en présence du mystère de l'âme, de la vérité religieuse, de la vérité infinie, et lui fait comprendre son impuissance à résoudre ces immenses problèmes. Si elle ne s'avoue pas vaincue, il la com

bat encore et la poursuit jusqu'à ce qu'elle soit rentrée dans sa sphère. C'est toute la pensée de Pascal.

De cette manière, sa marche aura sans doute quelques analogies, mais aussi de profondes différencés avec celle de Descartes. Un interprète éloquent de Pascal l'a remarqué avant nous 1. Mais il s'est arrêté à mi-chemin dans ce parallèle et n'a pas suivi jusqu'au bout la pensée chrétienne de Pascal. Pascal lui aussi emploiera une sorte de scepticisme, non comme but, mais comme moyen, qu'il ruinera après s'en être servi. Descartes, par le doute, veut arriver à la vérité philosophique qui lui donnera la vérité religieuse; par le doute aussi, Pascal veut arriver à la vérité religieuse qui lui donnera la vérité philosophique. Tous deux veulent tout ébranler pour tout raffermir, pour donner à nos connaissances un fondement plus solide. Mais la vérité fondamentale devant laquelle expire le doute, le philosophe prétend la trouver dans sa pensée menteuse; Pascal la cherche au dehors, dans le sens commun et la révélation. Descartes charge l'athée de se condamner lui-même, laissant à sa raison le soin de prononcer la sentence; Pascal veut apprendre à l'in

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M. Bordas-Dumoulin, Eloge de Pascal, discours qui a remporté le prix d'éloquence à l'Académie française ex æquo avec M. Faugère.

crédule que la raison avec toute sa force le laisserait impuissant et misérable, sans l'appui d'un pouvoir surnaturel. Mais Descartes, en se plaçant dans le vide de sa pensée, voit le sol lui échapper et il n'a plus de matériaux pour bâtir son édifice; Pascal sort de lui-même et va se pourvoir ailleurs il s'adresse à la raison divine.

Pascal a le seul tort de ne vouloir pas que la raison méconnaisse son origine, sa nature et ses bornes. Est-il sceptique pour cela? Il ne récuse pas la raison, mais il lui apprend qu'elle ne se fait pas elle-même, que la nature doit la soutenir contre le pyrrhonisme, et que même en possession de toute sa puissance, il est des vérités qu'elle n'atteindra jamais, si elles ne lui sont révélées. Il ne déclare pas toute philosophie impossible, mais insuffisante. Dans le système rationaliste, la raison peut tout alors c'en est fait de la vérité et du christianisme. Dans le système de Pascal, elle ne peut pas tout, mais, une fois formée, elle peut quelque chose; faire les premiers pas, non les derniers.

Si nous ne voulions que défendre Pascal et non surtout connaître toutes ses conceptions, nous pourrions nous arrêter, la cause est finie. Il n'y a pas dans ces idées la moindre trace de scepticisme; et si, dans le livre des Pensées, nous rencontrons quelques propositions difficiles, en ap

parence contradictoires, nous devrons, comme nous l'avons observé déjà, l'attribuer au désordre dans lequel elles nous ont été livrées, croire qu'il nous manque peut-être quelques développements et quelques transitions qui concilieraient tous les contraires. Car enfin, il est impossible, d'après tout ce qui précède, que Pascal ait été sceptique ; voilà un point démontré, un fait acquis à la cause. Pour quelques passages isolés qui sentiraient leur scepticisme, irons-nous oublier un ensemble tout resplendissant de certitude? Ironsnous conclure du particulier au général, scinder un tout parfaitement harmonique, détruire l'édifice parce que nous ne saurons pas où loger quelques pierres? M. Cousin lui-même nous condamnerait, car il a dit : « Il y a un peu de tout » dans ces notes si diverses qu'on appelle les » Pensées : ce qu'il faut y considérer, ce n'est » pas tel endroit pris à part et séparé de tout le >> reste, mais l'ensemble et l'esprit général et do» minant1. » Selon lui, il est vrai, cet esprit général et dominant, c'est le scepticisme. Mais qu'il y a peu de passages qui le révèlent, et combien qui le repoussent! Le scepticisme n'est donc pas le sens auquel tous les passages contraires s'accordent.

1 Revue des Deux-Mondes, 15 décembre 1844, p. 1032.

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Dans l'avant-propos de la deuxième édition de son livre Des Pensées de Pascal, M. Cousin semble être un peu revenu de cette accusation absolue de scepticisme intentée à Pascal et l'avoir adoucie : « Quoi! Pascal sceptique! s'est-on » écrié de toutes parts. Quel Pascal venez-vous » mettre à la place de celui qui passait jusqu'ici » pour un des plus grands défenseurs de la religion chrétienne? Eh! de grâce, Messieurs, en» tendons-nous, je vous prie. Je n'ai pu dire que >> Pascal fût sceptique en religion; c'eût été vrai» ment une absurdité un peu trop forte; bien >> loin de là, Pascal croyait au christianisme de >> toutes les puissances de son âme... Il faut po» ser nettement et ne pas laisser chanceler le >> point précis de la question : c'est en philo>> sophie que Pascal est sceptique, et non pas en » religion... '. »

Nul ne possède mieux que M. Cousin l'art de glisser dans un avant-propos, une préface ou une introduction de ces explications habiles qui sont une rétractation sans désaveu, et quelquefois avec enchérissement sur ce qui avait été dit d'abord, une reculade menaçante et souvent agressive. C'est un moyen adroit et fier de répondre à des objections embarrassantes, sans se com

1 P. IV et v.

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